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II. Synthèse bibliographique

II.2. Vers une écologie plus fonctionnelle

II.2.1. Traits fonctionnels et stratégies végétales

Les traits fonctionnels des plantes déterminent leur capacité à s'établir dans un habitat, à en extraire les ressources, et la manière dont ces ressources sont utilisées pour soutenir leur croissance et leur reproduction. La distribution de ces traits à travers différents types d'habitat n'est pas aléatoire et l'idée selon laquelle les conditions environnementales sont à l'origine de la sélection des combinaisons de traits propre aux différentes espèces est depuis longtemps un des principes fondamentaux de l'écologie (Lamarck, 1809; Darwin, 1859). Il découle de ce principe que pour chaque type d'habitat, il existe un nombre fini de combinaisons de traits, ou

stratégies végétales, permettant aux espèces d'assurer leur survie et leur reproduction. Autrement dit il devrait être possible de déterminer la niche fondamentale d'une espèce à partir de ses traits fonctionnels. En se concentrant sur ces stratégies plutôt que sur des espèces singulières, il devrait être possible d'identifier les mécanismes à travers lesquels les

interactions entre environnement et traits fonctionnels déterminent les dynamiques des

communautés (Grime, 1979; Southwood, 1988). La première étape de cette démarche consiste à définir les stratégies végétales en fonction des traits fonctionnels.

L'idée d'utiliser les stratégies des espèces végétales pour analyser les dynamiques des

communautés n'est pas récente et plusieurs travaux empiriques ont suggéré que ces stratégies étaient susceptibles d'être réparties le long d'un spectre. D'un coté de ce spectre se trouvent des espèces ayant un taux élevé de renouvellement des tissus, un fort potentiel d'extraction des ressources et une croissance à court terme rapide. Ces espèces ont été qualifiées d'espèces "exploitatrices" ou dispendieuses. A l'autre extrémité de ce spectre se trouvent des espèces dites conservatrices ayant un faible taux de renouvellement des tissus associé à une forte capacité de conservation des ressources (Grime, 1977; Chapin, 1980; Poorter et al., 1990). Il a été montré à travers des études empiriques locales que ces stratégies végétales étaient reliées à un ensemble de traits fonctionnels corrélés entre eux (Field & Mooney, 1986; Reich et al., 1999; Niinemets, 1999). Ainsi les stratégies conservatives sont associées à des espèces ayant une faible surface spécifique foliaire (SLA), une grande longévité foliaire et une faible teneur

en azote foliaire (LNC) ainsi qu'une faible capacité photosynthétique (Amax) et un faible taux

de respiration (Rd). Cette combinaison de traits conduit généralement à un faible taux de

croissance (RGR). Par opposition, les espèces dispendieuses présentent des traits fonctionnels

favorisant un fort taux de croissance, incluant un SLA, un LNC et un Amax élevés associé à

standardisées de mesure des attributs fonctionnels des espèces végétales (Cornelissen et al., 2003), et la constitution de base de données telles que Glopnet (Wright et al., 2004) ou Try (Kattge et al., 2011) ont rendu possible l'étude du spectre des stratégies végétales à une échelle globale. Ainsi Diaz et al. (2004) ont confirmé, à travers une comparaison de 12 traits fonctionnels mesurés sur 640 espèces végétales réparties à travers trois continents, l'existence d'un compromis entre deux stratégies, l'une privilégiant l'acquisition rapide des ressources et l'autre favorisant la conservation des ressources au sein de tissus résistants. Dans la même logique Wright et al. (2004) se sont intéressés aux corrélations entre les traits foliaires de 2548 espèces végétales réparties sur 175 sites à travers les cinq continents. Ils ont ainsi démontré que la majorité des stratégies foliaires, définies comme l'union de six traits

caractéristiques des propriétés foliaires, varient le long d'un axe de spécialisation unique. Ces études ont permis: 1) de démontrer la puissance de l'utilisation des traits fonctionnels pour définir les stratégies végétales; 2) de confirmer l'existence d'un spectre des stratégies végétales reflétant le compromis entre acquisition et conservation des ressources à l'échelle globale; 3) d'établir que la répartition des stratégies le long de ce spectre est continue.

