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renouvellement, largement questionné par les sciences humaines

2- Décentralisation, collectivités territoriales : des compétences accrues des collectivités territoriales en matière de culture et de

patrimoine, des stratégies de communication politiques

municipales

La problématique de la décision, associée à celle de mise en visibilité symbolique de l’action politique, que nous avons déjà évoquée ci-dessus, prend tout son sens à l’échelle du local. Elle se pose avec d’autant plus de force que la proximité entre élus et citoyens dans la cité favorise des situations de négociation mais aussi de recherche de fidélisation politique des citoyens par les élus locaux. D’autant plus que depuis les lois de décentralisation de 1982, les municipalités mais aussi les collectivités territoriales en général ont élargi et accru leur action dans le domaine de la culture et du patrimoine, non seulement par des politiques spécifiques, mais aussi par un communication politique bien plus visible sur ces sujets.

a- Décentralisation et accroissement de l’activité du pouvoir municipal dans le domaine culturel et patrimonial

Les Parlements des provinces françaises sous la monarchie possédaient une relative indépendance subissant cependant, le contrôle des Intendants. L’historien Albert Soboul remarque que la Révolution française de 1789 a été précédée par une révolte des parlements provinciaux en 1788. Ces parlements s’opposaient à toutes les réformes mettant en cause leur

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indépendance et les revenus des aristocrates et de l’Eglise (revenus issus de

taxes nombreuses et diverses perçues sur le Tiers Etat et la paysannerie)225.

Les révolutionnaires de 1789 veulent briser la structure provinciale et les identités fortes qui en résultent. Les Jacobins en particulier pensent que la nation doit être une. Les départements, bien plus petits, et les communes se substituent aux Provinces et Napoléon rigidifie cette structure administrative et politique. Le gouvernement, est représenté dans chacune des préfectures par un préfet. Ce dernier répercute sur le maire les directives gouvernementales et informe le gouvernement sur l’état d’esprit de la population et des élus. Le maire devient un rouage de l’Etat. Une évolution timide se fait durant la seconde partie du second Empire. Napoléon III libéralisa l’Etat en permettant aux élus de s’exprimer et d’être élus au suffrage universel masculin.

La IIIe République permet l’élection de conseils généraux, avec des conseillers généraux représentants élus qui expriment les vœux des habitants auprès des préfets, même si ces derniers gardent la prééminence et le pouvoir de décision. Le maire acquiert une double fonction, celle d’officier de l’Etat civil, qu’il avait déjà, mais aussi celle de présidence de l’exécutif du conseil municipal, dont il applique les délibérations comme expliqué précédemment. La structure ternaire est simple : Etat, départements, communes, représentés pour chacun d’entre eux par le Gouvernement, les préfets et les maires. Elle dure jusqu’en 1982, hormis durant le régime de Vichy qui tente d’imposer les régions, vite suspendues à

la Libération226.

Gaston Defferre, Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation bouleversa cet ordonnancement en 1982. Par les grandes lois de décentralisation qui s’échelonnèrent de 1982 à 1985, les communes et les autres collectivités territoriales, les régions, les départements, les communautés de communes, les métropoles bénéficient du principe d’autonomie par rapport à l’Etat en ce qui concerne les compétences définies

225

SOBOUL Albert, Histoire de la Révolution française, tome2, Gallimard, coll. Idées, 1962, 377 et 378 p.

226

LEGENDRE, Pierre, Histoire de l’administration française de 1750 à nos jours, Presses universitaires de France, coll. Thémis, 1968, 580 p.

