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V. LA FAMILLE MULTIGÉNIQUE DES CASPASES

V.2. b Les caspases apoptotiques

1) La voie de signalisation intrinsèque

La voie de signalisation intrinsèque est également appelée voie mitochondriale, puisqu'elle fait intervenir, comme son nom l'indique, la mitochondrie qui est au centre de la signalisation (Figure 25).

Sa définition, par le NCCD-2018, est :

« The NCCD proposes to define intrinsic apoptosis as a form of RCD initiated by perturbations of the intracellular or extracellular microenvironment, demarcated by MOMP and precipitated by executioner caspases, mainly CASP3. »

La voie mitochondriale fait classiquement intervenir trois types d'acteurs. Elle est présente chez les vertébrés, le nématode et la drosophile et résulte de stress induits notamment par les ROS (Reactive Oxygen Species), une hypoxie, une dérégulation des facteurs de croissances ou autres perturbations intra- ou extracellulaires (Hengartner, 2000 ; Meier et al., 2000 ; Galluzzi et al., 2018). Avant d'entrer dans le détail de chaque modèle, je présente le schéma consensuel composé de trois phases, avec trois types d'acteurs (Hengartner, 2000 ; Reed, 2000 ; Fan et al., 2005 ; Tait & Green, 2010 ; Fuch & Steller, 2015), qui en s’appuyant sur la chronologie des événements est le suivant :

1) La voie mitochondriale implique la famille multigénique des Bcl-2 qui influe sur la mitochondrie et sa capacité à déclencher la signalisation apoptotique. Les protéines Bcl- 2, qui possèdent toutes entre 1 et 4 domaines BH (Bcl-2 Homologie Domain), sont soit pro- apoptotiques soit anti-apoptotiques. Les pro-apoptotiques modifient le potentiel de membrane de la mitochondrie, aboutissant à une perméabilisation de celle-ci. Un groupe particulier de Bcl-2, les BH3-only (gènes ne possédant qu’un seul domaine BH3), sont des pro-apoptotiques inhibiteurs des membres de la famille anti-apoptotiques.

2) Sous l'influence des protéines Bcl-2 (déséquilibre entre les pro- et anti-apoptotiques), la modification du potentiel de membrane de la mitochondrie (MOMP – Mitochondrial Outer Membrane Permeabilization) peut conduire au relargage du cytochrome c dans le cytoplasme qui formera un complexe avec Apaf-1 (Apoptotic peptidase activating factor-1), nommé « apoptosome ».

3) L'apoptosome permet d'activer la pro-caspase initiatrice spécifique de la voie mitochondriale : la caspase initiatrice 9. Elle possède le pro-domaine CARD qui permet l'interaction avec Apaf-1, constituant du complexe apoptosome. De façon classique, la caspase initiatrice, sous sa forme active, clive les pro-caspases exécutrices (3, 6 et 7), et l'apoptose est exécutée par ces dernières comme pour la voie extrinsèque.

Ces trois étapes seront maintenant détaillées, pour rendre compte des similitudes et des différences entre les modèles.

Chez le nématode, l'unique voie de signalisation existante est la voie mitochondriale (Figure 25). Historiquement, c'est chez Caenorhabditis elegans que la signalisation de la mort cellulaire programmée par apoptose a été identifiée puis étudiée pour la première fois (Ellis & Horvitz, 1986 ; Oberst, 2008 ; Oberst et al., 2008). Par l'étude de mutants, plusieurs gènes impliqués dans la régulation de l'apoptose ont été découverts et nommés par l'acronyme ced (Cell Death Defective) ou egl (Egg Laying Defective). Il s'agit de ced-3, ced-4, ced-9, et egl-1. Ced-3 est une caspase possédant un domaine CARD, et elle est la seule à intervenir de façon certaine dans la régulation de l'apoptose parmi les quatre caspases identifiées chez le nématode (respectivement Ced-3, Csp-1, Csp-2 et Csp-3). L’intervention de Ced-3 dans la voie mitochondriale et la présence d’un pro-domaine CARD est l'argument qui la désigne de facto comme homologue de la caspase 9 des vertébrés dans la littérature. Ced-4 est considérée comme étant l'équivalent d'Apaf-1, et interagit donc avec Ced-3 via leurs domaines CARD respectifs, l’ensemble composant, comme chez les vertébrés, l'apoptosome. Egl-1 et Ced-9 sont deux membres de la famille Bcl-2, et comportent respectivement une BH3-only pro-apoptotique, et un anti-apoptotique avec comme chez les vertébrés 4 domaines BH. L’interaction de ces acteurs définit la voie mitochondriale du nématode (Hengartner, 2000 ; Meier et al., 2000 ; Fuch & Steller, 2015).