L'existence d'un spectre des stratégies végétales corrobore l'hypothèse selon laquelle les propriétés intrinsèques des plantes résultent de multiples compromis évolutifs. Dès lors, il semble probable que différentes stratégies végétales soient adaptées à différents types d'habitats. La seconde étape de l'approche fonctionnelle est de comprendre comment les facteurs abiotiques influencent la répartition des stratégies le long de gradients

environnementaux. De nombreuses études empiriques se sont attachées à décrire ce lien entre conditions environnementales et traits fonctionnels, la plupart du temps en mesurant les traits d'espèces à travers différents types d'habitat. Les nutriments présents dans le sol étant la principale ressource limitant la productivité des habitats (Chapin, 1980; Aerts & Chapin,

2000), plusieurs études ont été menées pour essayer de comprendre comment ils

contraignaient la distribution des traits fonctionnels (Beadle, 1966; Monk, 1966; Chapin, 1980). Cependant les preuves empiriques de la relation entre nutriments et traits fonctionnels sont rares, principalement en raison de la difficulté de mesurer la concentration en nutriments du sol. Quelques études ont tout de même tenté de quantifier cette relation, ainsi plusieurs études de terrain ont montré que le SLA diminuait avec la concentration en phosphore du sol (Cunningham et al., 1999; Wrigth & Westoby, 1999; Fonseca et al., 2000). Par ailleurs les travaux de Craine et al. (2001) ont démontré que les espèces se développant dans des habitats pauvres en azote avaient généralement des tissus plus denses (e.g. un SLA plus faible) que les espèces caractéristiques des habitats riches en azote. Si les études reliant directement la concentration du sol en nutriments aux traits fonctionnels des plantes sont peu courantes, certaines études descriptives corroborent l'hypothèse selon laquelle les habitats pauvres en nutriments favorisent les stratégies conservatrices (Wedin & Tilman, 1990; Reich et al., 1997; Craine et al., 2002). Les espèces caractéristiques des habitats très ombragés présentent elles aussi des traits caractéristiques d'une stratégie conservative avec de grandes longévités foliaires (Coley, 1988; Williams et al., 1989) ainsi que de faibles SLA (Veneklaas & Poorter,

1998), de faibles Amax (Chazdon & Field, 1987; Williams et al., 1989) et de faibles Rd (Walter

et al., 1993; Valladares et al., 2000). C'est également le cas des habitats dans lesquels le niveau de précipitation est faible. On retrouve effectivement une diminution du SLA avec le niveau de précipitation (Specht & Specht, 1989; Cunningham et al., 1999; Fonseca et al., 2000) suggérant un déplacement vers des stratégies plus conservatives.

Par ailleurs il a été montré que ces stratégies pouvaient s'écarter significativement de l'axe de spécialisation défini à l'échelle globale. Par exemple les espèces se développant dans des habitats xériques présentent une longévité foliaire plus faible et un LNC plus élevé que ceux

prédits par le "leaf economic spectrum" (Wright et al., 2004) pour une valeur de SLA donnée (Reich et al., 1999; Wright et al., 2003). Ces résultats suggèrent que même si l'impact des facteurs abiotiques sur les axes des spécialisations est difficilement visible à l'échelle globale, ces derniers sont susceptibles d'être un facteur clé dans le filtrage local de ces stratégies.

Bilan. L'analyse fonctionnelle des communautés a permis de confirmer l'existence à l'échelle globale de compromis évolutifs, conduisant à la définition d'un spectre continu des stratégies végétales. Chaque stratégie présente des caractéristiques particulières qui déterminent le type d'habitat dans lequel elle est susceptible d'être favorisée.