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Visualisation des effets

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5 Discussion

5.2 La complexité des voies intervenant dans l’effet de la canneberge sur l’adhésion

5.2.3 Visualisation des effets

5.2.3.1 Effets de la canneberge en microscopie électronique

Les extraits de canneberge affectent les structures de surface (127, 148, 156, 196, 201, 216). En microscopie électronique (MET) nous avons constaté que les bactéries inhibées n’avaient aucun pili, plus de flagelles et étaient plus allongées et très denses. Nous avons eu des difficultés à avoir suffisamment de bactéries visibles, et observé parfois des flagelles cassés ou tronqués, alors que nous avions adapté les conditions de préparation des échantillons, notamment par centrifugation douce (2000 t/mn pendant 5 mn) (15mn à 190g, (201)).

Johnson et al. (216) ont montré que la morphologie d’E.coli et la structure de surface sont modifiées après incubation dans du jus ou en présence d’extraits de canneberge, sans que la coloration de Gram ne soit altérée. Les bactéries sont plus longues, certaines en cours de division, la septation semblant plus difficile, ce qui expliquerait que la cellule grossisse (92); il n’est pas exclu que la canneberge ait également un impact sur la septation.

Les structures de surface telles que les fimbriae et les lipopolysaccharides sont modifiées par la canneberge (78), avec une diminution de la taille et de la densité des Fimbriae P (127, 139, 201). La description des effets de la canneberge sur la morphologie des bactéries fait l’objet de variations dans la littérature :

1. En cultivant E.coli sur des géloses riches en canneberge, Ahuja (127) constate l’absence de fimbriae en MET.

2. Ultérieurement, Liu (201) constatera que plus les concentrations de canneberge sont élevées plus les fimbriae apparaissent tassées près de la paroi cellulaire, la région correspondante devenant plus dense. La canneberge affecte directement les fimbriae de souches fimbriées et ne modifie pas la surface de souches afimbriées. Cet effet est immédiat, les hypothèses avancées par les auteurs sont non pas une disparition des fimbriae, mais une altération de la configuration des P fimbriae (raccourcissement de 148 à 48nm) et un blocage de l’adhésivité des P fimbriae (diminution de l’hydrophobicité des fimbriae, la surface se liant à des composés hydrophiles. L’élimination des P fimbriae de la cellule, les modifications génotypiques ou phénotypiques des souches fimbriées empêchant l’expression des fimbriae, ne sont cependant pas retenues par les auteurs pour expliquer le phénomène. Enfin, l’exposition à la canneberge pendant un laps de temps court <3h, en dehors de toute croissance bactérienne, produit des changements importants et réversibles des propriétés de surface (201).

3. Wojnicz (146) retrouve des bactéries ayant une morphologie et des filaments normaux, mais avec des modifications de leur hydrophobicité. Ceci pourrait expliquer en partie la réduction de l’adhésivité en présence de canneberge, les bactéries devenant plus hydrophiles pour des doses plus élevées, ce comportement étant toutefois souche-dépendant. Par ailleurs, des modifications de forme (bacille vers sphères coccoïdes ou à l’inverse des formes quasi filamenteuses) et des lésions morphologiques avec perte de l’intégrité de la paroi, de la membrane et du cytoplasme ont aussi été observées.

4. Hidalgo et al. (196) observent en microscopie électronique de nombreux flagelles chez les bactéries cultivées dans le bouillon témoin, alors qu’en présence de canneberge, les flagelles sont rares, voire absents, ce qui concorde avec nos observations.

5. Les observations de Johnson et al. (216) vont dans le même sens puisqu’en microscopie électronique les changements liés à la canneberge impactent le flagelle, avec une réduction de l’expression des protéines liées à la pièce basale et des protéines

du moteur, tout en notant que pour des expositions prolongées, l’effet anti-adhésion lié aux fimbriae P devient moins pertinent du fait de la raréfaction des fimbriae P.

En outre, il se produirait un changement des propriétés à la surface des bactéries se traduisant par des modifications de la distribution des potenteils électriques(143). La canneberge affecterait aussi les systèmes de signalisation de bactérie à bactérie chez certains Vibrio (240). Comme vu précédemment, du fait des oscillations ON/OFF, il est possible que 2 sous-types de populations bactériennes, fimbriées et non fimbriées soient présentes au moment où elles sont fixées pour être ensuite colorées pour les observations en MET.

5.2.3.2 Effets de la canneberge sur la mobilité en gélose molle

La mobilité qui a le plus diminué à T48h sous C102 est le swarming, flagelle-dépendante. Ceci est particulièrement intéressant car c’est probablement ce type de mobilité qui rend compte de la physiopathologie de l’infection (92) : en effet, dans un organe tel que la vessie, les bactéries ne se meuvent pas sous forme planctonique dans l’urine (elles auraient à faire face au flot d’urine), mais probablement par swarming. Elles se déplacent en progressant par rafts à la surface de l’urothélium, comme elles le feraient aussi sur une sonde vésicale, au sein d’un biofilm (241). Ceci soulève d’ailleurs la question de l’intérêt, pour l’heure controversé, de la canneberge dans la prévention des infections urinaires associées aux sondes intra- vésicales (215, 241, 242). Enfin, le swarming jouerait également un rôle dans la protection des bactéries à l’égard de la phagocytose par le système histiomacrophagique de l’hôte.

