• Aucun résultat trouvé

Partie 1. Contextualisation

1.3 Cadre théorique

1.3.3 Construction des identités

1.3.3.3 Construction des identités de genre en Inde et sexualité

Mettons maintenant en perspective la manière dont les identités de genre sont construites en Inde rurale avec l’apprentissage de la sexualité. Durant l'enfance, les rôles de chacun sont déjà séparés de manière claire. Dans une société dominée par les hommes, les adolescents sont peu en contact avec les filles. On peut observer que l'éducation sexuelle se fait par l'intermédiaire des pairs et de la pornographie. Il existe un terme, « khillazadi », qui se réfère à l'apprentissage de la sexualité en épiant secrètement d'autres personnes pendant l'acte sexuel, puis en rapportant ensuite ces observations à ses amis (Verma et al., 2004).

67

sexuelles. De nombreux hommes considèrent que leur virilité pourrait être compromise s'ils n'ont pas de multiples partenaires sexuels et qu'ils utilisent des préservatifs (Greene, 1997). La différentiation des rôles s'accentue à l'adolescence, lorsque les garçons acquièrent de nouveaux privilèges comme plus d'autonomie, de mobilité, de pouvoir, d'opportunités... tandis que les adolescentes font l'expérience de plus de restrictions, spatiales par exemple, ou bien encore on les retire de l'école, et on contrôle leurs interactions avec les personnes de sexe masculin. Les jeunes femmes sont éloignées de la sphère publique pour se préparer à leur futur rôle d'épouse, et de mère. Ainsi, dès leur plus jeune âge, elles aident leurs aînées à accomplir les tâches domestiques (garde des enfants, préparation des repas, travail agricole...) tout en étant priées d'adopter une attitude de docilité et de respecter les règles. Par conséquent, elles sont amenées à fournir plus de travail et à jouir de moins de loisirs. Les restrictions spatiales sont justifiées par l'idée de la protection de l'honneur de la famille, soit en mettant les filles à l'abri des agressions sexuelles, ou bien en prévenant d'éventuelles explorations de la sexualité ; et lorsqu'elles sortent, elles se doivent d'observer un strict code de conduite, comme éviter les regards directs. Pendant ce temps, les garçons sont encouragés à faire preuve d'autonomie et d'indépendance. Les stéréotypes qui leurs sont associés, « actifs », « agressifs », « leaders », « téméraires », et « imposant le respect » font partie de la préparation de leur rôle de soutien de famille. Ils devront prendre les décisions, « protéger » leurs sœurs et femmes, s'assurer de l'éducation des jeunes frères, s'occuper des parents âgés, et exceller dans leur activité professionnelle (Gore, 1977 ; Kakar, 1996). Les stéréotypes liés aux femmes correspondent à ces qualités : être « belle », « affectueuse », « émotive », « attentionnée ». Dans cette société patriarcale, on attend d'elles qu'elles soient obéissantes, « bonnes », qu'elles aient le sens du sacrifice. On les a élevées de manière à ne pas remettre en question les discriminations, l'exploitation ou la subordination. D'ailleurs, il existe un terme, « paraya dhan » signifiant que la place de la femme est « ailleurs », c'est à dire dans la famille de son époux. Pour cette raison, le temps passé dans son foyer d'origine constitue une période de préparation à cette destinée. Pendant l'enfance, on attend des filles qu'elles jouent avec un certain type de jouets (poupées...), qu'elles restent proches de la maison pendant leurs jeux, afin qu'elles soient disponibles rapidement pour effectuer les corvées domestiques. Les garçons, eux, joueront avec des petites voitures et de fausses armes, éloignés de la maison. On peut également souligner ces différences dans le domaine du sport, où les hommes sont encouragés à pratiquer le cricket, le football ou la boxe, tandis que les femmes peuvent pratiquer une palette d'activités restreinte (Verma et Mahendra, 2004). Ces stéréotypes sexistes sont entretenus par les médias, notamment par la publicité

68

qui promeut par exemple les produits de beauté, ou bien certains produits alimentaires. Ce modèle de socialisation incite les hommes à investir un comportement de contrôle des autres femmes et en particulier de l'épouse.

