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du Pouvoir concret. »

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.

L’exercice du pouvoir et son acceptation par une société dans son ensemble relèveraient donc bien de processus non-rationnels. Georges Balandier souligne le rôle du sacré dans le maintien du pouvoir. C’est la sacralité du pouvoir, selon lui, qui lui confère une transcendance lui permettant de s’imposer aux groupes et aux individus. Le sacré, dans son dualisme – pour Balandier, met en jeu d’une part, des forces qui préservent l’ordre, et d’autre part des forces de la transgression et du déséquilibre- apparaît dès lors comme une dimension fondamentale du pouvoir. « Le pouvoir établi sur la seule force, ou sur la violence non domestiquée, aurait une existence constamment menacée ; le pouvoir exposé sous le seul éclairage de la raison aurait peu de crédibilité. Il ne parvient à se maintenir ni par la domination brutale, ni par la seule justification rationnelle. Il ne se fait

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BOURDIEU, Pierre, La distinction, critique sociale du jugement, Les Editions de Minuit, coll. Le sens commun, Paris, 1979, 670p.

54

ADDI, Laouhari, « Violence symbolique et statut politique chez Pierre Bourdieu », Revue

française de sciences politiques, 51e année, n°6, 2001, pp.949-963

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ANCELOVICI, Marcos, « Esquisse d’une théorie de la contestation : Bourdieu et le modèle du processus politique », Sociologie et sociétés, vol41, n°2, 2009, pp.39-61

56

JOUVENEL, Bertrand de, Du pouvoir, histoire naturelle de sa croissance, Hachette, coll. Pluriel, Paris, 1972, 607 p., p.52-54

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et ne se conserve que par la transposition, par la production d’images, par la

manipulation de symboles et leur organisation dans un cadre cérémoniel. »57

Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions, et montrerons leur importance dans la compréhension des phénomènes qui nous intéressent.

Il faut tout de même rappeler que dans nos sociétés occidentales contemporaines, nous pensons la chose politique essentiellement dans le cadre démocratique. Ainsi, dans son introduction à l’ouvrage de Moses L. Finley Démocratie antique et démocratie moderne, Pierre Vidal Naquet rappelle que si les formes de la démocratie athénienne la rendent incomparable avec les grandes démocraties contemporaines, l’influence du modèle grec sur les penseurs des Lumières puis de la Révolution française s’avère néanmoins majeure, y compris dans les processus de construction

des systèmes politiques démocratiques contemporains58.

Pour conclure sur la question de la définition de la notion de « politique », nous retiendrons deux définitions, probablement quelque peu simplificatrices mais qui auront le mérite de permettre une approche qui synthétise des définitions abordées précédemment : la politique, comme stratégies de conservation ou d’acquisition du pouvoir, et le politique, comme les diverses activités ayant trait à l’organisation et au gouvernement d’un groupe d’hommes ou d’une société.

Définir les termes « culture » et « patrimoine » représente également un épineux et vaste problème. La culture est en premier lieu un terme extrêmement polysémique. Dès lors, sa définition peut rapidement en devenir très idéologique, très mouvante et variable selon l’angle par lequel elle est abordée (disciplinaire, selon qu’elle soit définit par la sociologie, l’ethnologie ou encore la philosophie ; en terme de définition institutionnelle aussi).

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BALANDIER, Georges, Le Pouvoir sur scènes, op cit. 58

VIDAL-NAQUET, Pierre, « Tradition de la démocratie grecque », préface à l’ouvrage de FINLEY, L., Moses, Démocratie antique et démocratie moderne, Editions Payot & Rivages, Collection Petite bibliothèque Payot, Paris, 1976, 2003, 180pp.

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Voici pour commencer deux définitions institutionnelles qui posent les premières bornes, celle du dictionnaire du Trésor de la langue française informatisé d’une part, celle de l’Unesco d’autre part. La première définition proposée par le dictionnaire Le Trésor de la langue française informatisé, créé par les chercheurs de l’Université de Lorraine qui participent à

l’élaboration du dictionnaire informatisé de l’Académie française59 est :

«Traitement du sol en vue de la production agricole. Par extension : entretien et exploitation des qualités d’un être vivant, à des fin utilitaires ou esthétiques. »

Au figuré, le terme se définit comme : « Fructification des dons naturels permettant à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition initiale et d’accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur .

Ensemble des moyens mis en œuvre par l’homme pour augmenter ses connaissances, développer et améliorer les facultés de son esprit, notamment le jugement et le goût.

Bien moral, progrès intellectuel, savoir à la possession desquels peuvent accéder les individus et les sociétés grâce à l’éducation, aux divers organes de diffusion des idées et des œuvres »

Nous retiendrons trois éléments principaux de cette définition : la culture est ou permet l’émancipation ; elle est ensuite une recherche individuelle et/ou collective ; enfin, elle nécessite des organes de diffusion.

