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VI. L’ÉVOLUTION DES CASPASES

VI.3. Synthèse sur l'évolution des acteurs apoptotiques

Les études des voies de signalisation de l'apoptose se sont concentrées, jusqu'au début des années 2000, sur les mammifères ainsi que les deux modèles biologiques classiques que sont la drosophile et le nématode. Les descriptions exhaustives effectuées sur ces organismes ont permis un haut degré de compréhension des voies apoptotiques chez ces derniers. Cependant, la vision de l'évolution des acteurs apoptotiques, en particulier des caspases, a été largement biaisée, induisant un consensus que l’on peut malheureusement qualifier de gradiste, et qui présente les non-vertébrés comme possédant des voies de régulation très simples par opposition aux vertébrés (i.e. mammifères) au contraire caractérisés par un système de régulation complexe. Grâce aux études fondées sur d'autres groupes de métazoaires (Cnidaria, Mollusca, Echinodermata , etc.), il est de plus en plus reconnu que l'évolution des gènes régulant l'apoptose doit être reconsidérée. Il en découle des interrogations sur l'homologie des voies de signalisation apoptotique.

De plus, les travaux accumulés sur les modèles classiques présentent des différences fondamentales montrant qu'il n'est pas toujours possible de se baser sur le modèle des mammifères d'une part, et que l'idée même de conservation de la voie mitochondriale doit notamment être discutée.

Les problèmes soulevés par l'homologie des voies apoptotiques de signalisation (V.2.c. Synthèse), notamment en raison des relations évolutives mal définies, s'expliquent surtout en raison

de la faiblesse des analyses phylogénétiques présentes dans la littérature. Les homologies établies par similarités de séquences et les analyses phylogénétiques existantes rendent nécessaires une étude approfondie sur l'évolution des caspases à partir d'analyses phylogénétiques afin d'identifier les gènes orthologues. Une discussion sur l'évolution des voies de signalisation apoptotiques sera possible uniquement après ce travail.

Figure 28: Distribution des acquisitions des principaux acteurs apoptotiques sur une phylogénie des métazoaires.

PROBLÉMATIQUE

De plus en plus d’études mettent en évidence des rôles non destructifs de l’apoptose, témoignant de capacités particulières, par lesquelles les cellules apoptotiques peuvent induire des signaux moléculaires qui influent sur le comportement des cellules adjacentes. Décrites chez de nombreuses espèces (i.e. Drosophila, Hydra, Mus, Xenopus) et promouvant différents comportements et/ou destins cellulaires (i.e. prolifération, différenciation, migration, survie), ces capacités ont été nommées de manières différentes selon les auteurs, mais aucun concept global n'a émergé de l’ensemble de ces travaux.

Cependant, ils semblent pouvoir être synthétisés au sein d’une même fonction globale qui paraît être à l’origine de ces différents comportements et/ou destins cellulaires. Nous la nommerons ici la fonction constructrice de l’apoptose (FCA). La FCA parait être une fonction de l’apoptose qui s’additionne à la fonction classiquement décrite de suppression de cellules ou structures surnuméraires, autrement dit, une fonction destructrice (FDA).

De manière intéressante, plusieurs éléments interrogent sur la machinerie moléculaire qui sous-tend ces deux fonctions. Par exemple, il a été largement démontré que la FDA est régulée par la famille multigénique des caspases. De la même manière, des travaux préliminaires concernant la FCA semblent démontrer que ces protéases ont aussi une position centrale dans la régulation de cette dernière. Ainsi l’étude de cette famille multigénique et de son histoire est essentielle à une meilleure compréhension des relations entre FDA et FCA.

En effet, la présence à l’échelle des métazoaires de la FDA, mais aussi l’existence de la FCA qui est observée chez de plus en plus de taxons, impliquent une évolution possiblement liée entre ces deux fonctions. Or, ce sont les caspases qui semblent impliquées de façon commune dans la régulation de ces deux fonctions. Cependant, l’évolution des caspases et des voies de signalisation

apoptotiques qu'elles régulent est appréhendée à travers le prisme de modèles biologiques classiques (drosophile, nématode, mammifère), ce qui biaise les inférences évolutives faites à l’échelle des métazoaires. Cela impose de revoir leur évolution, afin de discuter ensuite de l’évolution des fonctions morphogénétiques de l’apoptose à une échelle évolutive large.