La masculinité hégémonique et la féminité définie par les normes sociales dominantes ont leur vocabulaire : « asli admi » ou « asli mard » font référence au « vrai homme » et « asli aurat » à la « vraie femme83 ». Les hommes présentant des caractéristiques associées à la

féminité seront qualifiés de « namard », littéralement « émasculé ». Dans l'étude menée par Verma et al. (2005), les interrogés associent des caractéristiques physiques (muscles, taille du sexe...), des attitudes et des comportements à la notion de « vrai homme », ainsi que la capacité d'avoir des enfants. Les attributs physiques ont leur importance dans la mesure où ils sont sensés attirer les femmes et augmenter les performances sexuelles dans le but de satisfaire ces femmes ; certains ont évoqué le risque que les femmes deviennent infidèles s'ils ne remplissent pas ces critères. On peut ajouter que les garçons sont très tôt encouragés à avoir une activité sexuelle. Ces avantages permettent également aux hommes de se situer dans leur groupe de pairs et leur communauté. Des comportements violents (physiques, sexuels, psychologiques) ont été également qualifiés comme faisant partie intégrante du « vrai homme ». Le harcèlement d'ordre sexuel dans les lieux publics par exemple n'est pas considéré comme tel mais plutôt comme une manière de prouver sa virilité, et d'attirer les femmes. Les jeunes hommes de l'enquête ont tendance à déclarer que ces comportements sont accentués lorsqu'ils en viennent à ressentir une certaine défiance envers leur masculinité.

Ceux qui transgressent ces normes seront désignés comme homosexuels84. Les préjugés

contre les homosexuels entraînent des dégâts d'un point de vue psychologique notamment (mauvaise estime de soi, suicides...). Cela amène les hommes à rejeter et à éviter certains comportements considérés comme féminins (et donc émasculants), comme faire preuve d'attention envers les autres ou protéger leur santé. Cette pression est à l'origine de prises de risques dans les comportements sexuels. Ces contraintes entravent la circulation des informations autour de la sexualité et favorisent les violences sexuelles et les risques pour la santé, comme la propagation de maladies (FHI, 2002). La domination masculine, perpétuée à travers ces pratiques, empêche les femmes de disposer de leur corps, et de communiquer sur ce sujet « honteux » qu'est la sexualité, réservé aux hommes, même avec les autres

83 Voir annexes H et I

84 J’ai jusque-là trouvé dans la littérature une condamnation de l’homosexualité dans les représentations, mais Chowdhry (2011, p 249) affirme que « des études montrent qu’en Inde du Nord en milieu rural, l’homosexualité n’est pas considérée comme bizarre ou contre-nature, mais est plutôt considérée comme temporaire » (traduction personnelle)

69

femmes. Elles partagent donc peu autour des questions de contraception ou de reproduction (Desai, 1994). De plus, aborder ces discussions pour des jeunes filles pourrait entraîner une suspicion d'activité sexuelle quand la préservation de la virginité est un enjeu primordial pour l'honneur de la famille.

Les stéréotypes de genre encouragent l'infidélité des hommes, les relations sexuelles contraintes, les violences domestiques, et réduisent la mobilité des femmes, leur accès à l'éducation et aux services. Dans la mesure où les interactions entre hommes et femmes apparaissent si contraintes, il n'y a pas d'espace pour échanger sur la sexualité, qui est alors basée sur la peur et la honte. Verma et Mahendra (2004) parlent d'une « culture du silence ». La sexualité apprise à travers les films populaires dans des contextes de violence et d'alcool (Ramakrishna et al., 2003), associé à cette omerta, perpétuent les rapports de pouvoir, au détriment des femmes, mais aussi des hommes.

En conclusion, la sexualité est socialement construite et reflète les normes de la société dans laquelle elle s’exprime.