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VI. L’ÉVOLUTION DES CASPASES

VI.1. b L'exemple d'une phylogénie des caspases faisant référence

La phylogénie de Lamkanfi et al. (2002) fait généralement référence dans la littérature concernant la diversification des caspases et sert souvent de base pour présenter l’évolution des caspases dans les grandes revues qui y sont consacrées (Figure 27). Elle s'appuie sur l'analyse de caspases de vertébrés (inflammatoires, exécutrices, initiatrices) et sur celles de Drosophila et Caenorhabditis. Etant un cas de figure assez emblématique, je me permettrais un certain nombre de remarques liminaires concernant cette approche :

Les alignements intègrent les séquences protéiques des domaines P20 et P10. La longueur de l'alignement n'est pas donné, mais d'après les informations fournies et mes connaissances sur les caspases, on peut postuler que celui-ci avoisine les 150 aa (nb : déduction qui implique que le lecteur soit déjà bien au fait de la structure protéique des différentes caspases !). De façon globale, très peu d'informations méthodologiques sont fournies dans ce travail et grâce à la légende de la phylogénie, on saura que l'alignement est réalisé avec le programme ClustalX. Les auteurs écrivent « The phylogenetic tree presented in Figure 1B is based on the amino acid sequences containing the p20 and p10 units, referred to as p30 caspase ».

La méthode utilisée n'est donc pas précisée dans l'article, même si on se doute qu'une méthode de distance a été utilisée. Aucune information sur le soutien des nœuds n'est disponible et ce point n'est absolument pas évoqué. Il n'y a pas de groupes externes, cette notion n'est pas abordée.

Les résultats obtenus sont par conséquent totalement discutables. Cependant, une présentation des résultats des auteurs est nécessaire.

Grâce à cette analyse, les auteurs ont défini trois groupes parmi les caspases analysées. Ces trois « clusters » (notion peu classique et non définie par les auteurs !) ne correspondent pas tout-à- fait aux groupes fonctionnels classiquement proposés. Les termes usuels, à savoir la monophylie, la paraphylie ou la polyphylie, ou un clade, ne sont pas évoqués ici.

Le cluster 1 comprend les caspases inflammatoires des vertébrés, ainsi que la caspase 2 et les trois caspases de Caenorhabditis elegans utilisées dans cette étude (Ced-3, Csp-1 et Csp-2 – la Csp-3 n'est pas proposée dans l’étude car pas encore découverte). On a donc une caspase apoptotique initiatrice (la 2) regroupée avec des non-apoptotiques (les inflammatoires) et les séquences de nématode.

Le cluster 2 comprend les caspases exécutrices, comportant celles des vertébrés (3, 6 et 7) et de la drosophile (Strica, Damm, Decay, Dcp-1 et Drice). Les exécutrices, ou plus largement les caspases n'ayant pas de longs pro-domaines, sont ici monophylétiques.

Le cluster 3 contient les caspases -8, -9 et -10 des vertébrés ainsi que Dronc et Dredd de la drosophile. Ce groupe comprend uniquement des caspases initiatrices (mais pas toutes) ; en revanche, ces séquences n'ont pas le même pro-domaine, puisqu'on y retrouve des caspases-CARD et des caspases-DED. On remarque la présence de Dredd avec les caspases -8 et -10 ainsi que Dronc avec les caspases 9 de vertébrés.

Concernant le cluster 1, les auteurs soulignent que « The C. elegans CED-3 is the godfather of the caspase family ». Cette formulation pose problème puisqu'une séquence actuelle ne peut pas être ancestrale. Il convient en revanche de parler d'une séquence ancestrale hypothétique commune à l’ensemble de la famille. Cette formulation illustre également une vision gradiste qui stipule qu’un « invertébré » possède forcément une séquence « primitive », notion qui n'a pas de sens en évolution. De plus, Ced-3 n'est pas dans le cluster 3 comme on aurait pu s'y attendre étant donné qu'elle est considérée comme une caspase 9. Ce point aurait dû soulever des interrogations sur les relations d'homologies classiquement reconnues dans la littérature, et sur les notions de convergence et de conservation des voies de signalisation. Mise à part la position de Ced-3 dans l'arbre relevé par les auteurs, les implications évolutives ne sont pas abordées.

Au sujet des Casp-1 et Casp-2, les auteurs notent « In the nematode the apparent lack of short prodomain caspases is bypassed by alternative splicing of CSP-1 and -2. However, protease activity has only been reported for CED-3 and CSP-1 ». Un long pro-domaine est présent, mais non fonctionnel et n'est plus reconnaissable en tant que CARD. Bien que les auteurs semblent mettre en évidence ce point, il ne le discute pas. Pourtant, peut-on alors, lorsqu’une caspase est décrite chez une espèce de non-vertébré, la considérer automatiquement comme caspase exécutrice si elle ne possède pas de pro-domaine reconnaissable?