La protéine Egl-1 est un inhibiteur de Ced-9, elle-même inhibiteur de Ced-4. Ced-9 séquestre Ced-3 à la membrane de la mitochondrie, qui sert alors essentiellement de support physique. Ced-4 est libérée dans le cytoplasme sous l'effet d'Egl-1, et forme avec la caspase centrale de la voie, Ced-3, le complexe qui permettra l'activation de cette dernière. En revanche, il n'y a pas relargage du cytochrome c, et Ced-4 (équivalant d'Apaf-1 qui interagit avec le cytochrome c et la caspase 9 chez les vertébrés) ne possède pas les domaines répétés WD qui normalement permettent l'interaction avec celui-ci. La présence de Ced-4 suffit pour la formation du complexe ( Inohara et al., 1998 ; Hu et al., 1999). Il n'y a pas non plus de MOMP. Le rôle de la mitochondrie, dans cette voie mitochondriale, est donc différent du cas des vertébrés. Sa seule implication est que Ced-9 doit y être physiquement accrochée pour interagir avec Ced-4. Elle sert donc uniquement de structure d’ancrage.

Une fois active, Ced-3 jouera également le rôle d'une caspase exécutrice induisant le déroulement de l'apoptose. On notera qu'il n'y a donc que cette caspase (avec un long pro-domaine CARD), qui joue simultanément le rôle des caspases dites exécutrices (caspases possédant un court pro-domaine DD chez la drosophile ou les vertébrés) (Hengartner, 2000 ; Meier et al., 2000 ; Fuch & Steller, 2015).

Notons qu'il n'y a pas d'IAPs chez le nématode. Il est important de souligner également que 3 autres caspases ont été identifiées, respectivement Csp-1, Csp-2 et Csp-3, mais leurs rôles ne sont peu/voir pas connus. De plus, les séquences sont très divergentes des autres caspases classiquement

reconnues (Lamkanfi et al., 2002). Je reviendrai plus tard sur leurs cas, qu'il sera intéressant de discuter, même succinctement, à la lumière d'analyses phylogénétiques.

Par conséquent, la voie mitochondriale du nématode est caractérisée par la présence de deux membres Bcl-2, d'un équivalent fonctionnel d'Apaf-1, de l'absence de MOMP et d'une activation de Ced-3 qui ne nécessite pas de cytochrome c ainsi que l'absence de caspases exécutrices.

Chez les mammifères (Figure 25) (souris / homme) la famille de gènes Bcl-2 présente 12 membres (Youle et al., 2008). Les protéines correspondantes possèdent toutes au moins le domaine BH3. Les membres de cette famille possédant uniquement le BH3 (commun) sont regroupés au sein des BH3- only, toutes pro-apoptotiques. Les autres membres de la famille sont caractérisés par la présence de domaines BH supplémentaires. Les anti-apoptotiques, dont le principal membre est Bcl-xl, possèdent quatre domaines BH. Les pro-apoptotiques que sont Bax, Bok (bcl-2-related ovarian killer) et Bak (Bcl2 antagonist/killer) ont, quant-à-elles, trois domaines BH (Tait & green, 2010). Cette famille influe sur le potentiel de membrane de la mitochondrie, potentiel qui résulte d'une balance entre anti- et pro-apoptotiques (Tait & Green, 2010).

