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AVEC , VOIE D ’ ACCÈS À UNE SUBJECTIVITÉ JURIDIQUE RENOUVELÉE

115. La réflexion que nous allons proposer est rendue nécessaire par les questions soulevées lors de l’étude attentive des liens unissant le consentement et la subjectivité juridique, et ce particulièrement dans un contexte de recours croissant au concept par les justiciables, dans un sens qui parfois étonne (A). Pour y faire face, nous allons donc poser à la fois les hypothèses qui sous-tendent cette recherche, mais également le cadre dans lequel celle-ci va s’effectuer (B).

A : Les questions soulevées par l’étude des liens entre consentement et subjectivité juridique

116. Aussi, la recherche entreprise ici se fait-elle l’écho des incertitudes que cette délimitation du champ notionnel fait apparaître. Elle vise à tenter de montrer comment le consentement, catégorie essentielle du droit, constitue le médium par lequel se joue la problématique de la subjectivité juridique, à la fois sur le plan conceptuel mais également pratique.

117. En effet, derrière la définition du terme même de consentement, ce qui se joue, c’est bien la manière dont le droit, et avec lui, la communauté savante, entendent concevoir la subjectivité incarnée dans les règles de droit. Cette question ne revêt pas un intérêt simplement théorique, puisqu’aujourd’hui, ce qui paraît particulièrement frappant dans les revendications modernes, c'est justement l'omniprésence du consentement là où celui-ci était presque totalement ignoré il y a peu. Ceci s'explique probablement par le phénomène de contractualisation des rapports sociaux, c'est dire l'appréhension des relations intersubjectives sous l'angle du contrat.

118. Cette judiciarisation est, semble-t-il, à mettre en lien avec l'omniprésence du discours économique et de la notion de marché, qui contribuent toutes les deux à incorporer le droit et la question marchande dans des rapports autrefois purement privés. En effet, si le

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consentement est aujourd'hui mobilisé, c'est surtout en tant qu'instrument de revendication à l'égard de la puissance publique, et comme moyen permettant de justifier, une fois encore dans une logique purement procédurale, la soumission de rapports humains à un équivalent monétaire. En somme, l'impératif qui s'exprime prend la forme d'un « je consens donc j'ai le

droit »120.

119. Or, cette perspective récente aboutit à déconsidérer totalement le concept, tant au vu de sa répétition quasi incantatoire, que du fait que son instrumentalisation à des fins purement techniques aboutit à perdre de vue ce qui relève de l'ordre du sensible. Sous couvert d'un sentiment de liberté renouvelé, l'utilisation contemporaine du terme ne sert souvent que dans une logique purement possessive, appropriative de biens matériels. C'est donc la dimension marchande qui préside, au nom de cette même liberté qui dans le consentement ouvre sur l'immatériel d'un ressenti commun.

120. Aussi, la question centrale qui innerve cette recherche est-elle double. Dans un premier temps, il s’agit de prendre acte de l’indétermination du concept de consentement au sein de la sphère juridique, et qui dès lors, paraît se prêter à tous les usages, les plus heureux comme parfois les plus regrettables. Or, puisque celui-ci est bien posé comme un des éléments les plus fondamentaux du droit, une telle situation ne peut prospérer sans menacer la rationalité de l’édifice juridique dans son ensemble. Dès lors, cette recherche se conçoit comme une première tentative de réponse à une question aujourd’hui trop peu étudiée : qu’est-ce donc que ce concept, quels sont ses origines et son sens, et comment l’utilisation qui en est faite renseigne-t-elle sur ses évolutions à venir ?

121. Mais, ce premier aspect doit nécessairement être complété par un autre. En effet, que l’on s’en félicite ou s’en inquiète, le sujet de droit est, par définition, le principal acteur de la sphère juridique. Le consentement ne possède pas de mouvement qui lui est propre, et doit donc nécessairement être mis en œuvre par le biais d’un sujet humain qui le fait exister juridiquement. Dès lors, le consentement a nécessairement à voir avec la subjectivité, selon les usages qui sont reconnus possibles. En somme, étudier le consentement, c’est également, par voie d’incidence, faire face à la subjectivité juridique. Or, de manière troublante, cette dernière

120 Dans la même perspective, mais avec une lecture fortement critique, cf. M. Marzano, Je consens donc je suis, précité; Pour une version plus nuancée: G. Fraisse, Du consentement, Seuil, éd. Non conforme, 2007, 135 pages.

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fait également l’objet d’un relatif désintérêt sur le plan de la pensée. Dès lors, par le biais de l’étude du consentement à travers les âges, on pourra observer ce qu’il en est de cette subjectivité évanescente. On espère pouvoir ainsi répondre à la fois à la question de sa détermination, mais également au point de savoir si le consentement constitue un atout adéquat pour la faire exister au sein du droit ?

