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CHAPITRE I La métamorphose de Clytia hemisphaerica

I. LES CNIDAIRES, UN MODÈLE À EXPLORER POUR ÉTUDIER LA FCA

I.1. b De l'apoptose au cours de la métamorphose des cnidaires : l'exemple d'Hydractinia

Au cours de la métamorphose du cnidaire Hydractinia echinata (Hydrozoa), l'apoptose observée au niveau de l'épiderme présente un profil polarisé et provoque la destruction de certaines cellules larvaires, notamment neuro-sensorielles. L'apoptose est fondamentale dans ce processus puisque son inhibition chez les planulas en métamorphose provoque des problèmes de développement du future polype (Seipp et al., 2001, 2007, 2010 ; Wittig et al. 2011).

Comme beaucoup de cnidaires, Hydractinia echinata présente un stade de vie sessile nommé polype. Le polype se reproduit de façon sexuée, larguant les gamètes dans le milieu extérieur (Weis et al., 1985 ; Walther et al., 1996). Après fécondation, l’embryogenèse produit la larve nageante ciliée planula. Après une phase de nage (1 jour), la planula va se métamorphoser (Figure 43), processus au cours duquel des changements morphologiques majeurs se produisent, puisque la larve initialement allongée va s'élargir et se raccourcir, puis se fixer au substrat grâce à une ventouse (nommée « suction cup » par Freeman (1981) chez Clytia gregarium) située au pôle aboral et composée de cellules glandulaires (Weis et al., 1985 ; Walther et al., 1996). La galette obtenue (nommée « pedal disc » par Freeman (1981) chez Clytia gregarium), issue de l’aplatissement de la larve, va croître en polype primaire qui développera des tentacules lui permettant de se nourrir (Wittig et al., 2011).

De l'apoptose a été mise en évidence par marquage TUNEL (Figure 44) dans l'ectoderme aux deux pôles de l'animal à tous les stades de la métamorphose. Une approche montrant la fragmentation de l'ADN par « échelonnement de l'ADN » sur gel d'agarose (DNA laddering) a confirmé qu'il s’agissait d'apoptose (Seipp et al., 2001). De plus, la présence de caspases actives a été montrée par l'utilisation d'un substrat fluorogénique spécifique de la caspase 3 des vertébrés (Seipp et al., 2006). Plus tard, l'expression de He-caspase 3 (nommée ainsi car considérée comme homologue de la caspase 3 des vertébrés) a été caractérisée par hybridation in situ (Wittig et al., 2011).

La présence d'apoptose attestée par ces travaux a conduit à une identification des cellules éliminées. Les ganglions neuronaux (localisés par immunomarquage anti-FMRF-amide) font partie des cellules détruites par apoptose (Seipp et al., 2010), ce qui semble également être le cas des cellules glandulaires localisées au niveau de la ventouse (Seipp et al., 2010). Une élimination des cellules glandulaires est également suggérée chez l'hydrozoaire Mitrocomella polydiademata (Romanes, 1876 ; Martin, Chia & Koss, 1983).

L'importance de l'apoptose dans le déroulement de la métamorphose de la planula d'Hydractinia a été évaluée par plusieurs approches (Seipp et al., 2006 ; Wittig et al., 2011). D'une part, l'exposition

à l'inhibiteur de caspases (pan-caspase inhibiteur Z-VAD-Fmk) a montré que la proportion de larves en cours de métamorphose était significativement inférieure chez les larves traitées par rapport aux témoins physiologiques, impliquant un rôle majeur de l'apoptose (Seipp et al., 2006). D'autre part, il a été observé qu'une perte de fonction de He-cas3 par ARN interférence, inhibait significativement l'apoptose durant la métamorphose d'Hydractinia, provoquant des malformations dans la partie antérieure de la larve (pôle aboral, présentant la ventouse) (Wittig et al., 2011). Alors que les larves témoins ont pu poursuivre une métamorphose normale conduisant à la formation d'un polype primaire (stade 14, Figure 43), il a été montré par comptages et analyses statistiques que les larves traitées restaient bloquées aux stades 7-12. Il en a été déduit que la présence d'apoptose au pôle antérieur (aboral) de la larve est un prérequis indispensable pour la mise en place du futur polype primaire après fixation de la planula. L'absence d'effets qui a été constatée dans la région postérieure de la planula indique que d'autres caspases peuvent être potentiellement impliquées, limitant l'impact de la perte de fonction de He-cas3. Cette explication proposée est congruente avec les observations qui ont été faites chez les vertébrés où une redondance de fonctions entre différentes caspases exécutrices est documentée (Kumar, 2007).

Hydractinia echinata n'est pas le seul cnidaire présentant de l'apoptose au cours de la métamorphose de la planula, puisque cette dernière est potentiellement présente au cours de la métamorphose d'Aurelia aurita (Linnaeus, 1758) (Scyphozoa) au niveau de l'endoderme. Elle est suggérée par des marquages immunologiques anti-caspase 3 et par une analyse en DAPI montrant une fragmentation de l'ADN (Yuan et al., 2008). Chez Clava multicornis (Forskal, 1775) (Hydrozoa), des marquages TUNEL ont aussi permis de détecter une apoptose massive dans l'endoderme 48h après l'induction de la métamorphose (Pennati et al., 2013).

La présence d'apoptose au cours de la métamorphose semble concerner la majorité des cnidaires. Cependant, l'apoptose n'est pas le seul comportement cellulaire mis en évidence au cours de la métamorphose des larves planula, puisque de la migration (concernant des cellules neuro- sensorielles, les nématocytes) (Plickert et al., 1988) ou encore de la prolifération (concernant des cellules souches ou i-cells) ont été observées (Plickert et al., 1988 & Yaun et al., 2008). De plus, les études précédentes montrent que l'apoptose est localisée en partie au niveau de l'endoderme de la planula. Or, de façon intéressante, la présence de cellules souches au niveau de l'endoderme (détectée par hybridation in situ), a été mise en évidence chez plusieurs espèces de cnidaires (Clytia ; Hydractinia) (Rebscher et al., 2008 ; Leclère et al., 2012) et interroge sur l'impact éventuel de l'apoptose sur ces dernières.

Figure 43: Représentation schématique du déroulement de la métamorphose de la larve planula d'Hydractinia echinata

(cnidaire, hydrozoaire). La métamorphose commence alors que la larve est encore nageante. Un ensemble de modifications morphologiques précèdent la fixation au substrat. Un « aplatissement » s'en suit, et précède la croissance du stolon, puis enfin le développement des tentacules. Modifiée de Wittig et al., 2011.

Figure 44: Marquage TUNEL sur des planulas de Hydractinia echinata nageantes en cours de métamorphose

permettant de visualiser les cellules apoptotiques (vert). (A), en partie antérieure (a) des noyaux sont « TUNEL- positifs » autour de la ventouse. (B), De l'apoptose est présente aux deux pôles de la larve. (C), focus sur l'ectoderme postérieur présentant des noyaux « TUNEL-positifs ». Barre d'échelle : 100µm. Modifiée de Seipp et al., 2006.

La présence, au cours de la métamorphose des cnidaires, de cellules souches ainsi que leur migration ou encore leur prolifération dans un contexte apoptotique, en fait un cadre propice pour mieux comprendre les rôles morphogénétiques de l'apoptose, et explorer l’existence de la FCA chez ces animaux. Je vais donc présenter dans la suite de cette partie ce qui est connu sur les comportements cellulaires observés chez les larves planulas, en m'intéressant essentiellement aux cellules souches présentes dans l'endoderme.