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Partie 1. Contextualisation

1.3 Cadre théorique

1.3.1 Les rapports de genre – des asymétries universellement ancrées

1.3.1.8 Violences

Terminons ce cadrage sur les rapports de genre en développant la notion de violence. Voici l'une des définitions des violences basées sur le genre, selon l’Institut Européen de l’Égalité de Genre : « violence commise contre une personne sur la base de son genre. Elle constitue une atteinte au droit fondamental à la vie, à la liberté, à la sécurité, à l’égalité de genre, à la non-discrimination, ainsi qu’à l’intégrité physique et mentale »64.

En Inde, le niveau de violence domestique en milieu rural reste très élevé. Cela peut représenter un frein à l'accès aux ressources alimentaires dans le sens où le travail de production ou de commercialisation des produits sera entravé par les conséquences de la violence. A l'inverse, lorsque les denrées viennent à manquer, la violence domestique tend à être exacerbée (de la part des hommes mais aussi des belles-mères), et la consommation d'alcool à augmenter (Hossain et Green, 2011). Dans ces circonstances, les femmes peuvent être amenées à se déplacer dans le but de trouver de la nourriture pour le foyer, déplacements qui augmentent le risque d'agressions. Il arrive également que certaines femmes soient amenées à se prostituer pour obtenir de la nourriture (De Walque, 2014). D'autre part, le mariage peut être un moyen d'améliorer son accès à l'alimentation, ce qui conduit certaines familles à procéder à des mariages précoces et/ou forcés.

Cette violence conjugale est particulièrement présente chez les personnes en bas de l’échelle sociale. Kamala Marius65 se réfère à une étude réalisée en 2011 (Barker et al.) et rapporte

par exemple que « le fait de sortir sans permission (39 %), de négliger les tâches ménagères (35 %), de ne pas bien faire la cuisine (29 %) étaient des raisons suffisantes pour que les femmes soient battues66 ». De plus, elle rapporte que de nombreux hommes (20%) affirment

avoir déjà abusé sexuellement leur conjointe.

Françoise Héritier s'est penchée sur la raison de cette universelle infériorité des femmes par rapport aux hommes. Elle émet l'hypothèse que les hommes ressentent une angoisse par rapport au fait que les femmes sont capables de reproduire d'autres êtres humains, et que les hommes se demandent alors quelle est leur utilité, quel est leur rôle dans ce processus de création. Leur réponse se trouve dans le contrôle de ce qui leur échappe, la reproduction.

64 http://eige.europa.eu/content/what-is-gender-based-violence

65http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/le-monde-indien-populations-et- espaces/corpus-documentaire/inegalites-genre-inde

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Cela expliquerait plus largement le contrôle du corps des femmes, et les violences perpétrées pour cela.

Focalisons-nous sur le domaine des agressions sexuelles, pour illustrer des situations extrêmes, mais courantes, de l'appropriation du corps de la femme. Le Docteur Marc Ravart67, psychologue et sexologue clinicien, nous éclaire sur les auteurs de violences

sexuelles envers les femmes, en établissant une typologie des agresseurs.

Le premier groupe fait référence à des hommes utilisant le viol comme moyen pour se rassurer sur leur puissance (compensation). Il s'agit de diminuer l'anxiété générée par une dissonance entre leur personnalité et les injonctions de virilité extérieures. Serge Rabier ajoute : « en essayant de se conformer à des représentations hégémoniques de la virilité,ces hommes, le plus souvent de compétence sociale faible, sont par ailleurs peu conscients de commettre un acte violent68».

Le deuxième groupe englobe des hommes entendant exprimer leur droit à la domination. Dans ce cas, ils peuvent ressentir une légitimité à agir de la sorte. Leur violence augmente si la victime résiste, car cela sera interprété comme une remise en cause de leur puissance. Contrairement au type de viol précédent, celui-ci peut ainsi s'accompagner d'humiliations, la victime étant transformée en objet de fantasme.

Le troisième type est nommé « colère et rage vengeresse ». Il s'agit d'une agression impulsive et brutale pouvant aller jusqu'au meurtre, expression d'un « ressentiment envers les femmes dont les causes peuvent être multiples (psychologiques, sociales, familiales…)69 ».

Enfin, la dernière catégorie regroupe des agressions de l'ordre du sadisme. Le violeur prépare son acte (rituel prolongé) afin de réaliser ses fantasmes de type « déviants » et violents. La violence sera de type physique et psychologique, avec usage de la torture, pouvant aboutir à la mort.

Cette typologie est à mettre en relation avec les caractéristiques de la masculinité hégémonique, que nous développerons un peu plus loin, qui offrent un environnement propice à la manifestation des violences. Il semble primordial d'identifier et de s'interroger sur les attributs d'un « vrai » homme au sein d’une société patriarcale. Quels sont les rôles et conduites attendus de la part des hommes, quelles sont les valeurs qu'ils doivent incarner ? Ce modèle dominant de masculinité est donc socialement et culturellement construit,

67 http://www.sfms.fr/cube/2008-CIFMS_Ravart_Marc_presentation.pdf 68https://www.fun-mooc.fr/asset-

v1:USPC+37011+session01+type@asset+block@Rapports_de_domination_masculine_%C3%A0_travers_les_violences _de_genre_-_Quelques_caract%C3%A9ristiques_culturelles_et_normes_sociales-_Serge_Rabier.pdf

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impliquant la soumission de la femme mais aussi le rejet des hommes ne correspondant pas à ce modèle : discriminations, exclusion, suspicion ou encore répression. On peut donc repérer des violences à l'encontre des femmes, d'autres hommes ou bien retournée contre l'homme lui-même.

L'enracinement des cultures patriarcales est tel qu'il est possible d'observer une légitimation de la domination, quasiment de l'ordre du naturel. Ainsi, l'homme aura globalement plus de légitimité à s'imposer dans l'espace social, et dans une certaine mesure à agir avec violence en toute impunité. Dans certains pays, on va jusqu’à fermer les yeux sur la violence domestique, ou bien glorifier la violence dans la sphère publique à travers les guerres par exemple, ce qui participe au régime de justification de ces violences.

D'autre part, comme on a souligné l'expérience contradictoire du pouvoir précédemment, les différentes formes de violence exercées par l'affirmation de sa virilité représentent une réponse à cette dissonance cognitive. On peut ajouter que le fait que l'empathie soit considérée comme une aptitude féminine amène nombre d'hommes à ne pas être conscients des douleurs causées, que leurs manifestations sont exagérées ; d'autant plus qu'eux-mêmes sont appelés à ne pas montrer ou même ressentir les douleurs.

Toutefois, on ne demande pas aux hommes de refouler toutes leurs émotions. En effet, certaines sont socialement acceptées, en particulier la colère. Cette émotion peut donc remplacer celles « non autorisées », et peut prendre différentes formes d'expression, énumérées par Serge Rabier : « l’impatience par rapport aux choses dues, l’intonation de la voix forte, impérative, interruptive et tranchante, les dépréciations, les moqueries, les critiques, les violences verbales, psychologiques et bien sûr physiques70 ».

Pour finir, on peut ajouter que lorsqu'un enfant est témoin de violences envers une ou plusieurs femmes à l'intérieur d'un foyer, il est possible qu'il intériorise cette violence, et la reproduction de ce modèle est alors assurée (répétition de violences ou tolérance).

En parlant de l’Inde, Van Woerkens (2010) rappelle que les visions occidentales de la femme indienne victime ne doivent pas nous faire oublier que « les oppressions que subissent les femmes indiennes sont un miroir des nôtres, passées ou présentes ».