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CHAPITRE I La métamorphose de Clytia hemisphaerica

III. SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES DE L'ARTICLE N°1

III.1. Synthèse

La métamorphose de la planula du cnidaire Clytia hemisphaerica, initiée trois jours après fécondation, peut-être induite par une exposition au neuropeptide GLW-amide de la même manière que pour Hydractinia echinata afin d'obtenir des lots homogènes ( Schmich et al., 1998 ; Houliston et al., 2010). J'ai observé la métamorphose de la planula et l'ai divisé en une succession de douze stades en fonction des caractéristiques morphologiques et cellulaires observées. Les quatre premiers stades correspondent à la phase nageante, et les suivants (5-12) correspondent à la phase fixée.

Au cours de la phase de nage, des changements morphologiques majeurs sont observés, avec un raccourcissement de la longueur de la larve et l'apparition de bourrelets latéraux (forme nommée « dish-pile » par Pennati et al (2013) chez Clava multicornis). Des marquages TUNEL couplés à des marquages DAPI ont permis de localiser les cellules apoptotiques et d'observer la fragmentation nucléaire. Le profil apoptotique mis en évidence montre une nette polarité, puisque de l'apoptose est détectée au pôle aboral de l'ectoderme, et en opposition au pôle oral de l'endoderme. Au cours de la phase de nage et avant la fixation, l'apoptose se généralise dans l'endoderme, présentant un nombre important de cellules TUNEL-positives uniformément réparties du pôle oral au pôle aboral. Pour ce qui est de l'ectoderme, l'apoptose demeure localisée au pôle aboral. Parallèlement, la ventouse de fixation se forme, (structure nommée « suction-cup » par Martin & Chia (1982) chez Cassiopeia xamachana), composée de cellules glandulaires (neuro-sensorielles) mise en évidence par immunomarquage anti-tubuline-α (YL1/2). L'invagination au pôle aboral, conséquence de la mise en place de la ventouse, peut également être observée à la loupe binoculaire (permettant ainsi d'évaluer la progression de la métamorphose) ou encore en marquage DAPI.

De façon intéressante, j'ai mis en évidence que les i-cells, populations de cellules souches endodermiques, sont présentes dans l'endoderme et restent détectables par hybridations in situ (Che- Piwi et Che-Nanos) au cours de la métamorphose, alors qu'une apoptose généralisée est observée. Par conséquent, cette population se maintient (reste en place/survit) au cours de la métamorphose dans un contexte apoptotique marqué. Ces cellules produisent, entre autres, les nématocytes, qui migrent vers l'ectoderme. J'ai détecté par marquage DAPI concentré ces cellules, et mis en évidence leur migration par marquage phalloïdine permettant de visualiser les filaments d'actines. Alors que le maintien des i-cells et la production de nématocytes suggèrent de la prolifération dans l'endoderme, j'ai mis en évidence chez les planulas en phase de nage la présence de division (phase- S) par immunomarquage EdU. L'ensemble de ces travaux montre la présence, dans un même

cadre spatio-temporel, de phénomène d'apoptose, de prolifération et de migration chez la planula de Clytia hemisphaerica et ce, en métamorphose durant la phase de nage.

Les planulas en métamorphose en phase fixée sont particulièrement difficiles à obtenir, les décrocher du substrat conduit la plupart du temps à leur destruction. Par conséquent, les résultats présentés sur cette phase doivent être analysés à la lumière du peu de réplicats biologiques disponibles. Malgré cette contrainte inhérente à mon modèle et à la biologie de sa métamorphose, j'ai pu montrer que l'apoptose demeure présente dans l’endorme et l'ectoderme, au stade galette puis lors de la croissance du futur polype primaire. Au stade galette, les cellules glandulaires mises en évidence par marquages YL1/2 ne sont plus détectées, suggérant leur élimination par apoptose comme cela a été observé chez Hydractinia echinata (Seipp et al., 2010). L'apoptose en position centrale observée sur toute la longueur de la tige du futur polype primaire en croissance s'effectue probablement simultanément à l'ouverture de la cavité gastrique (les polypes issus de colonies ne présentent pas un tel profil apoptotique). Enfin, les hybridations in situ Che-Piwi ont montré que des marquages sont présents chez les polypes en développement, confirmant le consensus sur le maintien des i-cells au cours du cycle de vie des hydrozoaires.

Ces travaux ont permis de décrire les différents changements morphologiques et certains événements cellulaires au cours de la métamorphose de la larve planula de Clytia hemisphaerica. La métamorphose commence chez la planula nageante, qui après fixation va former une galette à partir de laquelle un polype primaire se développe après croissance du stolon et développement des tentacules. J'ai observé un profil apoptotique polarisé (marquage TUNEL, fragmentation nucléaire détectée en marquage DAPI), caractérisé par une généralisation de l'apoptose dans l'ensemble de l'endoderme durant la phase de nage de la larve en métamorphose. Dans ce contexte apoptotique, au niveau de l'endoderme, j'ai pu mettre en évidence : 1) de la prolifération (marquage EdU), 2) un maintien des cellules souches i-cells (hybridation in situ), et 3) la migration potentielle des nématocytes (marquage phalloïdine) suggérant leur différenciation.

La présence de ces comportements cellulaires dans un même contexte spatio-temporel nécessite vraisemblablement un haut degré de coordination et de communication. En raison de la capacité potentielle des cellules en apoptoses à modifier leur environnement cellulaire en lien avec une fonction constructrice, l'apoptose tient une place sans doute fondamentale dans le déroulement de la métamorphose.

