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renouvellement, largement questionné par les sciences humaines

1- La culture et le patrimoine dans le projet démocratique français : la formation du citoyen, des Lumières au Ministère de la culture

et de la communication

Comment comprendre les conceptions politiques actuelles et les formes de la communication qui en découlent liées à la culture et au patrimoine sans revenir au lien puissant établi entre culture, patrimoine et les multiples postérités du projet de formation d’un citoyen éclairé par la culture et l’éducation ? Depuis les Lumières, une corrélation s’impose, dans la pensée

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et dans l’action politique française, entre culture et politique, notamment à travers le prisme de l’idéal démocratique. Il s’agit d’un épisode structurant de la Révolution française, qui fait de la culture et du patrimoine des enjeux politiques extrêmement forts. L’accès à l’éducation, que l’on peut rapprocher de ce que l’on a nommé par la suite « culture » et à un patrimoine architectural représentant souvent des symboles de l’autorité et de l’Ancien régime, devient l’une des revendications politiques fondamentales dans l’élaboration et l’accomplissement de la citoyenneté. Bien entendu, la formation, ou l’éducation telle que la conçoivent les penseurs de la Révolution, ne recouvre pas entièrement la notion de culture telle que nous l’appréhendons aujourd’hui. La première, dans la pensée révolutionnaire et son héritage, induit l’idée de morale, que ne possède pas aujourd’hui la seconde. Pour autant, tout un pan des politiques de ce qui était alors nommé l’éducation, et des débats y attenant, répondent à la volonté de mettre à la portée des citoyens ce que nous appelons aujourd’hui la culture. Elles s’inscrivaient également dans un contexte intellectuel issu des Lumières, favorable à l’idée de développement du progrès par de déploiement des qualités de l’Homme, ce qui répond à la définition première de « culture » que nous avions proposé en Introduction générale de notre propos :

« Fructification des dons naturels permettant à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition initiale et d’accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur »104.

De même, André Chastel, auteur de la contribution consacrée à la notion de patrimoine dans l’incontournable somme de Pierre Nora, Les lieux de

mémoire explique que si l’usage contemporain du terme patrimoine connaît

un large succès, l’idée de patrimoine n’en est pas moins ancienne.

Poursuivant ainsi sa réflexion, il affirme que : « La singularité du monde

contemporain est peut-être de réactualiser sans trop le savoir et par à-coups des attitudes qui ne se dessinent bien qu’en parcourant ce que les historiens nomment la « longue durée ». Il y a une source non juridique mais symbolique de l’idée de patrimoine, liée à la perpétuité d’objets sacrés essentiels à la

104

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communauté […]105». Les révolutionnaires, à un moment de disjonction et de bouleversement politique, ont du mener une réflexion sur les moyens de conjuguer rupture politique et continuité patrimoniale. Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire des politiques culturelles, ce champ ayant déjà été largement balayé et fouillé par les différents auteurs sur lesquels nous nous appuierons pour argumenter nos propos, mais de donner quelques éclairages quant aux relations étroites unissant la culture, le patrimoine et le politique avec, pour dénominateur commun, le citoyen, objet et sujet d’un idéal démocratique toujours en quête d’aboutissement.

a- Culture et citoyenneté dans les grands projets politiques et dans la pensée occidentale contemporaine : un lien fondateur

Depuis les Lumières, le projet démocratique reste lié à la question culturelle. Dans cette perspective, on peut appréhender la culture sous son acception classique, celle de développement de l’être humain, et la rapprocher de la question éducative. L’homme cultivé est aussi un homme ayant acquis, ou étant en train d’acquérir son autonomie intellectuelle et morale. Ainsi, le célèbre texte de Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? est un appel tout entier à la conquête de sa propre autonomie par l’homme, en

développant ses capacités de compréhension et de raisonnement106. Nous

pouvons même déceler les prémisses de cette réflexion dès la Renaissance en se fondant sur les travaux de Lucien Jaume qui, en répondant la question posée par son ouvrage Qu’est-ce que l’esprit

