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Intégrer les mécanismes écologiques pour comprendre et prédire les dynamiques

II. Synthèse bibliographique

II.1. De la compréhension des mécanismes écologiques à la prédiction des dynamiques

II.1.3. Intégrer les mécanismes écologiques pour comprendre et prédire les dynamiques

Dans le cadre théorique développé par Hutchinson (1957), la présence et l'abondance d'une espèce au sein d'une communauté sont entièrement déterminées par les conditions abiotiques et les interactions interspécifiques. Dans ce contexte, il est théoriquement possible d'une part de relier une espèce à un type d'habitat, l'habitat étant défini comme l'ensemble des conditions abiotiques dans lesquelles une communauté se développe, et d'autre part de déterminer les effets des interactions au sein de la communauté sur cette espèce. Plusieurs cadres théoriques s'appuyant sur le concept des niches écologiques ont été développés pour essayer de produire des règles générales concernant la structure des communautés végétales et leurs dynamiques. De manière générale, l'objectif de ces approches est de répartir les espèces le long de

gradients environnementaux tout en établissant une hiérarchie compétitive entre ces espèces.

Deux de ces cadres ont suscité de vifs débats: la théorie CSR introduite par Grime (1979) et la théorie basée sur le "ressource ratio" introduite par MacArthur (1972) et développée par la suite par Tilman (1980, 1982, 1988). Ces deux approches prennent en compte deux gradients environnementaux: un gradient de productivité qui traduit la disponibilité des ressources et un gradient de perturbation. Dans l'approche de Tilman, la survie d'une espèce est déterminée par ses besoins en ressource par rapport à la quantité de ressource disponible. La compétition résulte de la déplétion des ressources et en cas de limitation l'espèce ayant les besoins les plus importants voit sa valeur adaptative diminuer puis est exclue de la communauté. Ce cadre théorique a été traduit par un modèle couplant la dynamique des populations au sein d'une communauté et le niveau de ressource disponible. Grime quant à lui s'appuie sur les traits fonctionnels, c'est-à-dire sur les caractéristiques morphologiques, physiologiques et

de maintenir une croissance soutenue aux prix d'un taux élevé de renouvellement des tissus sont qualifiées de compétitives (C). Cette stratégie est supposée dominer les milieux

productifs et peu perturbés. 2) Les espèces ayant un taux de croissance modéré voire faible, associé à un faible taux de renouvellement des tissus qui permet le maintient des ressources au sein de la plante sont qualifiées de tolérantes au stress (S). Cette stratégie est associée aux milieux peu productifs et peu perturbés. Enfin 3) les espèces ayant un cycle de vie court et investissant la majeur partie de leurs ressources dans la reproduction sont définies comme rudérales (R) et dominent les milieux très perturbés.

Ces approches ont toutes deux mis en évidence l'existence de compromis évolutifs permettant de distinguer les différentes espèces végétales. Elles ont également contribué à mettre l'accent sur l'importance des traits fonctionnels, des processus d'acquisition et de perte des ressources ainsi que des effets des perturbations sur les individus pour notre compréhension des

dynamiques des communautés végétales. Par ailleurs elles ont permis d'étudier l'impact des facteurs abiotiques sur l'intensité de la compétition interspécifique, conduisant à deux visions différentes. La théorie développée par Tilman prédit que l'intensité de la compétition reste constante le long de gradients de productivité avec un déplacement des interactions des parties aérienne aux parties souterraines de la plante lorsque la productivité de l'habitat diminue. Au contraire le cadre théorique de Grime prédit que la compétition souterraine est négligeable dans les habitats peu productifs. Ces deux hypothèses ont été confrontées à travers des mesures de l'intensité de la compétition le long de gradients de productivités, mais les résultats de ces études sont très variables et ne permettent pas de trancher (Goldberg & Barton, 1992; Twolan-Strutt & Keddy, 1996, Carlyle, 2010).