Au vu de l'ensemble de ces données, Clytia hemisphaerica est un nouveau modèle biologique de choix pour étudier les rôles morphogénétiques de l'apoptose.

III.2. Perspectives

Il est possible de détecter l'apoptose par marquage TUNEL ou encore en observant la fragmentation nucléaire par marquage DAPI. Cependant, pour confirmer de façon certaine qu'il s'agit bien de ce type de mort cellulaire, d'autres vérifications doivent être effectuées. Une approche par microscopie électronique (Kerr et al., 1972) permettrait une identification certaine des caractéristiques morphologiques de l'apoptose.

De plus, la présence de caspases actives, caractéristiques moléculaires de l'apoptose, au cours de la métamorphose de Clytia hemisphaerica, peut être testée par une approche par Western-Blot (WB), qui permet de détecter les caspases actives.

Des travaux ont également montré que le clivage de PARP (poly-ADP-ribose polymérase) est caspase-dépendant (Sallmann et al., 1997), faisant de la recherche de la protéine PARP sous sa forme clivée par WB un indicateur classiquement utilisé pour évaluer l'activité des caspases, ce qui pourrait être réalisé chez Clytia hemisphaerica.

L’analyse du transcriptome disponible de Clytia hemisphaerica permettrait de détecter d’éventuels acteurs apoptotiques, tels que des caspases ou des membres de la famille Bcl-2. En réalisant des BLAST réciproques sur le(s) transcriptome(s) de Clytia (à partir des caspases de Homo sapiens), j’ai détecté deux séquences similaires à celles des vertébrés possédant chacune un domaine P20 avec le site actif QACQ, ainsi qu'un domaine P10. Les similarités de séquences couplées avec ces caractéristiques propres aux caspases suggèrent que ce soient deux caspases exécutrices potentielles (absence de pro-domaine long). Ce résultat confirme l'expression de caspases chez Clytia hemisphaerica. La réalisation d'hybridations in situ à partir de sondes spécifiques des ARNm de ces gènes permettrait de déterminer leur profil d'expression potentiel au cours de la métamorphose.

L'identification de caspases chez Clytia hemisphaerica donne l’opportunité de réaliser des analyses phylogénétiques afin d’identifier les relations d'orthologies avec les caspases des autres espèces de cnidaires modèles tels que Hydra, Hydractinia ou encore Acropora, afin d'étudier l'évolution de cette famille multigénique chez les cnidaires. En tant que groupe-frère des bilatériens, la compréhension de la signalisation apoptotique chez les cnidaires pourrait apporter des connaissances cruciales pour comprendre l'évolution de l'apoptose à l'échelle des métazoaires

.

Afin d'étudier les rôles morphogénétiques de l'apoptose durant la métamorphose, observer les impacts d'une exposition des larves à des inhibiteurs de caspases pour en évaluer les effets serait

fondamental. Cela permettrait de vérifier notamment si l'induction de la prolifération ou de la migration sont (ou non) caspase-dépendant. J'ai initié de tels travaux en utilisant du Z-VAD-Fmk mais pour l'instant sans succès. Malheureusement, le Z-VAD-Fmk est suspendu dans du DMSO, dont la toxicité sur les planulas provoque une mort cellulaire massive même à faible concentration (0.1µL de DMSO / mL). En effet, outre la désintégration de certaines larves, les survivantes, après exposition, présentait un marquage TUNEL positif pour tous les noyaux de l'ensemble des cellules de l'ectoderme, en opposition au profil polarisé (apoptose localisée au pôle aboral de l'ectoderme) que j'ai caractérisé en condition physiologique. Le même problème apparaît si l'inhibiteur est suspendu en éthanol 100 %, et mes expérimentations pour diminuer la quantité de solvant utilisé n'ont pas permis de résoudre ce problème. Par conséquent, il serait nécessaire de rechercher des inhibiteurs dont le solvant serait sans conséquences sur la physiologie des larves.

De la même manière que chez Ciona intestinalis, le profil apoptotique de Clytia hemisphaercia est polarisé puisque l'apoptose dans l'endoderme semble se propager du pôle oral vers le pôle aboral, et elle n'est localisée qu'au pôle aboral dans l'ectoderme. Or, l'expression de certains gènes de « patterning » présente également un profil polarisé dans la larve planula, y compris au cours de la métamorphose. C'est le cas notamment de Che-wnt3 dont l'expression déterminée par hybridation in situ chez des planulas en métamorphose en phase de nage montre une localisation ectodermique sur les deux tiers oral de la larve. Autrement dit, Che-wnt3 est exprimé dans l'ectoderme là où il n'y a pas d'apoptose. Comme chez Ciona intestinalis, un lien potentiel entre la polarité de la planula et le profil apoptotique existe probablement et doit être exploré. En effet, et de manière intéressante, il a été montré que les gènes de la famille Wnt peuvent jouer le rôle de facteurs de survie (Chen et al., 2001), ce qui pourrait expliquer l'absence d'apoptose dans l'ectoderme où Che-wnt3 est localisé. La micro-injection (technique mise en place et utilisée avec succès chez Clytia hemisphaerica) d’un morpholino Che-wnt3 afin de provoquer la perte de fonction de ce gène serait un bon moyen pour déterminer sa fonction au cours de la métamorphose.