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Des traits fonctionnels aux dynamiques des communautés

II. Synthèse bibliographique

II.2. Vers une écologie plus fonctionnelle

II.2.2. Des traits fonctionnels aux dynamiques des communautés

En raison de leur généralité à travers les différentes espèces et les différents habitats, les stratégies végétales peuvent devenir un outil fiable et puissant pour prédire les dynamiques des communautés. Mais pour cela il est nécessaire de comprendre comment la distribution des traits fonctionnels au sein d'une communauté détermine sa structure et sa composition.

Plusieurs travaux se sont appuyés sur les stratégies végétales pour décrire les dynamiques des communautés (Tilman, 1990; Pysek et al., 1995; Garnier et al., 2004). Elles ont par exemple été utilisées pour analyser les dynamiques de succession: on sait ainsi que les espèces

présentes au début de la succession possèdent un ensemble de traits caractéristiques, incluant une forte fécondité, une forte capacité de dispersion, une croissance rapide lorsque le niveau des ressources est élevé et un fort taux de mortalité lorsqu'il ne l'est pas. Ces espèces sont remplacées petit à petit et la fin de la succession est généralement dominée par des espèces qui possèdent des traits opposés avec une fécondité et une capacité de dispersion relativement faibles ainsi qu'un taux de survie et des capacités compétitives importants dans les milieux pauvre en ressources. Cependant la plupart des approches utilisées pour relier les traits

fonctionnels aux dynamiques des communautés s'appuient sur des modèles conceptuels et ne peuvent produire que des prédictions qualitatives (MacArthur & Wilson, 1967; Tilman, 1988; Westoby, 1998; Grime, 2001). Elles mettent ainsi en lumière l'existence d'un lien entre la distribution des traits et les dynamiques des communautés mais ne permettent pas de prédire quantitativement la composition et la structure de la communauté.

Récemment des approches permettant de relier quantitativement les traits fonctionnels des espèces constituant une communauté à leurs abondances respectives ont été introduites. En s'appuyant sur l'hypothèse du "mass ratio", selon laquelle les propriétés des communautés à

un instant t sont principalement déterminées par la valeur des traits fonctionnels des espèces

dont la biomasse est la plus importante (Grime, 1998), Shipley et al. (2006) ont ainsi développé une approche qui utilise le maximum d'entropie pour prédire l'abondance des espèces à partir des valeurs de traits agrégés à l'échelle de la communauté. Ce modèle prédit que les espèces ayant des traits dont les valeurs moyennes sont proches des valeurs agrégées à l'échelle de la communauté sont les plus abondantes (Laughlin et al., 2011; Shipley et al., 2011). Il a été montré que cette approche permettait de prédire avec une bonne précision la composition de diverses communautés végétales (Shipley et al., 2006; Frenette-Dussault et al., 2013). Cependant comme cette approche s'appuie sur des valeurs de traits moyennées à travers les populations composant les communautés, elle ne permet pas de prendre en compte la variabilité intraspécifique alors que cette dernière est susceptibles de modifier

significativement la distribution des traits au sein des communautés (Albert et al., 2010; Messier et al., 2010). Pour remédier à ce problème, Laughlin et al. (2012) ont proposé de s'appuyer sur des méthodes d'inférence bayésiennes pour estimer l'abondance des espèces au sein des communautés à partir de valeurs de traits individuels. Ces deux approches se basent sur la distribution des traits au sein de la communauté pour estimer l'abondance des

différentes espèces. La distribution des traits est supposée résulter de la superposition de filtres environnementaux et est estimée à l'aide de modèle linéaires généralisés prenant en entrée plusieurs facteurs abiotiques connus pour affecter la distribution des traits. Par conséquent les mécanismes par lesquels les filtres environnementaux contraignent la

distribution des traits ne sont pas décrits explicitement. De même les méthodes utilisées pour déduire l'abondance des espèces de la distribution des traits reposent sur des outils statistiques qui ne permettent pas de remonter aux mécanismes sous-jacents. Ils ont donc un bon pouvoir prédictif à court terme pour des systèmes dont les propriétés sont connues. En revanche, leurs prédictions à long terme sur des communautés soumis à des changements environnementaux importants sont très peu fiables.

Pour aller au delà de ces approches statistiques, il est nécessaire de définir un cadre

conceptuel permettant de relier explicitement la distribution des traits fonctionnels individuels aux contraintes environnementales, puis à la structure de la communauté (Suding et al., 2003; Gross et al., 2009). Un moyen d'aborder cette problématique consiste à distinguer plusieurs niveaux d'organisation au sein de la communauté. Par exemple Suding et al. (2003) proposent de distinguer 4 niveaux de réponse: le premier niveau décrit les propriétés intrinsèques des espèces, définies par des contraintes génétiques et physiologiques. Ces propriétés définissent la réponse d'un individu de l'espèce lorsque les conditions environnementales sont optimales. Le second niveau décrit la manière dont chacun des facteurs biotiques ou abiotiques modifie la réponse optimale de l'individu. Ces facteurs sont nombreux et variés et l'effet de leurs interactions sur la réponse des individus ne peut être aisément prédit à partir des effets des facteurs singuliers. Le troisième niveau de réponse décrit donc les conséquences de ces interactions entre facteurs biotiques et abiotiques pour l'individu. Enfin le quatrième niveau décrit les dynamiques des communautés à l'échelle de la population. Suding et al. (2003) ont

mis en évidence que ces différents niveaux de réponse étaient reliés les uns aux autres et que ces liens pouvaient permettre de déduire la composition et la structure des communautés (dernier niveau de réponse) à partir du premier niveau de réponse. Initialement ce cadre a été conçu pour analyser des données empiriques. Les liens entre les différents niveaux de réponse sont alors déterminés à l'aide d'outils statistiques et ne décrivent pas explicitement les

mécanismes sous-jacents. Toutefois, ce cadre conceptuel identifie plusieurs niveaux d'organisation au sein des communautés qui peuvent être utilisés pour développer des approches plus mécanistes.

Bilan. De nombreuses études empiriques ont démontré qu'il existait un lien entre la composition fonctionnelle et la structure des communautés. Quelques approches ont tenté d'intégrer cette relation au sein de cadres prédictifs basés sur des méthodes statistiques, permettant notamment de prédire la relation entre les traits fonctionnels et l'abondance des différentes espèces. Mais pour comprendre comment les distributions des traits conduisent aux patterns observés, il est nécessaire d'identifier et de quantifier les mécanismes qui déterminent la relation entre les traits fonctionnels des espèces et leur réponse individuelle dans un habitat donné.

II.3. La modélisation, un outil pour comprendre et prédire les dynamiques des