Les pro-apoptotiques interagissent physiquement avec la mitochondrie, et provoquent une perméabilisation de sa membrane provoquant le relargage du cytochrome c dans le cytoplasme (Cohen et al., 1997 ; Fuch & Steller, 2015). L'apoptosome sera alors formé d'Apaf-1, du cytochrome c et de la pro-caspase 9 (Meier et al., 2000). L'intervention du cytochrome c est fondamentale et fait de la MOMP un élément indispensable chez les mammifères. Les pro-caspases 9 s'activent, il en résulte, classiquement, une activation des caspases exécutrices, en particulier la caspase 3 (Hengartner, 2000 ; Fan et al., 2005 ; Tait & Green, 2010 ; Fuch & Steller, 2015).

Chez la drosophile, la voie de signalisation mitochondriale est la seule voie mise en évidence (Figure 25). La drosophile est devenue un organisme majeur dans l'étude de la mort cellulaire programmée, avec l'identification en 1994 des premiers gènes impliqués dans la machinerie apoptotique. La drosophile possède davantage de gènes impliqués dans la signalisation apoptotique que le nématode pourtant phylogénétiquement proche (Ecdysozoa). Deux gènes pro- apoptotiques de la famille Bcl-2 ont été identifiés, debcl et buffy, ainsi que le gène dark (= ark) qui est l’équivalent fonctionnel de Apaf-1 et de Ced-4 (ces trois gènes sont considérés orthologues dans la littérature). Concernant les caspases, six membres ont été répertoriées dont l'une possédant un pro-domaine CARD (Dronc) et une seconde ayant un pro-domaine DED (Dredd). Les quatre autres caspases sont considérées comme étant des caspases (potentiellement) exécutrices en raison de l'absence de long pro-domaine DED ou bien CARD. Il s’agit des protéines Ice, Dcp1, Dcp2 et

Decay (Dorstyn et al., 1999 ; Adrain & Martin, 2001 ; Doumanis et al., 2001 ; Harvey et al., 2001). La famille des IAPs est représentée par trois gènes dénommés diap-1 (Death-associated inhibitor of apoptosis 1), diap-2 ainsi que la détérine. Par ailleurs, trois gènes pro-apoptotiques spécifiques de la drosophile (sans équivalent identifiés chez d'autres espèces) ont été mis en évidence : reaper, grim et hid. Les protéines correspondantes ont la particularité d'être des inhibiteurs des trois IAPs.

L’interaction de l'ensemble de ces acteurs définit la voie mitochondriale de la drosophile (Hengartner, 2000 ; Koumar & Doumanis, 2000 ; Meier et al., 2000 ; Fuch & Steller, 2015).

Les IAPs, en particulier Diap-1, sont des inhibiteurs qui maintiennent une inhibition permanente sur la caspase Dronc par une expression constante dans les cellules de la drosophile. Contrairement aux deux autres voies mitochondriales décrites (celles des mammifères et du nématode), chez la drosophile son déclenchement nécessite donc une levée d'inhibition. Ce sont Reaper, Grim et Hid qui ont cette fonction et le blocage des IAPs permet de lever l’inhibition que ces dernieres exercent sur la caspase Dronc. L'activation de cette dernière, par Dark, est alors possible et permet le déroulement de la suite de la signalisation. Il n'y a pas de MOMP au cours du processus, et l'intervention du cytochrome c n'est pas nécessaire. Il semblerait, mais cela est encore débattu, que la mitochondrie puisse servir de support physique (comme chez le nématode pour la protéine Ced-9) pour les antagonistes des IAPs (Hid, Reaper et Grim) et non pas les Bcl-2 (Fuchs & Steller, 2015). Le rôle de la mitochondrie n'étant pas encore clair, c'est davantage la présence des homologues putatifs de la caspase 9 (Dronc) et d'Apaf-1 (Dark) qui ont conduit à considérer la voie de signalisation de la drosophile comme une voie mitochondriale. De façon étonnante, il semblerait que la voie de signalisation puisse se passer des protéines de la famille Bcl- 2 (Debcl et Buffy) dont le rôle est toujours débattu, raison pour laquelle je n'en ai pas parlé.