européen ? définit l’humanisme européen comme une pensée de la

formation. Pour preuve, Erasme, dans son Traité de l’éducation des enfants

(1529), en appel au développement de la créativité de l’enfant107. La

formation doit opérer de ce fait dans un dialogue constant de l’homme entre

105

CHASTEL, André, « La notion de patrimoine », in NORA, Pierre (dir.), Les lieux de

mémoire. La Nation, Gallimard, coll. Bibliothèque illustrée des histoires, Paris, 1985, 662p.,

p.405-450,, p.406 106

KANT, Emmanuel, Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ?

Qu’est-ce que les Lumières ? , Flammarion, coll Garnier Flammarion, 1991, 206p.

107

JAUME, Lucien, Qu’est-ce que l’esprit européen ?, Flammarion, coll. Champs Essais, Paris, 2010, 167p., p.17

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particulier et universel108. De même, le dictionnaire de l’Académie

française souligne, dans sa définition du mot « culture », que celui-ci prend,

dès le XVIIe siècle, le sens de « formation de l’esprit par l’éducation ». Dans

cette même perspective, L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des

sciences, des arts et des métiers de d’Alembert et de Diderot montre toute

l’attention et l’intérêt que les rédacteurs portaient à l’éducation. Ils lui consacrent plusieurs articles soulignant le lien, d’une part entre l’éducation et la démocratie et d’autre part entre la raison et les sciences. L’enfant doit être formé sur le long terme pour devenir un citoyen conscient des devoirs

imposés par ses charges et des droits liés à son statut109.

L’idée de la formation d’un citoyen éclairé par l’accès de toute la population à l’éducation et à la culture apparaît avec les philosophes des Lumières qui ont souhaité et voulu, que le savoir, la culture soient offerts à tous. Ainsi, dès 1803, Kant complète l’argumentation des Encyclopédistes en insistant sur la bonne éducation qui devrait intégrer la vision d’un monde tel qu’il devrait être, pour que les hommes ainsi formés puissent le transformer et le rendre conforme à l’idéal d’une humanité libre et respectueuse de la loi

morale110. Cette éducation favoriserait les progrès de l’humanité vers la

perfection morale, bannissant par là même, la perpétuation des injustices et des inégalités.

Les penseurs des Lumières établissent donc un lien très fort, un lien causal, entre l’idée, sinon d’une révolution, du moins d’une évolution politique et sociale, et la formation d’un citoyen éclairé et autonome. Les divers textes, rapports, projets de lois sur l’instruction qui fleurissent pendant la Révolution française montrent bien comment l’émergence du citoyen nouveau dans un système politique démocratique est pensée comme la conséquence directe de la formation de tous les hommes.

108

JAUME, Lucien, Qu’est-ce que l’esprit européen ?, op cit, p.21 109

J. LECHAT, J. BERSANI, D. BORNE, A. MONCHABLON, 1789, Recueil des textes et

documents du XVIIIe à nos jours, Centre national de documentation pédagogique, Paris, p.

25, 1989, 287 p. Citation de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et

des métiers, article, économie politique

110

KANT, Emmanuel, Réflexions sur l’éducation, traduit par A. Philonenko, éd. J. Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 1974, 156 p.

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Le Rapport sur l’instruction publique de Talleyrand (10, 11 et 19

septembre 1791)111, précédent celui de Condorcet, définit les méthodes et

moyens de celle-ci en en détaillant chaque point : les écoles auxquelles il consacre la plus grande partie de son rapport, mais aussi les bibliothèques, les fêtes, la maîtrise de la langue. Cette dernière tient une place capitale

dans ce programme puisqu’il affirme que « L’Homme est un être raisonnable,

ou plus exactement peut-être, il est destiné à le devenir ; il faut lui apprendre à penser : il est un être social ; il faut lui apprendre à communiquer sa pensée

[…] »112. Il poursuit plus loin : « Ici commence le perfectionnement de la langue.