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pour chacune d’entre elles. La région bénéficie de compétences culturelles et éducatives, le département de compétences sociales et en matière de

transports227. Toutefois, les frontières entre ces différentes compétences ont

tendance à évoluer. Ces structures, par le jeu des pouvoirs et de l’affaiblissement de l’action étatique, changent. La décentralisation a rapidement impliqué la mise en œuvre de grandes politiques culturelles et patrimoniales par les collectivités territoriales. Elles sont bien souvent accompagnées d’un travail de communication auprès des citoyens. Dans une étude menée suite aux lois de décentralisation de 1982, Erhard Friedberg et Philippe Urfalino soulignent combien les succès d’une politique culturelle ou patrimoniale locale sont symboliquement bénéfiques aux

municipalités228. Ils notent cependant que les lois de décentralisation ont

pour effet de faire émerger de nouveaux acteurs territoriaux en matière de culture et de patrimoine, les conseils régionaux et généraux, dont l’action reste pourtant moins visible dans ce domaine que celle des municipalités. De cette situation découle une forte concurrence entre les différentes collectivités territoriales, tant sur les enjeux financiers que sur les retombées

symboliques des politiques culturelles et patrimoniales229.

b- Caractéristiques des formes de l’action et de la communication municipale en matière culture et patrimoine

L’action municipale dans le domaine de la culture et du patrimoine apparaît sous trois configurations. Elle prend d’abord la forme d’une prise de décision dans le champ de la culture et du patrimoine. Elle est ensuite une mise en valeur et en visibilité de cette décision et de l’action qui s’ensuit. Enfin, elle s’accompagne souvent d’un discours de proximité.

227

BERNARD, Paul, L’Etat et la décentralisation, du Préfet au Commissaire de la

République, La documentation Française, 1983

228

FRIEDBERG, Erhard, URFALINO, Philippe, « La décentralisation culturelle : l’émergence de nouveaux acteurs », Politiques et management public, vol. 3, n° 2, 1985. Le management public entre les politiques nationales et les stratégies des organisations publiques. Actes du Premier Colloque International Paris - 26, 27, 28 septembre 1984 - (Deuxième partie), pp. 215-226, p.219

229

FRIEDBERG, Erhard, URFALINO, Philippe, « La décentralisation culturelle : l’émergence de nouveaux acteurs », op cit, p.224

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La prise de décision par l’équipe municipale d’une intervention dans le domaine de sa politique culturelle et patrimoniale n’est pas un processus linéaire, et ce de moins en moins. Ces décisions se trouvent souvent contestées, discutées, renégociées par la population, les associations, les acteurs culturels, ou encore l’opposition politique. Le bien-fondé des décisions du pouvoir municipal est parfois remis en cause. Dans le domaine des politiques patrimoniales, Michel Rautenberg explicite combien la décision de la conservation ou au contraire de la destruction de tel ou tel

monument peut s’avérer partiale : « d’autres lieux, tout autant chargés de

mémoire et d’histoire locale, sont pourtant rasés pour laisser place à des programmes immobiliers : dans le grand chantier de l’aménagement urbain, les responsables municipaux opèrent des choix afin de sélectionner les « quartiers mémoires « bon à conserver », sans que les raisons de ces choix aient toujours beaucoup à voir avec les questions de mémoire ou d’histoire, mais plus peut-être avec les opportunités des politiques sociales ou urbaines. »230

La prise de décision, suivie de sa réalisation doit en revanche mettre en valeur l’action de la municipalité en la matière auprès de la population. En effet, la culture et le patrimoine apparaissent comme un point nodal de la construction de la légitimité municipale et un enjeu majeur de la communication politique locale. Claude Patriat, dans son ouvrage La culture

un besoin d’Etat, montre bien que la mise en scène de son action culturelle

et patrimoniale par le pouvoir municipal, plus encore qu’un enjeu d’image,

constitue une véritable démonstration de légitimité du pouvoir en place : « Il

ne suffit pas de faire, encore faut-il tout à la fois faire savoir, faire signifier et faire voir. » Il poursuit concernant le maire : « […] il lui faut de manière obligatoire établir un lien entre une action municipale nécessairement éclatée, multiforme et échelonnée dans le temps, la personne qui la conduit et l’incarne, et des signes ou des expressions de cette action lisibles et intelligibles pour la population dont le niveau de connaissance, d’intérêt et d’information concernant la vie publique locale est fort variable. »231 Plus qu’un argument quasi commercial de

230

RAUTENBERG, Michel, La rupture patrimoniale, A la croisée, Paris, 2003, p.148 231