La classification CSR établie par Grime a continué à être développée, conduisant à la mise en place d'une procédure d'attribution des stratégies aux espèces végétales basée sur des traits fonctionnels aisément mesurables (Hodgson et al., 1999). Cette classification, initialement conçue pour les espèces herbacées présentes dans le nord de l'Angleterre, a été étendue à travers l'Europe (Caccianiga et al., 2006; Pierce et al., 2007; Yildirim et al., 2012) et il a été montré que la méthode développée par Hodgson et al. (1999) pouvait être appliquée avec succès en dehors de la zone géographique initiale (Cerabolini et al., 2010). De plus cette méthode a été étendue de manière à autoriser la classification des espèces ligneuses (Pierce et al., 2013). Au cours de la dernière décennie elle a été majoritairement utilisée dans un but descriptif, permettant notamment de décrire le développement, la valeur écologique et la restauration de la végétation au sein d'écosystèmes gérés (Pywell et al., 2003; Boatman et al., 2011) ainsi que l'écologie et l'historique d'invasion des espèces exotiques (Pysek et al., 2003; Lambdon et al., 2008). Quelques travaux axés sur la prédiction de la réponse de la végétation aux changement climatiques se sont également appuyés sur la classification CSR (Grime et al., 2000; Abrahams, 2008). Cependant comme les concepts développés dans le cadre théorique de Grime ne sont pas synthétisés à travers une formulation mathématique, les prédictions qu'il est susceptible de produire ne sont que qualitatives.

Le cadre théorique de Tilman a également continué à être développé au cours des dernières décennies. Ces développements ont permis d'une part d'étendre son champ d'application, avec par exemple les travaux de Holt & Lawton (1994) qui ont intégré au cadre original les

perturbations induites par la prédation, ou encore ceux de Tilman (2004) qui permettent à travers la théorie des niches stochastiques de relier le niveau de consommation d'une

ressource par les espèces établies à la probabilité de colonisation de l'habitat par une nouvelle espèce. Et d'autre part ils ont permis de confronter différentes hypothèses théoriques sur les

mécanismes gouvernant les dynamiques des communautés. Ce type de démarche a notamment conduit à l'identification de processus susceptibles d'affecter la relation entre biodiversité et productivité (Abrams, 1988) et de mécanismes pouvant expliquer la co-existence d'espèces partageant les mêmes caractéristiques au sein d'une même communauté (Chesson, 1990; Leibold, 1998). Certaines des prédictions produites par le modèle de Tilman (1982) et ses dérivés ont été testées à travers des études empiriques, améliorant notre

compréhension des processus gouvernant la dynamique des communautés (Miller et al., 2005). Cependant ce modèle repose sur l'hypothèse centrale selon laquelle l'espèce ayant les plus faibles besoins par rapport à la ressource limitante est systématiquement la meilleure compétitrice. Or il a été montré que cette hypothèse n'est pas toujours valide (Craine, 2005; Fargione & Tilman, 2006). En effet, l'extraction des ressources par les plantes fait intervenir différents processus physiologiques susceptibles d'interagir et résumer la capacité d'extraction aux besoins d'une espèce peut être trompeur. Le modèle de Tilman (1982) ne repose donc pas sur des bases mécanistes suffisamment solides pour pouvoir produire des prédictions fiables sur les dynamiques des communautés à travers différents types d'habitat (Craine, 2007).

Bilan. Le débat engendré par les prédictions contradictoires produites par les cadres théoriques de Grime (1979) et Tilman (1982) a suscité la mise en place de nombreuses expériences qui ont permis d'améliorer significativement notre compréhension des mécanismes déterminant l'intensité des interactions compétitives le long de gradient

environnementaux. Par ailleurs la théorie CSR a permis de mettre au point une classification largement utilisée pour décrire la structure des communautés, tandis que l'approche de Tilman est encore utilisée pour produire des hypothèses théoriques sur les mécanismes gouvernant les dynamiques des communautés. Cependant l'approche de Grime est purement qualitative et celle de Tilman manque d'une base mécaniste. Malgré ces limites, les deux théories ont

apportées des idées novatrices qui, intégrées au sein d'un cadre mathématique mécaniste, ont le potentiel de significativement améliorer notre compréhension et notre capacité à prédire les dynamiques des communautés végétales (Jabot & Pottier, 2012).