122. C’est donc dans la voie tracée par l’oscillation incessante entre ces deux notions, à ce point intriquées qu’elles paraissent parfois difficilement discernables, qu’il nous faudra avancer.

B : Formulation des hypothèses et cadre de la recherche

123. Afin d’essayer de démêler l’écheveau de cette signification, nous avons considéré nécessaire de séparer l’étude du concept en lui-même de ses manifestations dans le droit contemporain. Pour ce faire, et ainsi appréhender dans quelle mesure le consentement peut ou non constituer une voie d’accès efficace et pertinente à la subjectivité, il est essentiel de tenter d’observer quel sens ce dernier a pu recevoir dans l’histoire de la pensée juridique. Ce que nous souhaitons entreprendre ici, c’est une histoire, nécessairement lacunaire, de la manière dont le concept de consentement a pu être interprété au travers des époques. Plus précisément, les usages ainsi mis en lumière au travers du déroulement des siècles permettront d’illustrer à quel point le consentement constitue une sorte de chambre de résonnance de l’impensé juridique, tant au niveau du concept lui-même, que de la question de la subjectivité.

124. L’intérêt d’une telle étude n’est pas de fournir un pur objet de connaissance, dans une prétention à l’encyclopédisme qui serait nécessairement vouée à l’échec. Elle vise au contraire, à essayer de déterminer si le consentement peut bien jouer le rôle pour lequel il est aujourd’hui utilisé. Aussi, si dans l’histoire du consentement il est possible de remarquer une constante, grâce à laquelle on pourrait dire si oui ou non, le consentement est définitivement le marqueur de la subjectivité, alors on peut espérer qu’un tel éclairage permettra d’aider à une meilleure compréhension des débats contemporains. Ceci explique pourquoi une place conséquente sera laissée à l’histoire du droit, et plus généralement, de la pensée juridique centrée sur le seul consentement. Toutefois, la lecture ainsi effectuée se fera avec une

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vigilance constante à l’égard de ce que ces conceptualisations successives laissent comme place au sujet de droit, pensé ici dans son entièreté, c’est-à-dire non privé de sa capacité à ressentir.

125. Pour ce faire, nous prenons le parti de considérer le consentement selon un sens différent de celui qui a habituellement cours. Selon cette perspective, de manière bien plus fondamentale, le consentement n'est pas simplement cette forme d'accord, qui renvoie à une sorte d'extériorisation procédurale d'un ressenti. Il est, primitivement, cette faculté authentiquement humaine de pouvoir sentir-avec, c’est-à-dire d'être en mesure, à un instant déterminé, d'éprouver une disposition du sentiment identique à celui avec qui l'on consent. Il ne s'agit donc pas d'un mimétisme du sentiment, puisque celui-ci impliquerait un modèle qu'il s'agirait de copier, mais plutôt d'une identité synonyme de partage. Fort de cela, le consentement apparaît comme un concept qui souligne l'individualisation, puisqu’il est avant tout un ressenti personnel, mais aussi un opérateur de socialisation dans la possibilité offerte à un moment d'être en harmonie avec un extérieur à soi-même.

126. L’objection est aisée, qui consiste à dire que le consentement juridique, puisant ses origines dans le droit romain, fonctionne nécessairement sur la base d’un artificialisme qui lui serait consubstantiel121. Une telle objection, pour pertinente qu’elle soit sur le plan historique, n’est pas pour autant insurmontable. Premièrement, le simple fait que le droit romain a fonctionné sur ce registre n’implique en aucune façon que le droit contemporain doit faire de même. Ensuite, ce qui pouvait être pertinent et efficace dans un certain contexte ne l’est plus nécessairement aujourd’hui. En effet, l’utilisation du droit à l’époque romaine est très éloignée, à tout le moins, de l’usage qui est fait aujourd’hui de la règle juridique. Aussi, si cet artificialisme pouvait avoir un sens dans un contexte où le droit était majoritairement utilisé pour l’échange de biens économiques, il n’en va pas de même à notre époque, où le droit a très largement débordé cette façon de penser et de procéder. Dès lors, la recherche de la

121 Sur ce point, les travaux de Yan Thomas font figure de référence. Pour un résumé de ce positionnement, cf. O. Cayla, Y. Thomas, Du droit de ne pas naître. À propos de l’affaire Perruche, Gallimard, éd. Le Débat, 2002, 177 pages, p. 90-170 ; cf. également Y. Thomas, « Fictio legis - L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits, 1995, n°21, p. 89; Y. Thomas, Les Opérations du droit, éd. EHESS, Gallimard et Seuil, coll. Hautes Études, 2011, 368 pages; P. Thevenin, « L’institution, la casuistique et l’historien. Hommage à Yan Thomas », Tracés. Revue de Sciences humaines, 2009, n° 17, p. 157-164 ; Sur le thème de la fiction, cf. également R. Jacob, « Le juge et la fiction en Common Law et dans les cultures romano-canoniques », Institut des Hautes Études sur la Justice, 17 déc. 2012, version électronique disponible à l’adresse suivante :

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subjectivité à l’œuvre ou non dans les mécanismes du consentement, à travers les époques, n’est pas rendue inutile par cette considération.

