renouvellement, largement questionné par les sciences humaines
1- La ville, espace organique de l’homme ; la cité, espace politique du citoyen
Les villes apparaissent comme le lieu privilégié de l’élaboration du patrimoine. Les institutions mais aussi les acteurs locaux sont désormais partie prenante dans la construction des prises de décision concernant le patrimoine local, surtout quand elles sont connectées à des reconfigurations urbaines dont les enjeux et le devenir sont périodiquement discutés dans l’espace public. La ville poursuit ainsi un processus de patrimonialisation, affichant une croissance constante de la place des politiques publiques
relatives au patrimoine215. Le Préambule de la Valette pour la sauvegarde et
la gestion des villes de 2011 reflète bien cette évolution. Il définit la ville
comme un échelon fondamental dans les bouleversements mondiaux qui
soumettent l’humanité à des épreuves nouvelles : « L’humanité se trouve
aujourd’hui confrontée à une série de changements. Ces changements concernent les habitats humains, en général, les villes et ensembles urbains, en particulier. La globalisation des marchés et des modes de production provoque
214
DA LAGE, Emilie, GELLEREAU, Michèle, LAUDATI, Patrizia, « Introduction », in
Espaces urbains, espaces publics, paroles et interprétation des habitants, Etudes de communication, op cit
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des mouvements de populations entre les régions et vers les villes, principalement les grandes villes. Ces changements dans la gouvernance politique et les pratiques entrepreneuriales entraînent de nouvelles constructions et conditions de travail dans les zones urbaines. Ceux-ci sont aussi indispensables pour lutter contre la ségrégation et le déracinement social, et contribuent aux efforts renforçant cette lutte. »
En effet, le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, se conçoit de plus en plus comme le témoin de l’inscription de la ville dans l’histoire et de la participation de la cité aux grands mouvements de la civilisation, de moins en moins comme un patrimoine uniquement artistique et savant. Il est ensuite édifié en signe de l’identité urbaine, des relations singulières de la ville avec le monde ancien. La réappropriation du passé s’impose ainsi en contre point
à l’atomisation sociale216.
La cité est, dans son sens premier, l’ensemble des citoyens. Elle prend donc une forte dimension politique. La notion de cité est insécable de celle d’espace public. Dans l’appréhension des politiques culturelles et patrimoniale, la cité permet d’analyser non seulement ces politiques, mais aussi les réactions citoyennes qui répondent, dans un espace politique et de publicité commun.
a- La ville, espace organique de l’homme
Henri Laborit dans son ouvrage L’homme et la ville, paru en 1971, définit la ville comme un système à part entière, en appliquant les lois de la cybernétique à l’analyse de son fonctionnement : le groupe humain (effecteur) produit la ville (effet) dans le but de contrôler sa structure, avec un objectif de maintien du groupe social constitué. En retour, la ville rétroagit sur le groupe humain. Ainsi, la transformation de l’environnement induit une
216
Daniel GRANGE, in GRANGE, Daniel J. et POULOT, Dominique, L’Esprit des lieux.
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transformation de l’homme. La corrélation entre civilisation, rapports humains
et structures de la ville est profonde217 . Joël de Rosnay reprend à son tour,
dans Le macroscope, où il expose les fondements de la pensée systémique,
le concept d’une ville constituée en système : « La structure de la ville agit
comme un catalyseur, accélérant le développement des idées philosophiques et religieuses, des sciences et des techniques, des arts et des concepts politiques. En organisant le foisonnement, la confrontation, l’expérience, mais aussi la sanction, ce prodigieux centre d’innovation attire, valorise ou engouffre, tantôt les hommes, tantôt les idées, comme un tourbillon sans fond.
Car la ville est une machine à communiquer ; un immense réseau au sein duquel la majorité des activités qui s’y déroulent a pour but l’acquisition, le traitement et l’échange d’information. »218 Sur le plan de l’action politique dans le domaine de la culture et du patrimoine, les élus de la municipalité recueillent en effet le plus d’informations possibles auprès de leurs administrés pour répondre à leurs demandes et à leurs besoins. En y répondant, ils créent à leur tour de l’information qui nécessite une communication devant être diffusée. A cette communication institutionnelle, répond de nouveau une communication citoyenne, associative ou interpersonnelle.
La circulation de l’information est également sensible puisque l’individu, arpentant la ville, reçoit une information sensible qui produit de l’affect. Le patrimoine bâti mais aussi sensible et vivant constitue une part essentielle dans la construction des rapports de l’homme à sa ville et à son identité.
b- La cité, espace politique du citoyen
« Pour les anciens, la morale politique prolongeait la morale individuelle. La vertu de l’individu s’élargissait aux dimensions de la cité, conduisait à la politique selon la justice, sans néanmoins cesser d’être une affaire personnelle et une
217
LABORIT, Henri, L’homme et la ville, Flammarion, coll. Nouvelle bibliothèque scientifique, Paris, 1971, 221p.