Concernant le cluster 2, les séquences de vertébrés forment des groupes monophylétiques, attestant des relations d'homologies considérées. Il est en revanche surprenant que les caspases d'ecdysozoaires ne forment pas, au moins, un ensemble de séquences sœurs. Cette topologie indique des origines potentielles différentes entre les caspases de drosophile et de nématode. Les discussions sur l'homologie des voies ne sont pas abordées. On soulignera, qu’il est bien connu que les séquences de Caenorhabditis elegans conduisent à des attractions de longues branches (LBA) assez problématiques dans les analyses phylogénétiques de façon générale.

Concernant le cluster 3, les auteurs s’interrogent sur l'évolution des pro-domaines, « it can be argued that the DED motif has evolved later, reflecting a demand for specific recruitment in receptor complexes. This may correlate with the origin of a dichotomy between extrinsic and intrinsic apoptotic cell death pathways ». Le fait que Ced-3 ne soit pas groupé avec « les autres caspases 9 », et que par conséquent Ced-3 et Dronc ne sont pas séquences sœurs, n'est pas discuté,

malgré les interrogations que cela soulève.

Au cours de la discussion, les auteurs profitent de la présentation du cluster 3 pour souligner le fait qu'Apaf-1, Ced-4 et Dark sont homologues. Les auteurs citent Duan & Dixit (1997) qui montrent dans leurs travaux des similarités fortes au niveau de la séquence protéique de ces trois gènes. Lamkanfi et al., (2002), en citant Duan & Dixit (1997), affirment « their corresponding Apaf-1 orthologues, called DARK/dAPAF-1/HAC-1 in D. melanogaster » et poursuivent plus loin « The apoptosome complex formed in the nematode is peculiar since CED-4, the functional homologue of Apaf-1 ».

Cette situation est particulièrement évocatrice : Lamkanfi et al. (2002) considèrent par défaut ces gènes comme orthologues, en s'appuyant sur des études dépourvues d'analyses phylogénétiques, ou seules les similarités de séquences ont été regardées.

Au vu des problèmes présentés ci-dessus, il apparaît évident que les relations évolutives à grande échelle entre les caspases doivent être reconsidérées. Toutefois, dans le cas des vertébrés ces relations semblent bien mieux étayées. Ainsi, les travaux de Moya et al., 2016, ainsi que mes propres analyses, confortent un certains nombre de points. Les caspases exécutrices 3, 6 et 7 sont toujours monophylétiques, avec les 3 et 7 qui sont des paralogues. Il en est de même pour les caspases 8 et 10, toujours séquences sœurs et donc paralogues. Le fait que les séquences des caspases 9 forment un groupe monophylétique montre que leur nomenclature usuelle est pertinente. De même, les caspases inflammatoires et la caspase 2 ont vraisemblablement une origine commune car elles forment un groupe monophylétique. On peut donc dire que, concernant les vertébrés, les prédictions faites à partir des similarités de séquences semblent globalement confirmées par des analyses phylogénétiques plus poussées ainsi que par mes propres résultats. En revanche, les relations à plus grandes échelles entre ces différents groupes demeurent variables.

Étant donné que les caspases de vertébrés sont bien connues, il est facile et tentant de s'y référer. Ainsi, une fois les relations d’orthologies bien établies entre des gènes de vertébrés et ceux d’une autre espèce d’intérêt, on pourra tester l'hypothèse de fonctionnalités similaires, par exemple, en postulant que ces gènes appartiennent à la même voie de signalisation. Il faut cependant être prudent sur ce postulat, qui n’est qu’un outil de travail, car les cas de divergences fonctionnelles sont nombreux, y compris dans le cas de gènes orthologues (et a fortiori dans le cas de gènes paralogues).

Figure 27: Analyse phylogénétique regroupant les caspases de vertébrés, de la drosophile (Dronc, Strica, Damm,

Decay, Dcp-1, Drice, Dredd) et du nématode (Ced-3, Csp-1, Csp-2) réalisée à partir des séquences protéiques des domaines P20 et P10, avec un alignement par Clustal-X. Danio rerio (z), Xenopus laevis (x), Gallus gallus (g), Mus musculus (m), Homo sapiens (h). Les méthodologies utilisée ne sont pas précisées. Modifiée d'après Lamkanfi et al., 2002.