Les similarités de séquences et les similarités fonctionnelles ont conduit à considérer les voies mitochondriales des mammifères, de la drosophile et du nématode comme homologues. Un schéma préétabli de la voie mitochondriale et centré sur les mammifères a alors servi de base. Pourtant, des différences existent entre ces trois modèles, et ne sont pas discutées. Les conséquences évolutives potentielles qu'elles impliquent sont fondamentales, d'autant plus que l'origine évolutive commune des acteurs apoptotiques entre ces modèles classiques n'est pas attestée.

Figure 25: Schématisation des signalisations apoptotiques de références, c'est-à-dire les voies mitochondriales

présentent chez C. elegans, D. melanogaster et les mammifères, ainsi que la voie des récepteurs de mort des mammifères.

La description de la voie mitochondriale et la comparaison entre mammifères, nématode et drosophile mettent en lumière des différences fondamentales.

1) Chez les mammifères, les membres de la famille Bcl-2 sont nombreux (supérieur à 10 ; i.e 12 chez l'homme), et comprennent des anti- et des -pro-apoptotiques. Chez la drosophile, deux Bcl-2 pro-apoptotiques sont identifiés, et un seul anti-apoptotique chez le nématode. 2) Chez les mammifères, les Bcl-2 permettent une perméabilisation de la membrane de la

mitochondrie conduisant au relargage du cytochrome c dans le cytoplasme. Chez la drosophile et le nématode, le potentiel de membrane mitochondriale n'est pas modifié, il n'y a pas de relargage du cytochrome c. La mitochondrie sert de support physique pour le Bcl-2 du nématode, mais son rôle n'est pas clair chez la drosophile.

3) La drosophile possède trois inhibiteurs des IAPs (IAP antagonists), sans équivalents découverts chez les autres espèces. Ils permettent une levée d'inhibition en bloquant les IAPs, fonctionnement unique à la drosophile.

4) L'activation de la caspase 9 des mammifères nécessite, en plus de la protéine activatrice Apaf-1, un relargage du cytochrome c par la mitochondrie. Chez la drosophile et le nématode, la protéine activatrice suffit, le cytochrome c n'ayant pas de rôle avéré dans la signalisation apoptotique.

L'idée d'une conservation de la voie mitochondriale chez les métazoaires est largement acceptée. Cette idée sans doute fausse, au moins partiellement, repose sur le fait que les différents acteurs identifiés ont été considérés comme identiques voire homologues. Je tiens à souligner également le fait que, dans la définition de la voie de signalisation mitochondriale du NCCD-2018, la MOMP fait partie intégrante des critères qui la caractérise, ce qui est extrêmement restrictif car exclut de fait les ecdysozoaires : le cas de la drosophile et du nématode, pourtant des modèles historiques et phares dans la découverte du fonctionnement des voies apoptotiques, n'est pas évoqué.

Face à cette vision centrée sur les mammifères, et en raison des différences remarquables entre les trois modèles classiques, mais aussi compte tenu de la quasi-absence d'analyses phylogénétiques dans la littérature, la question de l'homologie des acteurs et donc de l'ensemble de la voie mitochondriale entre mammifères, nématode et drosophile se pose. Déterminer ces relations phylogénétiques est un prérequis, jamais réellement envisagé, permettant d'analyser de façon pertinente l'évolution des voies mitochondriales et vraisemblablement de l'apoptose chez les animaux.