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Vers une modélisation basée sur les traits fonctionnels

II. Synthèse bibliographique

II.3. La modélisation, un outil pour comprendre et prédire les dynamiques des

II.3.3. Vers une modélisation basée sur les traits fonctionnels

Il a été suggéré que les traits fonctionnels pouvaient être utilisés pour relier la réponse individuelle des espèces végétales constituant une communauté à la dynamique de cette communauté (Suding et al., 2003; Gross et al., 2009). Le modèle basé sur la maximisation de l'entropie développé par Shipley et al. (2006) constitue une des premières tentatives

d'intégration de cette relation entre traits fonctionnels et dynamique des communautés au sein d'un cadre mathématique prédictif. Ce modèle repose sur la convergence des traits sous l'effet du filtrage environnemental, ainsi le modèle prédit une dominance des espèces dont les traits ont des valeurs moyennes proches des valeurs des traits moyens pondérés au niveau de la communauté ("community-weighted mean traits" (CWMT) en anglais). Il a été montré que cette approche permettait de prédire avec précision la composition de diverses communautés végétales lorsque les CWMT étaient connus (Shipley et al., 2006; Frenette-Dussault et al.,

2013), cependant les pouvoirs prédictifs de ce modèle sont sujets à débat (Marks & Muller-Landeau, 2007; Roxburgh & Mokany, 2007). Récemment, Laughlin et al. (2012) ont proposé un nouveau cadre de modélisation bayésien pour relier les dynamiques des communautés aux traits fonctionnels, tout en évitant une partie des problèmes soulevés par l'approche de Shipley et al. (2006). Ces approches sont intéressantes, d'une part parce qu'elles constituent un outil prédictif qui peut permettre d'anticiper les variations de la composition des communautés végétales sous l'effet de changements environnementaux, et d'autre part parce qu'elles mettent en évidence l'existence d'un lien fort entre traits fonctionnels et dynamiques des

communautés. Toutefois comme elles sont basées sur des modèles statistiques elles ne

peuvent être utilisées pour étudier la nature de ce lien. Pour mieux comprendre et quantifier la relation entre traits fonctionnels et dynamique des communautés il est donc nécessaire de développer des modèles plus dynamiques.

Au cours des quinze dernières années, quelques modèles dynamiques basés sur les traits fonctionnels ont été développés. Ainsi Norberg et al. (2001) ont dérivé une équation de croissance pour décrire les dynamiques de la biomasse ou de la taille d'une population en fonction d'un unique trait et des conditions environnementales. Cette approche a par la suite été enrichie par Savage et al. (2007) de manière à pouvoir intégrer l'effet de plusieurs traits sur les dynamiques des communautés. Puis plus récemment par Enquist et al. (2015) à travers la "trait driver theory" (TDT). La TDT couple l'approche de Norberg et al. (2001) avec d'une part l'hypothèse du ratio de masse (en anglais "mass ratio hypothesis"; Grime, 1998) qui postule que le fonctionnement des communautés est déterminé par les traits des espèces dominantes, et d'autre part avec la "metabolic scaling theory" qui permet de relier les traits fonctionnels associés au métabolisme à la réponse individuelle (croissance et utilisation des ressources), puis au fonctionnement de la communauté (Enquist et al., 1998, 2003, 2009). Ces

approches ont permis d'analyser le rôle des traits fonctionnels, de leur diversité, de leur niveau de corrélation et de leur plasticité sur le fonctionnement de la communauté. Cependant

comme la relation entre traits fonctionnels, facteurs abiotiques et réponse individuelle est décrite par une fonction empirique, ce type de modèle ne permet pas de remonter aux mécanismes qui déterminent la distribution des traits fonctionnels au sein des communautés végétales. Pour analyser ces mécanismes, il est nécessaire de mettre en place des approches qui font le lien entre traits fonctionnels et processus physiologiques tout en prenant en compte les interactions de ces processus entre eux et avec l'environnement.

Les traits fonctionnels sont depuis longtemps utilisés pour modéliser les processus physiologiques des plantes. Farquhar et al. (1980) ont ainsi développé un modèle de

photosynthèse qui dépend des taux de carboxylation et de régénération du RuBP ainsi que du point de compensation, la loi de la diffusion de Fick permet d'exprimer le taux de

transpiration potentiel des feuilles en fonction de la conductance stomatique (Farquhar & Sharkey, 1982) et la relation de Hane permet de relier la capacité potentielle d'extraction de l'azote d'un individu à la concentration en azote du sol (Engels et al., 2000). Pour la plupart des processus physiologiques il existe une grande diversité de modèles, phénoménologiques ou mécanistes, qui intègrent des traits fonctionnels plus ou moins facilement mesurables sur le terrain. Pour autant la plupart des modèles utilisés pour étudier les dynamiques des

communautés ne s'appuient pas sur la modélisation des processus physiologiques pour décrire l'utilisation des ressources et la croissance des individus (section III.1 et III.2). L'intérêt porté aux traits au cours des dernières années et la mise en évidence de leur utilité pour la

compréhension et la prédiction des dynamiques des communautés ont incité les chercheurs à intégrer des modèles physiologiques dans leurs modèles de dynamique. Marks & Lechowicz (2006) ont ainsi adopté cette démarche et ont proposé un modèle de dynamique forestière axé

sur les traits fonctionnels. Ces derniers contraignent la réponse des individus à travers l'utilisation de quatre ressources essentielles à la croissance des végétaux: la lumière, l'eau, l'azote et le carbone. Van Wijk (2007) a utilisé une démarche similaire pour modéliser les dynamiques de communautés arctiques, la croissance des individus dépend ainsi de la valeur de leurs traits et des quantités de lumière et d'azote auxquelles ils ont accès. Enfin Soussana et al. (2013) ont récemment proposé un modèle pour les communautés prairiales basé sur les processus physiologiques des végétaux et paramétrable à partir de traits fonctionnels. Ce modèle permet de simuler la croissance d'un individu moyen pour chaque population d'une

communauté multispécifique de plantes C3 tout en tenant compte de l'impact des facteurs

abiotiques et de la compétition pour la lumière et l'azote. Cependant les modules utilisés dans ce modèle pour décrire les processus physiologiques sont très détaillés et il en résulte un coût de paramétrisation très élevé.

Bilan. L'utilisation des traits fonctionnels dans les modèles de dynamique des communautés permettent de relier la distribution des traits au sein de la communauté à son fonctionnement et à sa composition, soit à l'aide de fonction phénoménologiques de croissance, soit à l'aide d'une modélisation plus fine des processus physiologiques et de leurs interactions entre eux et avec l'environnement. Ce type d'approche est donc susceptible d'améliorer significativement notre compréhension du lien entre réponse individuelle des espèces et dynamique des communautés. Cependant, encore peu de modèles intègrent les traits, et le seul modèle de dynamique de communautés prairiales développé dans ce cadre présente une grande complexité (Soussana et al., 2013).