Et d’abord la révolution a valu à notre idiome une multitude de créations qui subsisterons à jamais, puisqu’elles expriment ou réveillent des idées d’un intérêt qui ne peut périr, et la langue politique existera enfin parmi nous. »113 Ce texte surprend par sa modernité. Il montre l’établissement d’un lien intellectuel entre la communication et le changement d’ordre politique. Il s’agit ici de permettre l’arrivée du vocabulaire démocratique, par les changements des formes du langage.

Le projet éducatif de Condorcet est également lié à la formation d’un citoyen éclairé. Condorcet a tenté d’œuvrer à la réalisation de ce rêve démocratique sous deux formes. La première prend l’aspect d’un traité où le philosophe des Lumières et de la période révolutionnaire établit le principe d’une corrélation entre les progrès de la raison en matière scientifique et technologique et leur incidence sur les sciences morales. Ainsi que le note, le philosophe Émile Bréhier, cette originalité de la pensée des Lumières fait

de Condorcet, l’un des maîtres théoriciens du progrès114. Dans Esquisse

d’un Tableau Historique des Progrès de l’Esprit Humain, le terme de culture

au sens contemporain du terme n’est bien entendu pas employé, mais il est évident que Condorcet pense que la transmission culturelle ne se fera que par l’enseignement. C’est ainsi que ce texte est réalisé sous la forme d’un

111

TALLEYRAND-PERIGORD, Charles Maurice, « Rapport sur l’instruction publique fait au nom du Comité de Constitution à l’Assemblée Nationale », les 10, 11 et 19 septembre 1991

112

TALLEYRAND, « Rapport sur l’instruction publique », op cit, consulté sur Gallica, p.90 113

Ib idem, p.96 114

BREHIER Emile, p.446 et ss, La philosophie moderne, coll. Histoire de la philosophie, Presses Universitaires de France, 1968, 504 p.

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rapport officiel, législatif, soumis au vote de la Constituante. Le Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique du 20 et 21 avril 1792, qui propose l’organisation d’un enseignement gratuit et laïc, ne sera jamais voté, mais il nourrira, un siècle plus tard, les travaux et réalisations de Paul Bert et de Ferdinand Buisson sous la IIIe République naissante lorsqu’ils imposèrent sous le ministère de Jules Ferry l’enseignement gratuit et laïc, où la culture et la connaissance portant autant sur les sciences que sur la littérature et les arts devaient être accessibles à

l’ensemble des jeunes enfants115. L’article « Education » écrit par Emile

Durkheim en 1911 dans le Nouveau Dictionnaire de la pédagogie et de

l’instruction primaire de Ferdinand Buisson est significatif de cette filiation :

« Au cours de notre histoire, il s'est constitué tout un ensemble d'idées sur la nature humaine, sur l'importance respective de nos différentes facultés, sur le droit et sur le devoir, sur la société, sur l'individu, sur le progrès, sur la science, sur l'art, etc., qui sont à la base même de notre esprit national ; toute éducation, celle du riche comme celle du pauvre, celle qui conduit aux carrières libérales comme celle qui prépare aux fonctions industrielles, a pour objet de les fixer dans les consciences. Il résulte de ces faits que chaque société se fait un certain idéal de l'homme, de ce qu'il doit être tant au point de vue intellectuel que physique et moral ; que cet idéal est, dans une certaine mesure, le même pour tous les citoyens […] » 116.

S’il on compare l’article du sociologue avec les termes du rapport de Condorcet, cette filiation devient évidente, de par le vocabulaire utilisé.

« Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de remplir leurs devoirs ;

Assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il doit être appelé, de développer toute

115

BAKER, Keith, Michael, Condorcet, raison et politique, Hermann éditeur des sciences et des arts, 1975/1988, 623 p., p.226

116

DURKHEIM, Emile, « Education », in BUISSON, Ferdinand, (dir.), Nouveau

dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Edition électronique de l’Institut

Français de l’Education, site consulté le 25 janvier 2015, http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2630

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l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature et par là établir entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi :

Tel doit être le premier but d’une instruction nationale; et, sous ce point de vue, elle est pour la puissance publique un devoir de justice. (…)

Cultiver enfin, dans chaque génération, les facultés physiques, intellectuelles et morales, et, par là, contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l’espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée :

Tel doit être encore l’objet de l’instruction ; et c’est pour la puissance publique un devoir imposé par l’intérêt commun de la société, par celui de l’humanité toute entière (….) »117.

On voit ici que Condorcet lie la volonté de justice et d’équité à l’instruction. Enfin, ces deux termes sont associés au verbe « cultiver ». Cette dernière expression renvoie à la volonté de l’individu de se cultiver tout au long de sa vie, et ce dans une perspective de perfectionnement général et continu de l’ensemble de la société. Combart de Lauwe rappelle d’ailleurs les liens établis entre culture et progrès de l’humanité par les philosophes des

Lumières118. Ainsi, la Révolution française doit être pensée comme un

moment fondateur dans la conception de ce que doit être ou de ce que pourrait être une politique culturelle et patrimoniale, mais aussi comme celui d’une pensée politique de la culture et du patrimoine. A propos de la tradition de l’action culturelle française, largement influencée par les travaux de Condorcet sur l’instruction, Claude Patriat parle d’une « puissance éducatrice

conférée à l’art », dans une perspective de partage démocratique119.

117

Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à l’Assemblée nationale par M. de Condorcet au nom du Comité de d’instruction publique les 20 et 21 avril 1792

118

CHOMBART DE LAUWE, Paul-Henry, « Systèmes de valeurs et aspirations culturelles », in Images de la culture, op cit, pp. 15-16

119

PATRIAT, Claude, « Art en Apogée, culture en périgée ? Quand l’échec de la décentralisation culturelle nourrit l’échec de la démocratisation culturelle », In : Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014, 2012

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Sur le plan du patrimoine architectural et artistique, il faut souligner la double portée symbolique et paradoxale de la Révolution française : la première est celle de la destruction de patrimoines architecturaux par

l’anéantissement physique des symboles de l’oppression120et 121 ; la seconde

représente celle de la première politique de protection née d’une réaction aux saccages et de la volonté de mise à portée de tous et de l’accès des citoyens à un patrimoine commun. La Loi du 16 septembre 1792 adoptée par l’Assemblée nationale prend des mesures pour que cessent les destructions des biens patrimoniaux. Mais l’épisode parlementaire le plus marquant sur cette question patrimoniale reste le Rapport sur les destructions de l’abbé

Grégoire du 31 août 1794. Il en est la première manifestation : « Législateurs,

que vous prescrit l’intérêt national ? C’est d’utiliser au plus tôt vos immenses et précieuses collections, en les faisant servir à l’instruction de tous les citoyens. Le comité vous présentera un mode de répartition ; et puisque, d’après la nouvelle organisation, les musées sont confiés à la surveillance, il faut les établir. Hâtez-vous de créer des hommes à talent qui promettent des successeurs à la génération peu nombreuse de ceux qui existent. On parle quelquefois de l’aristocratie de la science : elle entre peut-être dans les vues de certains individus qui déclament contre tous les plans d’éducation, et qui voudraient condamner à l’ignorance les artisans et les cultivateurs, tandis qu’ils prodiguent les moyens d’instruction à leurs enfants. »

Ce à quoi appelle ici l’abbé Grégoire, lorsqu’il demande l’ouverture des collections privées, c’est la mise en publicité de ce qui était privé et réservé à l’élite. Il appelle de ses vœux la lutte contre la sélection par la culture, et surtout dans le cadre d’une pédagogie destinée au Tiers Etat (artisans et paysans).