Wojnicz et al. (146) ont retrouvé une diminution de la mobilité matérialisée par les diamètres moyens observés sur des géloses swimming.

Les flagelles étant essentiels pour les deux types de motilité, swimming et swarming, Hidalgo a constaté que le swimming était bloqué à forte concentration de canneberge et atténué à de plus faibles concentrations. L’inhibition du swarming sur milieu LB était plus prononcée apparaissant à des concentrations inférieures de canneberge, ce qu’elle explique par le fait que un seul flagelle peut encore permettre le swimming mais que plusieurs sont nécessaires pour le swarming, ce qui est en accord avec ce que nous avons observé.

Cependant, Nicolosi (221) n’a pas observé de réduction de motilité swarming chez E.coli sous l’effet de la canneberge, alors qu’elle est observée chez P. mirabilis et chez P.aeruginosa

(243-245), y compris sur des substrats en silicone(246). Le gène flhD serait surexprimé pendant les phases de swarming, son expression étant réduite en présence de PAC.

Dans nos conditions d’essai, la motilité est réduite lorsque le composé C102 est présent dans la gélose molle. Lors des essais sur gélose sans C102, aucune réduction significative du diamètre de la colonie n’a été observée malgré les 10 subcultures préalables. Ceci pourrait indiquer une réversibilité très rapide de l’effet canneberge au cours des doublements de génération. Cette réduction du diamètre est également observée en absence de subcultures sur C102, par simple addition de C102 à la gélose molle, ce qui pourrait indiquer soit un effet direct, immédiat, soit une adaptation durant la croissance bactérienne, sur les nouvelles générations qui deviennent donc non ou peu motiles. La nécessité d’un tel contact persistant avec C102 pourrait être explorée dans le domaine de la prévention des IU sur matériel endo- vésical, par exemple, en l’enduisant de canneberge.

Dusane a décrit d’autres produits, tels certains alcaloïdes, comme la pipérine contenue dans le poivre noir ou encore la réserpine comme ayant un impact sur la mobilité (235), se traduisant par une réduction du swarming et du swimming, la qRT-PCR traduisant une moindre expression des gènes fliC, motA et motB.

5.2.3.3 Effets de la canneberge sur la mobilité en microscopie à champ large

Les essais en champ large réalisés directement sur la 10ème subculture en présence ou non de C102 constituent la démonstration physiologique majeure des modifications observées antérieurement.

En microscopie champ large, nous observons sur les séquences dynamiques que la mobilité des bactéries cultivées en présence de C102 1%P/V se traduit par un ralentissement très important de la vitesse linéaire, les bactéries ne conservant plus qu’un mouvement brownien.

Les films réalisés nous permettent de conclure sur la perte significative de motilité orientée (ou du moins rectiligne) en présence de C102, motilité liée aux flagelles. Seuls les mouvements browniens persistent (considérés < 5µm). Les paramètres impactés sont alors la distance de déplacement linéaire, la rectitude, et dans une moindre mesure, la vitesse. Ces résultats sont corroborés par nos observations en MET avec perte visible de flagelles.

Les mécanismes mis en jeu lors d’un traitement par la canneberge sont encore difficiles à expliquer dans leur ensemble. Cependant, ils pourraient être en liaison avec des modifications drastiques des caractéristiques de surface de E. coli : hydrophobicité/hydrophilie de la

structure pariétale et donc de sa composition, voire de l’externalisation de flagelles et fimbriae efficients. Liu et al. (201) ont ainsi suggéré que le jus de canneberge pouvait affecter les polymères de surface de la bactérie et donc l’adhésion (observations en MFA) et plus récemment qu’il était capable de rompre la liaison ligand-UC receptor (approche thermodynamique) (128). Ces observations sont également en lien avec les changements de morphologie notés chez E. coli après croissance en présence de jus ou d’extrait de canneberge. Les auteurs notent dans le même temps une répression de la transcription des protéines du corps basal et du rotor du flagelle, ainsi qu’une réduction des fimbriae P par simple observation (216). Ce point n’a pas été observé durant nos expérimentations ou du moins est non confirmé par l'approche Affymetrix.

Nos observations indiquent clairement une réduction globale de l’expression des composants du flagelle ainsi que de certains fimbriae chez E. coli UTI89 après 10 subcultures sur extrait de V. macrocarpon et constituent la première démonstration de la modification des facteurs de motilité comme la vitesse ou la distance linéaire, confirmant ainsi qu’il s’agit d’une cible majeure ou plutôt d’une résultante majeure de l’impact de la canneberge.

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