218
DE ROSNAY, Joël, Le macroscope. Vers une vision globale, Paris, Seuil, 1975, 346 pp., p.53
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quête du bonheur. La question : « Comment dois-je vivre ?» se séparait rarement d’une autre : « Comment la cité doit être gouvernée ? » Les philosophes du siècle des Lumières eurent, eux aussi, le sentiment et soutinrent le principe du caractère inséparable de la vertu personnelle et de la vertu politique.»219. Par ces quelques mots, le philosophe Jean-François Revel montre l’importance intellectuelle de la cité en tant qu’objet historique mais aussi en tant qu’idéal ou horizon de réflexion dans la pensée occidentale contemporaine. L’influence du modèle de la cité grecque se ressent encore dans cette approche, notamment par la filiation de toute la tradition de la pensée philosophique occidentale depuis les Lumières. La notion fait souvent référence à la cité dans le cadre de la démocratie athénienne, qui représente
un idéal politique220.
Au sens premier, issu du grec « polis », la cité est une cité-Etat avec ses propres structures qui possède une unité politique ainsi qu’une société politique autonome. Elle se construit par une étape originelle qui est le rassemblement territorial de plusieurs groupements humains : le synécisme, l’unification territoriale. Vient une seconde étape, quasiment simultanée, la
sympolitie qui se traduit par l’unification politique221. Les origines grecques de
la cité nous rappellent que cette dernière ne peut être considérée uniquement comme un espace géographique délimité administrativement. Elle est aussi, et surtout, un ensemble politique et social, aux enjeux communicationnels et identitaires forts.
L’idéal de la cité reste présent dans la pensée contemporaine, non seulement comme unité politique, mais comme un système permettant le développement des qualités humaines, tant individuelles que collectives. Henri Laborit conçoit ainsi la vocation première de la ville, tout en affirmant qu’elle a été étouffée par sa propre expansion :
219
REVEL, Jean-François, Discours sur la vertu, Discours prononcé à l’Académie française p.2
220
Voir les travaux de Hannah ARENDT 221
ROBERT, Jeanne, ROBERT, Louis, « Bulletin épigraphique », Revue des Etudes
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« Le mythe paléocéphalique de l’expansion et du profit a progressivement fait disparaître le rôle fondamental de la cité. Ce lieu de réunion et de mélange, de diversification, est devenu au contraire le lieu de création des automatismes et de l’uniformité. […] La sclérose du système induit chez les hommes de la ville une diminution de la capacité à former des associations créatrices »222
c- La municipalité et la commune
Pour parachever cette analyse de l’espace municipal, nous devons aborder une dernière notion ayant trait à la cité, celle de municipalité, complétée par la notion de commune. Ce terme de « municipalité » recoupe tout à la fois des compétences administratives, juridiques et politiques. Il est polysémique car il désigne tout aussi bien le territoire au sens administratif, que l’équipe municipale au pouvoir ainsi que les agents publics qui en sont les employés. Les pouvoirs de la municipalité ont évolué depuis sa création
au début de la Révolution française par la loi du 14 décembre 1789223. La
municipalité est un ensemble formé par son instance délibérative, c’est-à-dire son conseil municipal ainsi que par le maire et ses adjoints, qui représentent
le pouvoir exécutif municipal224. Pour exécuter les délibérations votées en
conseil municipal, le maire et ses adjoints gèrent et régissent l’action des fonctionnaires municipaux. Elle est associée à un certain nombre de processus et instances politiques et administratifs parmi lesquels la délibération, qui consiste en un examen et une discussion au sein du conseil municipal. Cette dernière est suivie d’un vote. Cette prise de décision par l’assemblée municipale doit être exécutée par le maire. La municipalité associée à l’ensemble de la population municipale forment la commune.
222
LABORIT, Henri, L’homme et la ville, Flammarion, coll. Nouvelle bibliothèque scientifique, Paris, 1971, 221p., p.129-130
223
SOBOUL, Albert, Histoire de la révolution française. De la bastille à la gironde, tome 1, Gallimard, coll. Idées NRF, Paris, 1962, 376 p., p.227
224
Rédaction, « Qu’est-ce qu’une municipalité », Vie publique. Au cœur du débat public, site
consulté le 10 octobre 2015,
http://www.vie-publique.fr/decouverte- institutions/institutions/collectivites-territoriales/democratie-locale/qu-est-ce-qu-municipalite.html
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Finalement, le terme de cité nous semble le moins employé dans le langage politique et administratif, loin du sens donné par les Grecs de l’antiquité. Le sens de cité apparaît plus restreint, et parfois employé de manière péjorative pour désigner les grands ensembles de banlieue. Pour autant, le terme de cité nous semble approprié pour appréhender l’ensemble des processus et du rapport particulier du citoyen dans la prise de décision concernant les questions culturelles et patrimoniales.
2- Décentralisation, collectivités territoriales : des compétences