Lors de la conférence générale d’avril 2001 consacrée à la diversité

culturelle, l’Unesco définit la culture de la manière suivante :

« La culture doit être considérée comme l’ensemble des traits

distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent

une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les

lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de

valeurs, les traditions et les croyances »

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Trésor de la langue française informatisé, entrée « culture »,

http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?12;s=1253413995;r=1;nat=;sol=1; 60

Organisation des Nations Unies pour l’Eduction, la Science et la Culture, « Diversité culturelle », in Apprendre à vivre ensemble, Conférence générale de l’Unesco du 2 avril 2001

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Ces définitions, notamment celle, institutionnelle de l’Unesco, posent les premiers jalons de la délimitation d’un champ de la culture. Pourtant, sa définition reste en constante évolution.

Dans un ouvrage publié en 1966, Chombart de Lauwe rappelle à quel

point le terme de culture reste équivoque et polysémique61. Il se réfère

d’abord au travail de Marcel Maus et de Lucien Febvre, La civilisation, le mot

et l’idée, qui tente de définir le terme dans les langues allemande et française

établissant ainsi une distinction fondamentale entre Kultur et Bildung, le concept de Bildung se rapprochant plus du concept de civilisation (la culture, selon une métaphore agricole qui consisterait en un développement des qualités humaines), celui de Kultur se définissant comme l’ensemble des caractéristiques et comportements sociaux propres à une nation avec ses traditions artistiques, religieuses et scientifiques.

L’historien moderne Robert Muchembled, spécialisé dans l’étude des phénomènes culturels et des mentalités à l’époque moderne en France, synthétise bien toute la problématique de la définition de la culture par les sciences humaines et sociales :

« La notion de culture est donc équivoque. En cette fin du XXe siècle,

elle flotte entre deux pôles dans nos discours comme dans nos pratiques.

D’un côté, elle évoque l’histoire des idées, des arts, des lettres, des

sciences, etc. De l’autre, elle définit les formes matérielles de l’existence,

les conduites et les rituels de la vie collective, les expressions ordinaires de

l’histoire banale des divers groupes humains constituant une société, y

compris ceux qui ne laissent pas de traces écrites de leur passage sur

terre. »

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61

CHOMBART DE LAUWE, Paul-Henry, « Systèmes de valeurs et aspirations culturelles », in , CHOMBART DE LAUWE, Paul-Henry (dir.), Images de la culture, Payot, Paris, coll. Petite bibliothèque Payot, 1970, 216 p., pp.13-28

62

MUCHEMBLED, Robert, Sociétés, cultures et mentalités dans la France moderne, Armand Colin, Paris, 1990, 1994, p.7

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Chombart de Lauwe, distingue quant à lui trois définitions de la culture. La première d’entre elles, la plus classique et la plus évidente, est celle associant le mot culture au développement humain, à celui de l’individu par le corps et l’esprit, dans l’harmonie et dans l’équilibre. Il correspond à

l’idéal de l’honnête homme construit au XVIIe siècle et associé à un idéal

éducatif dont on retrouve les résonances dans l’imaginaire républicain. Comme le souligne Chombart de Lauwe, dans cette optique, la notion de culture est largement associée à celle de progrès, mais aussi à celle de sociabilité. Elle propose une synergie entre développement de l’individu et développement de la société dans son ensemble.

Dans une deuxième acception, le mot culture est plutôt usité au pluriel. Il se réfère à sa définition ethnologique ou anthropologique. L’auteur souligne les spécificités françaises de l’appréhension de ce mot dans cette définition propre. Alors que la recherche anglo-saxonne s’est tournée vers les

cultural-studies et les gender-cultural-studies, les historiens, sociologues et anthropologues

français parlent alors de civilisation matérielle, de mentalités ou encore de sensibilités. En effet, et pour compléter cette remarque de Chombart de Lauwe, dans un article de 1975 intitulé « Sur la notion de culture en anthropologie » paru dans la Revue française de sciences politiques, Pascal Perrineau remarque que la vision culturelle de la notion de culture prend le

pas, en cours des dernières années, sur son appréhension plus classique63.

L’auteur y établit une synthèse des définitions du mot ainsi que des notions qui lui sont associées. La culture est tout d’abord une transmission, celle d’un héritage social. Elle se définit aussi, selon Pascal Perrineau, comme un

système64. Dans cette perspective, elle est l’héritière de la notion de

civilisation telle que décrite par Marcel Mauss. Enfin, elle est à la fois matérielle et spirituelle. Ce dernier constat amène l’auteur à questionner les conceptions structuralistes de la notion de culture, ainsi que les perspectives scientifiques amenées par leurs critiques. Pour résumer, selon la définition

63

PERRINEAU, Pascal, « Sur la notion de culture en anthropologie », Revue française de

sciences politiques, 1975, p.946

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anthropologique, la culture est : « […] une structure transmise, inconsciente,

cohérente et complexe dans son contenu »65

Une partie de la philosophie et de la sociologie occidentale a pensé la culture comme un outil de domination social. Hannah Arendt définit la culture comme un outil de revendication et de démonstration d’une position sociale :

« Ce, en rapport étroit avec la position socialement inférieure des

classes moyennes en Europe, qui se trouvèrent – dès qu’elles possédèrent

la richesse et le loisir nécessaire- en lutte serrée contre l’aristocratie et son

mépris de la vulgarité des simples faiseurs d’argent. Dans cette lutte pour

une position sociale, la culture commença à jouer un rôle considérable

[…]»

66

.