120

SOBOUL, Albert, Histoire de la révolution française. De la montagne à brumaire, vol. 2, Gallimard/Editions sociales, Paris, 1962, 378p., p.49

121

CHASTEL, André, « La notion de patrimoine », in NORA, Pierre (dir.), Les lieux de

mémoire. La Nation, op cit, p.410

« Les dégradations, les profanations, l’abattage des statues, les écroulements provoqués sous l’impulsion de petits groupes de sans-culottes formeraient l’objet d’une longue et pitoyable narration. […] ‘Grands saints dans le creuset / Tombez, c’est le décret’ lisait-on dans le prospectus de Couthon : Litanie des Saints convertis en monnaie, distribué dans le Puy-de-Dôme en 1793. »

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Plus loin, après avoir énuméré toutes les ruines patrimoniales célèbres chez les autres peuples européens, il demande la mise en place

d’une politique de protection des grands monuments nationaux : « [..] de la

France on voit s’échapper sans cesse des torrents de lumières pour éclairer tous les peuples et brûler tous les trônes. Puisque les tyrans craignent les lumières, il en résulte la preuve incontestable qu’elles sont nécessaires aux républicains : la liberté est fille de la raison cultivée, et rien n’est plus contre-révolutionnaire que l’ignorance ; on doit la haïr à l’égal de la royauté. » L’abbé Grégoire établit donc une corrélation entre préservation patrimoniale, révolution, autonomie politique et instruction des citoyens. Si la liberté politique est la « fille de la raison cultivée », l’éducation du peuple par l’accès aux monuments et chefs-d’œuvre nationaux apparaissent comme les fondements d’un futur socle républicain et un outil de renversement de l’ancien ordre (il emploie d’ailleurs l’image évocatrice des lumières brûlant les trônes). Ici encore, le vocable de la culture apparaît associé à celui du progrès humain et de l’autonomie politique.

Pour l’historien Dominique Poulot, la Révolution française représente donc un moment politique intense, singulier, constructeur une politique

patrimoniale par la nationalisation des biens : « La conservation du passé, et

spécifiquement la place des collections ainsi héritées au sein d'un espace civique inédit, deviennent alors un enjeu politique de première importance, autant qu'une préoccupation intellectuelle et artistique. »122 C’est l’instant historique de la conjonction de la culture et de la politique. Ainsi, symboliquement, la transformation du Louvre en musée, réclamée par les penseurs des Lumières, est accomplie par la Révolution. Le décret du 26 mai 1791 donne au Louvre et aux Tuileries, outre leur fonction d’ « habitation du roi », celle de lieu de réunion « de tous les monuments des sciences et des arts » et des « principaux établissements de l’instruction publique ». Après la chute de la monarchie, une commission est chargée de rassembler les diverses grandes œuvres éparpillées dans les différentes demeures royales. Puis, transformé en musée national, le Louvre ouvre ses portes au public, la date

122

POULOT, Dominique, « La morale du musée : 1789-1830 », Romantisme, N°112, 2001, pp.23-30, p.23

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d’inauguration initiale prévue étant très symboliquement celle du 10 août

1793, date anniversaire de la chute de la royauté.123 Ici aussi, la notion de

publicité, c’est-à-dire l’action de rendre public124, devient la condition de la

création de cet « espace civique » commun qu’évoque Dominique Poulot. Bien entendu, le moment révolutionnaire ne conçoit pas l’éducation ou l’instruction comme uniquement un accès à une culture et à un savoir jusqu’à lors réservés aux seules élites. Il s’agit aussi de former un homme nouveau, un citoyen tant autonome intellectuellement que dévoué à un certain nombre de principes républicains communs, et, pour ce, la culture de la vertu et de la morale s’avère essentielle. Mais ce qu’il faut retenir, outre que la conception révolutionnaire de l’instruction ne recouvre incontestablement pas