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II. Synthèse bibliographique

II.3. La modélisation, un outil pour comprendre et prédire les dynamiques des

II.3.1. Des modèles basés sur les dynamiques de population

Les modèles de populations cherchent à décrire les variations de la taille et de la distribution des âges au sein d'une population en fonction des caractéristiques intrinsèques des espèces et des contraintes extrinsèques telles que les facteurs abiotiques et les interactions avec les organismes d'autres espèces.

Les modèles matriciels de population (Encadré 1.1), dans lesquels les individus sont divisés en classes distinctes basées sur leur taille, leur âge ou encore leur phase de développement, sont largement utilisés dans les études démographiques sur les plantes pour quantifier les performances des populations. Ils permettent notamment d'estimer le taux de croissance à

long terme d'une population à partir de données individuelles sur la survie, la croissance et la fécondité des espèces (Caswell, 2001). Ces modèles sont principalement utilisés pour mener des analyses de viabilité de population (Menges, 2000) mais aussi pour analyser l'impact de facteurs environnementaux tels que les inondations (Smith et al., 2005) ou l'abondance des pollinisateurs (Ramula et al., 2007) sur les dynamiques de population, pour produire des recommandations relatives aux récoltes et à la conservation (Freckleton et al., 2003; Linares et al., 2008) et pour évaluer différentes stratégies de gestion des espèces invasives (Ramula et al., 2008). Malgré leur popularité, les modèles matriciels présentent des limites susceptibles d'affecter la précision de leurs prédictions. Une des principales limites vient de la structure même du modèle qui implique la division d'une variable d'état, souvent continue (e.g. âge, masse, longueur des feuilles), en classes distinctes qui sont déterminées arbitrairement la plupart du temps. Se pose alors le problème du nombre de classes à considérer: si trop peu de classes sont définies, le réalisme biologique du modèle diminue puisque des individus ayant des caractéristiques différentes sont traités comme s'ils étaient identiques. A l'inverse l'utilisation d'un trop grand nombre de classes peut conduire à des problèmes de

paramétrisation, chaque classe nécessitant un nouvel ensemble de paramètres caractérisant sa fécondité, sa croissance et sa mortalité.

Les modèles de projection intégral (ou "Integral Projection Model"; Encadré 1.2) apportent une solution aux problèmes de classification liés à l'approche matricielle. Ces modèles partagent plusieurs propriétés avec les modèles matriciels et peuvent être paramétrés à partir du même type de données (Easterling et al., 2000a). Dans ces modèles, les taux

démographiques sont décrits par une fonction continue, appelée noyau de projection,

dépendant de l'état de l'individu plutôt que de son appartenance à une classe. Ainsi au lieu de devoir estimer les taux démographiques pour chacune des classes, il suffit de déterminer le

noyau de projection de la population, ce qui permet d'améliorer significativement la précision de l'approche lorsqu'on ne dispose que d'une faible quantité de données individuelles. Il est par exemple préférable d'utiliser ce type d'approche pour étudier les dynamiques des population d'espèces invasives ou rares, sur lesquelles peu de données sont disponibles (Ramula et al., 2009). Lorsque les données sont suffisamment détaillées, il a été montré que les deux approches produisent des résultats similaires (Easterling et al. 2000b). Si les

approches s'appuyant sur les modèles intégrales améliorent significativement celles basées sur les modèles matriciels et constituent des outils fonctionnels pour les gestionnaires, elles présentent toutefois d'importantes limitations. Tout d'abord les modèles intégrales, tout comme les modèles matriciels, ne permettent pas de prendre en compte la variabilité

démographique résiduelle inter individus, i.e. tous les individus de même état (taille, âge…) ont les mêmes taux démographiques (Caswell, 2001). Par ailleurs ce type d'approche ne permet de prendre en compte ni les interactions intraspécifiques, ni les interactions interspécifiques, chaque population étant supposée indépendante des autres.