Bourdieu, dans La Reproduction et dans La Distinction, défend la thèse d’une culture comme système de code à fonction discriminatoire visant à favoriser la reproduction sociale, par une forme de violence symbolique visant à la légitimation d’une classe sociale dominante.

Dans la tradition philosophique la question de la définition de la culture renvoie également à l’opposition entre nature et culture. Nous nous éloignons ici quelque peu de notre sujet, car il nous semble important de montrer à quel point la notion de culture est questionnée par la recherche en sciences humaines, sociales et même jusque dans les neurosciences et sciences cognitives. Ainsi, le philosophe Dominique Lestel et l’éthologue Frans de Waal ont interrogé la notion de culture par la remise en question presque totale de l’opposition entre nature et culture. Ainsi, la classique opposition entre nature et culture, axe fondamental de la pensée occidentale depuis l’Antiquité, est de plus en plus violemment remise en question. L’éthologue et philosophe français, Dominique Lestel, affirme que l’existence de cultures animales a précédé et accompagne aujourd’hui les cultures humaines. Dans son ouvrage « Les origines animales de la culture », il souligne néanmoins la violence intellectuelle d’une telle affirmation scientifique :

65

PERRINEAU, Pascal, « Sur la notion de culture en anthropologie », op cit, p.953 66

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« Dans les pages qui suivent, je soutiens la thèse selon laquelle loin

de s’opposer à la nature, la culture est un phénomène qui est intrinsèque

au vivant dont elle constitue une niche particulière, qu’on en trouve les

prémices dès le début de la vie animale, et que le développement de ces

comportements permet de comprendre comment un authentique « sujet »

a émergé dans l’animalité. C’est un point de vue extrêmement fort, qui n’a

encore guère été soutenu de façon aussi radicale, et qui s’appuie sur la

révolution éthologique de ces trente dernières années. »

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Frans de Waal affirme quant à lui l’existence de véritables cultures

animales chez les grands singes68. L’hypothèse de l’existence de

protocultures animales, formulée déjà depuis les années 1990 en France pose avec plus de force la question du propre de l’homme et du statut de l’homme. Qu’est ce qui définit désormais l’homme si ce n’est plus la culture ? Cette question remet en cause la séparation de l’esprit et du corps, de l’homme et de l’animal formulée par Descartes et structurante de la pensée occidentale dans son rapport à la culture.

Pour notre part, nous nous arrêterons sur une définition proposée par Hannah Arendt dans La crise de la culture :

« Un objet est culturel selon la durée de sa permanence ; son

caractère durable est l’exact opposé du caractère fonctionnel, qualité qui

le fait disparaître à nouveau du monde phénoménal par utilisation et par

usure. »

69

Bien que restrictive, cette définition apparaît comme un point de départ pour penser la culture, et notamment dans tous les enjeux induits par une forme d’accélération du temps dans nos sociétés contemporaines ou par la mise en valeur d’une culture dite vivante. Elle pose de ce fait une question fondamentale : si la caractéristique première de la culture est de perdurer

67

LESTEL, Dominique, Les origines animales de la culture, Champs, Paris, Flammarion, 2001, 2003, 414 pp., p.8

68

WAAL (de), Frans, Quand les singes prennent le thé. De la culture animale, Fayard, coll. Le temps des sciences, Paris, 2001, 382p., pp.247-266

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dans le temps et d’occuper dans la société une place opposée à celle de tout ce qui peut apparaître comme fonctionnel, qu’est-ce qui la différencie du patrimoine ? Culture et patrimoine peuvent-ils se confondre, comme l’expression régulièrement employée de « patrimoine culturel » peut le laisser entendre. Nous sommes là bien loin de la définition de culture comme « fructification des dons naturels permettant à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition initiale et d’accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur ».

Néanmoins, la notion de patrimoine s’affirme et reste largement liée à celle de culture. Les deux domaines sont interconnectés tant dans les institutions que dans les représentations, surtout lorsqu’on parle de patrimoine immatériel. Etymologiquement, le terme renvoie au latin

patrimonum, c’est-à-dire «l’héritage du père » et donc à des liens de famille

et à une transmission en son sein, à la possession et à la transmission, matérielle en premier lieu. La notion est donc à l’origine essentiellement juridique. Selon le Littré, le patrimoine est un lien d’héritage qui descend des pères et des mères aux enfants, ce qui induit aussi le terme de préservation ainsi que celui d’accroissement ou encore de développement.

La notion de transmission apparaît donc comme un élément constitutif du

concept de patrimoine. Citons la charte de Venise (1964)70 :

« Chargées d'un message spirituel du passé, les œuvres