127. Dans le même mouvement, et puisque comme nous l’avons déjà indiqué, le consentement trouve son origine première dans le champ philosophique, une part substantielle des développements à venir sera consacrée à ce que la philosophie peut nous dire, à la fois du consentement, tant individuel que social, et du lien que ce dernier entretient avec la subjectivité.

128. Néanmoins, la recherche conduite ne pourra porter sur toutes les manifestations du consentement. En effet, ce dernier irrigue à ce point l’ensemble du droit qu’une étude exhaustive ne pourrait être menée dans l’espace que propose une thèse. Il faudrait en effet plusieurs volumes de taille très conséquente pour espérer pouvoir circonscrire l’ensemble des usages du terme.

Aussi, ce travail ne contiendra pas de développements substantiels consacrés au droit du travail, dans lequel le consentement joue également un rôle très important, et qui permet d’illustrer certaines questions fondamentales en lien avec la thématique de la subjectivité et de la variabilité du consentement122. De manière analogue, nous n’étudierons pas le droit

international au sens large, aussi bien car cette recherche vise davantage les personnes physiques que les personnes morales, mais également car ce domaine nous a semblé moins illustratif des problématiques du consentement que d’autres. De même, tous les points abordés ne donneront pas lieu nécessairement à des développements de taille équivalente. Ainsi, dans l’hypothèse d’une comparaison entre un régime juridique dit de droit privé et un régime de droit public, si le second se différencie peu du premier, alors nous ne préciserons pas outre mesure le propos123.

Enfin, il paraît nécessaire ici de rappeler que cette recherche est avant tout une recherche de droit public. Dès lors, même si nous récusons la dichotomie habituelle en la

122 En effet, le droit du travail est un domaine souvent évoqué lorsqu’il s’agit d’exemplifier une situation caractérisée par un différentiel de puissance entre des parties aux contrats, de telle sorte que l’on s’interroge sur la validité du consentement émis. De manière analogue, s’agissant par exemple de la variabilité du terme de consentement, l’hypothèse de la cession d’entreprise pourrait être utilement étudiée (Art. L. 122-12 al. 2 du Code du travail).

123 On le verra, cette précision joue surtout pour l’hypothèse des vices du consentement, qui sera davantage étudié sur le plan du droit privé que du droit public. Ceci s’explique à la fois par la faiblesse relative de la littérature sur ce domaine en droit public, et par le fait que le régime ne présente pas de différences fondamentales susceptible d’engendrer le besoin d’une réflexion de taille équivalente.

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matière au profit d’une approche transversale et interdisciplinaire, il n’en reste pas moins qu’il est toujours nécessaire, au moins sur le plan administratif, de choisir un domaine d’accueil. Cette nécessité aura eu au moins une conséquence, à savoir le fait que les analyses relevant du droit privé, pour importantes qu’elles soient, ne pouvaient pas occuper l’essentiel du travail de recherche

C’est pourquoi, afin d’assurer la possibilité même de l’étude, nous avons pris le parti de sélectionner des usages divers du consentement, qui empruntent chacun à des domaines différents du droit, mais qui illustrent tous un aspect particulier du concept, et de son lien avec la subjectivité. Dès lors, le droit privé des obligations sera abordé, ne serait-ce que parce qu’il permet d’appréhender l’origine de la thématique contractuelle, et qu’il imprègne l’ensemble de la pensée à l’égard du consentement ; le droit public également, au travers de la question du vote ; le droit pénal, lorsqu’il s’agira d’étudier le consentement dans la thématique sexuelle, mais aussi le droit de la santé, dans lequel le consentement joue un rôle absolument fondamental.

129. Ce parti pris en faveur de situations particulières et circonstanciées d’usages du consentement constituera le fil conducteur de notre progression au travers du droit contemporain. La perspective sera donc double : en lien avec la subjectivité, nous étudierons donc le consentement d’un point de vue personnel, mais aussi collectif. De la même manière, on raisonnera en prenant appui sur les qualificatifs qui accompagnent usuellement le consentement : son caractère personnel, libre et éclairé. C’est par le biais de ces situations et de ce prisme que l’on verra se dessiner les contours du concept, tout comme le caractère essentiel des problématiques auxquelles il lui appartient de faire face.

130. Ce faisant, pour tenter de répondre aux interrogations soulevées, on envisagera successivement le consentement et la subjectivité dans une perspective historique et philosophique (Partie I), avant de s’attacher à étudier et comprendre comment cet éclairage permet de mieux saisir le fonctionnement du consentement dans le droit contemporain, au travers de l’étude de son régime (Partie II).

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PARTIE I : CONSENTEMENT ET SUBJECTIVITE : UNE LIAISON