Trois questions principales découlent de ce corpus d’idées tentant de synthétiser l’état de l’art sur l’apoptose :

1) La fonction constructrice de l’apoptose est-elle une fonction à part entière ?

2) L'apoptose constructrice est-elle ancestrale ou convergente ?

3) Les fonctions morphogénétiques de l’apoptose dépendent-elle de la même machinerie moléculaire ?

Pour tenter de répondre à ces questions, une vision globale à une large échelle évolutive est nécessaire, ainsi que des études sur plusieurs modèles de métazoaires dans différents contextes morphogénétiques. Afin de commencer à apporter des éléments de réponses et de réflexions, j'ai travaillé, dans le cadre de ma thèse, sur la métamorphose. Ce processus morphogénétique est caractérisé par la concomitance de plusieurs comportements et destins cellulaires, dont fait partie l'apoptose. La métamorphose est donc un cadre idéal pour étudier l'apoptose constructrice. Pour ces études, j'ai utilisé deux modèles de métazoaires distants phylogénétiquement, le cnidaire Clytia hemisphaerica (Chapitre I) et le tunicier Ciona intestinalis (Chapitre II et III).

J'ai commencé à développer l'étude de la métamorphose du cnidaire Clytia hemisphaerica au niveau morphologique, cellulaire et moléculaire, pour en faire un modèle d'étude de la FCA dans la mesure où cette dernière, comme la FDA, a souvent été observée dans cet embranchement. De plus, en tant que groupe-frère des bilatériens, les cnidaires ont une position phylogénétique de choix pour explorer l'évolution des fonctions morphogénétiques de l'apoptose.

Pour ce faire j'ai adressé trois questions principales (Chapitre I, page 111) :

- Quels sont les comportements et destins cellulaires présents lors de la métamorphose de la larve planula de Clytia?

- Se déroulent-ils de manière concomitante avec de l’apoptose ? - Y-a-t-il de la FCA au cours de la métamorphose de la larve planula ?

Je me suis aussi intéressé à la métamorphose de l'ascidie Ciona intestinalis qui présente pendant la régression caudale (un événement de la métamorphose) un profil apoptotique bien caractérisé qui a l'avantage fondamental d'être prédictible spatialement et temporellement. De plus, des résultats préliminaires suggèrent la présence de FCA au cours de ce processus pendant lequel des tissus migrent de manière apoptose-dépendant. Je me suis donc focalisé sur ces comportements cellulaires en adressant les questions suivantes (Chapitre II, page 145) :

- La migration des tissus observée dans un contexte apoptotique est-elle de la FCA ? - Quelle est la machinerie moléculaire impliquée dans le contrôle de ces migrations ?

Enfin, j'ai conduit des analyses phylogénétiques portant sur les gènes impliqués dans la machinerie apoptotique (i.e. caspases), couplées à des expérimentations sur Ciona intestinalis afin de mieux percevoir l’évolution de la signalisation apoptotique. J'ai notamment essayé de répondre à deux questions (Chapitre III, page 193) :

- Les voies de signalisation apoptotiques sont-elles conservées ?

- La machinerie moléculaire intervenant dans la FCA et la FDA est-elle identique ?

L’ensemble de mes travaux ont permis de montrer la présence d'apoptose au cours de la métamorphose de Clytia, de façon concomitante avec de la prolifération, de la différenciation et de la migration cellulaire.

J'ai également pu montrer que la migration des PGC au cours de la régression caudale de Ciona semble se produire par de la FCA.

Enfin, j'ai mis en évidence que les voies de signalisation apoptotiques mitochondriales sont convergentes et non pas conservées à l’échelle des métazoaires.

  MODÈLES BIOLOGIQUES