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marketing, il faut envisager les liens entre le politique, le culturel et le patrimonial en terme de monstration, de démonstration dans une perspective de recherche de légitimité. Comme nous l’avons noté précédemment (chapitre 1), ces mécanismes de mise en ritualité et de démonstration

symbolique du politique sont analysés par Marc Abélès232 dans ses travaux

sur l’anthropologie de l’Etat. Or le domaine de l’activité humaine le plus chargé en force symbolique reste celui de la culture et du patrimoine. Sur cette problématique de la mise en visibilité de sa propre action par les instances politiques locales, certains chercheurs ont questionné, de manière parfois quelque peu provocatrice, les stratégies de démonstration par le pouvoir politique de sa propre action, à l’instar de l’article de Dominique

Wolton : « Gouverner est-ce d’abord et surtout montrer ? » 233et 234.

Ainsi, l’intervention politique dans les questions culturelles et patrimoniales au sein de la cité ne relèvent pas, selon nous, du seul

« marketing politique » tel que l’aurait défini Philippe Maarek235 ou Gilles

Achache236 et 237. Elle est un élément fort, fondamental, en terme d’enjeu

symbolique dans la communication politique à l’échelle du local. Ainsi, nous en revenons à la nécessaire mise en représentation de sa propre action et de son propre pouvoir symbolique par le pouvoir politique, qui a été si bien

mise en lumière par Georges Balandier238.

Enfin, le champ de la culture, mais aussi et surtout celui du patrimoine, apparaissent également pour les élus municipaux comme des outils d’un discours de proximité qui met en scène, en mots et en lumière leur appartenance à la communauté locale des citoyens.

232

ABELES, Marc, Anthropologie de l’Etat, Collection Anthropologie au présent, Armand Colin, Paris, 1990, 184 pp.

233

WOLTON, Dominique, « Gouverner est-ce d’abord et surtout montrer ? », Echanges et

projet n°72

234

COTTERET, Jean-Marie, Gouverner c’est paraître, réflexion sur la communication

politique, Paris, PUF, 1992

235

MAAREK, Philippe, Communication et marketing de l’homme politique, LexisNexis, Paris, 2014, 4e édition, 539p.

236

C’est-à-dire la recherche d’un marché, pour l’homme politique, dans un espace politique en phase de diversification. Il ne suppose aucune valeur ni point de vue spécifique et consiste plutôt en une série d’outils techniques

237

ACHACHE, Gilles, « Le marketing politique », Hermès, La Revue, 1989/1, n°4, p.103-112, pp.109-110

238

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Bien souvent, la communication publique du personnel politique devient une démonstration volontaire d’ancrage dans le passé afin de clarifier la lecture et le sens du monde pour rendre visible et lisible l’action politique afin de retrouver une légitimité mise à mal. Le recours au passé autoriserait donc le rassemblement autour d’une identité commune, d’un lien collectif. Il représente, de même, la capacité projective de la culture et du patrimoine donnant des outils d’analyse du passé et du présent, il permet d’envisager le futur.

Conclusion du chapitre

On voit ainsi que la culture et le patrimoine se constituent, à l’échelle locale, comme deux thématiques vectrices de communication politique dans l’espace public. Reste à déterminer quelles formes prend cette

communication : bilatéralité, unilatéralité, dialogue, affrontement,

négociation ? Les concepts d’espace public et de médiation sont ici des outils heuristiques tout à fait pertinents pour appréhender finement ces problématiques dans la cité. Nous voyons également combien les enjeux nationaux et locaux restent liés, même si les formes de la communication politique autour des questions culturelles et patrimoniales prennent des configurations singulières à l’échelle de la vie politique de la cité. Ainsi, après avoir situé les enjeux théoriques de la recherche en terme de communication -de communication politique tout particulièrement, en montrant que notre sujet invoque deux notions propres aux sciences de l’information et de la communication l’espace public et les médiation-, nous avons dans le développement de notre deuxième chapitre exposé notre choix d’étudier les liens entre communication politique, culture et patrimoine à une échelle spécifique, celle de la cité, nous justifierons à présent les différents choix méthodologiques et épistémologiques que nous avons produit dans cette première phase de la recherche.

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Chapitre 3 : Perspectives épistémologiques, positionnements