Plusieurs modèles, souvent répertoriés comme modèles de compétition, ont été développés pour essayer de relier les dynamiques des communautés aux dynamiques des populations qui les composent. Les premiers modèles de compétition à avoir été utilisés en écologie des communautés se basaient sur les équations de Lotka-Volterra (Volterra, 1928; Lotka, 1932). Dans ces modèles les interactions compétitives se résument aux effets négatifs qu'une population exerce sur la croissance des autres populations de la communauté, sans que les mécanismes sous-jacents soient explicitement décrits. Deux approches ont été privilégiées pour rendre ces modèles plus mécanistes. Une première approche consiste à intégrer l'impact des ressources dans l'estimation des paramètres de compétition du modèle (MacArthur & Levin, 1967; Schoener, 1974). La principale difficulté de cette approche est de quantifier le

lien entre l'utilisation des ressources d'une population et la manière dont elle affecte les autres populations à travers les interactions compétitives (May, 1975). La seconde approche consiste à intégrer les mécanismes gouvernant la compétition directement dans le modèle. L'exemple le plus connu est le modèle basé sur l'hypothèse du "resource ratio" introduit par Tilman (1982). Ce modèle suppose que l'issue de la compétition entre deux populations est entièrement déterminée par les ressources disponibles et les besoins en ressource des

populations. De nombreux autres modèles basés sur les équations de Lotka-Volterra et tentant d'intégrer les mécanismes induisant des phénomènes compétitifs ont été développés, chacun présentant des spécificités relatives aux espèces et aux habitats considérés (e.g. Stewart & Levin, 1973; Holt, 1983).

Une approche alternative consiste à considérer les dynamiques de populations comme des processus stochastiques. Dans ce cadre, la dynamique d'une population peut être décrite à l'aide d'un processus autorégressif (Encadré 1.4) dont le terme stochastique est supposé représenter la variabilité environnementale (Ives et al., 2000). En utilisant des séries

temporelles sur la dynamique des populations il est alors possible d'estimer les paramètres du modèle autorégressif ainsi que les caractéristiques de la distribution des variables

environnementales (généralement supposée normale). En intégrant des coefficients de compétition interspécifique, il est possible d'utiliser ce type d'approche pour prédire la dynamique d'une communauté à l'aide de modèles autorégressifs multidimensionnels (Ives, 2003). Ce type de modèle permet notamment de dériver des indicateurs sur les propriétés de la communauté telles que la stabilité (Ives et al., 2000). Loreau et al. (2008) ont récemment raffiné l'approche de Ives en distinguant trois composantes stochastiques: une composante environnementale, une composante démographique, qui décrit l'impact de la variabilité intraspécifique sur le taux de croissance des populations, et une composante intégrant l'erreur

d'observation commise lors du recensement des populations. Ce modèle permet notamment d'isoler et de quantifier les effets induits par les variabilités environnementales et

démographiques ainsi que par les erreurs d'observations sur des propriétés de la communauté telles que la stabilité et la productivité.

Encadré 1. Modèles basés sur les dynamiques de population.

1.1. Modèles matriciels de populations

Les modèles matriciels de populations permettent de décrire les dynamiques temporelles de

populations contenant un nombre Jk d'individus, k = 1,...,N. Ces individus sont répartis en

classes distinctes, généralement définies selon leur phase de développement (e.g.

établissement, croissance végétative, reproduction) ou leurs caractéristiques morphologiques (e.g. diamètre du tronc). Pour chaque population les effectifs, i.e. le nombre d'individus, de

chacune des classes sont regroupés dans un vecteur nk, appelé vecteur population. A chaque

pas de temps, les individus de la classe i sont susceptibles de modifier l'effectif de la classe j.

Les variations de l'effectif de la classe j induites par les individus de la classe i sont

quantifiées à travers un coefficient déterminé empiriquement. Les coefficients caractérisant les effets d'une classe sur une autre sont regroupés au sein d'une matrice, appelée matrice de

projection de la population A, de telle sorte que la composition de la population k à l'instant

t+1, caractérisée par le vecteur population nk(t+1), peut être calculée à partir de nk(t) selon:

nk(t+1)= Aknk(t) (eq. 1.1) Dans leur forme classique les modèles matriciels de population supposent que les

interactions entre individus d'espèces différentes n'influencent pas la dynamique de la communauté, ainsi chaque population évolue indépendamment des autres selon l'équation (eq.1).

1.2. Modèles de projection intégrale

Les modèles de projection intégrale sont basés sur le même principe que les modèles matriciels de population, mais la dynamique de la population est décrite par une variable

d'état continue x et non un ensemble de classes distinctes. Ainsi le vecteur population n est

remplacé par une fonction de distribution n(x,t) telle que le nombre d'individus dont la

variable d'état est dans l'intervalle [x, x+dx] est donné par n(x,t)dx. La matrice de projection

A est quant à elle remplacée par un noyau de projection K(y,x) = P(y,x) + F(y,x)P décrit

le taux de survie et de croissance de l'état x à l'état y et F décrit le taux de production de

descendants dont la variable d'état est y par des parents dont la variable d'état vaut x. La

dynamique d'une population est alors décrite par:

+ =U L dx t x n x y K t y n( , 1) ( , ) ( , ) (eq. 1.2) où [L,U] est l'intervalle des états possibles. Le noyau de projection peut être estimé à partir de données similaires à celle employé pour construire la matrice de projection A.

1.3. Modèle de Lotka-Volterra

Le modèle de Lotka-Volterra repose sur un ensemble d'équations différentielles ordinaires. Chaque équation décrit la dynamique temporelle d'une population en intégrant le taux de croissance intrinsèque de la population et l'impact des autres populations sur ce taux de croissance. Considérant une communauté composée de N populations, la dynamique de l'espèce i peut être décrite par l'équation différentielle suivante:

x f (x) dt dx i i i = (eq. 1.3) Avec xi la densité de l'espèce i, x un vecteur dont chaque élément correspond à la densité d'une des populations de la communauté et fi le i-ème élément du vecteur f tel que:

Ou r est un vecteur contenant les taux de reproduction ou de sénescence de chacune des

populations composant la communauté etA est une matrice décrivant les relations entre les

différentes espèces. L'élément de la i-ème ligne, j-ème colonne aij représente l'impact de

l'espèce j sur l'espèce i. L'intensité de cet impact est proportionnelle aux densités de

population des deux espèces xi et xj.

1.4. Modèles autorégressifs

Les modèles autorégressifs permettent de décrire un processus aléatoire dans lequel la valeur

de la variable modélisée à l'instant t+1, Xt+1 dépend linéairement de sa valeur à l'instant t, Xt

et d'un terme stochastique εt. Le modèle se résume donc à une équation de différence

stochastique de la forme:

Xt+1 =a+bXt t (eq. 1.5) En écologie ces modèles peuvent être utilisés pour décrire la dynamique de la densité d'une population. Plusieurs modèles déterministes établissent une relation entre la densité d'une population à l'instant t+1, nt+1 et sa densité à l'instant t, nt (e.g. Gompertz model). Certains de ces modèles peuvent se mettre sous une forme linéaire (e.g. transformation logarithmique du modèle de Gompertz) à laquelle il suffit ensuite d'ajouter un terme stochastique. Ces modèles de dynamique de population peuvent être généralisés de manière à décrire la dynamique

d'une communauté contenant N populations. La version étendue de l'équation (eq.2) prend la

forme d'un système matriciel:

Xt+1 = A+BXt t (eq. 1.6)

Xt est un vecteur de taille N x1 contenant l'abondance des différentes espèces à l'instant t,

A est un vecteur de taille N x1 de termes constants, B est une matrice de taille N x N dont les

élément bij décrivent l'impact de la population j sur le taux de croissance de la population i et

Et est un vecteur de taille N x 1 contenant des variables aléatoires suivant une distribution

Et représentent la variabilité environnementale et sont supposés indépendants à travers le

temps. En revanche les éléments de Et ne sont pas indépendants les un des autres et leur

covariation est décrite par les éléments non diagonaux de Σ. Tous les paramètres du modèle

peuvent être déterminés à partir de séries temporelles d'abondance.

Bilan. Les modèles basés sur les dynamiques de populations constituent des outils prédictifs facilement paramétrables et pouvant être aisément mis en oeuvre sur des systèmes réels. Par ailleurs ils fournissent une base de modélisation à laquelle divers mécanismes peuvent être aisément intégrés et ils représentent donc un bon moyen de tester des théories relatives au dynamiques des communautés végétales. Cependant ils reposent sur une représentation grossière, souvent empirique, du processus de croissance. Il est donc difficile d'utiliser un même modèle sur différents systèmes. De plus ces modèles ne permettent pas d'analyser finement la relation entre processus physiologiques des plantes et dynamiques des communautés.