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Pris en charge par François Arago, le daguerréotype s’engage vers une divulgation qui laisse de côté les solutions précédemment envisagées comme les brevets et les souscriptions. Ainsi abstrait de la logique commerciale, le daguerréotype trouve par la voix d’Arago les caractères essentiels de son utilité. Dans ce processus, et cela dès la séance orale du 7 janvier, la “cause” artistique du daguerréotype plaidée par Arago semble entendue : si l’édiction du programme pour la valorisation de l’invention a une triple destination – Académie des sciences, Chambres des députés et des pairs, public –, elle s’appuie largement sur la présupposée valeur artistique de ses qualités iconiques. Certifiée par le peintre d’histoire Paul Delaroche, cette valeur artistique est ainsi validée sans que l’avis de l’Académie des beaux-arts ne soit convoqué. Un manque d’autorité manifeste de la part de l’Académie des beaux-arts qui brillera par son absence jusqu’au 19 août, alors qu’Arago divulgue le secret du daguerréotype devant l’Académie des sciences.

1. Le rapport du 3 juillet 1839

Le 17 juin, Daguerre est nommé officier de la Légion d’honneur. Le 18, une commission présidée par Arago est votée par la Chambre de députés pour l’examen de l’invention. Cette commission rend son rapport à la Chambre le 3 juillet. Le 7 juillet, plusieurs daguerréotypes sont exposés à la Chambre qui se prononce le 9 juillet par 237 voix pour et 3 voix contre. Votée par les députés,

la loi, entérinée par la Chambre des pairs à la majorité le 2 août, prévoit qu’en échange du secret du daguerréotype, il sera accordé aux deux associés une rente viagère de 4 000 francs, assortie d’un complément de 2 000 francs à Daguerre pour le secret du Diorama.

Le rapport d’Arago à la Chambre des députés devant soutenir cette loi n’a pas été lu en séance. Il fut réceptionné le 3 juillet, puis imprimé et distribué aux députés qui jugèrent le 7 juillet117.

a. La valorisation d’Arago

L’objectif du rapport rédigé par François Arago au nom de la commission118 est, au-delà d’une simple approbation du projet de loi du ministre de l’Intérieur, de justifier la récompense nationale octroyée par la Chambre. Le but, avoué par Arago lui-même, est de

117 Par défaut, ce rapport se confond avec le discours prononcé par Arago à l’Académie le 19 août pour la divulgation. En effet, c’est le texte de ce rapport que l’on retrouve imprimé dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences : il semble que jusqu’au dernier moment Daguerre devait faire une démonstration du procédé, mais que, gagné par un violent mal de gorge et une soudaine timidité, l’inventeur céda la parole au secrétaire perpétuel qui se retrouva alors dans l’obligation de faire « une simple communication verbale sur des sujets aussi délicats » [CRAS, 1839, t. 9, p. 250] et de révéler lui-même le secret. Le rédacteur des Comptes-rendus justifie ainsi le choix de la reproduction du rapport de la Chambre : « En l’absence de tout guide pour retrouver non seulement les expressions dont le secrétaire de l’Académie s’est servi, mais encore l’ordre de ses développements, nous avons cru, après quelque hésitation, devoir reproduire les principaux passages du rapport écrit que M. Arago présenta à la Chambre des députés, en expliquant aujourd’hui dans des notes ce qui, devant la Chambre, devait rester secret » [CRAS, 1839, t. 9, p. 250]. Pourtant, il y a bien une différence essentielle entre les deux textes, l’un imprimé dont nous avons la trace, et l’autre oral dont les point cruciaux, essentiellement techniques, apparaissent en notes du texte imprimé par les Comptes-rendus de l’Académie des sciences : le premier a pour but de convaincre les députés de voter la loi Daguerre à une majorité écrasante en démontrant la véritable utilité du daguerréotype ; le second aura été avant tout l’exposition parfois rébarbative des différentes opérations techniques nécessaires à la pratique du daguerréotype. Ce dernier exposé ne bénéficie donc que peu de l’opération de valorisation du premier, le vote des deux Chambres ayant d’ores et déjà approuvé le rachat par l’État.

118 La commission désignée par la Chambre des députés le 18 juin se compose, outre François Arago, de Charles-Guillaume Étienne (1877-1845), député de 1827 à 1839, journaliste, dramaturge, vice-président de la Chambre, chargé de rédiger les adresses au roi ; Louis-Constant-Jacques Carl (1802-1853), député de 1837 à 1842 ; Jean Vatout (1871-1848), député de 1831 à 1848, bibliothécaire de Louis-Philippe, président du conseil des Monuments publics et historiques (1839) ; le comte de Beaumont, député de 1839 à 1848 ; Jacques-Simon Tournouër (1794-1867), député en 1839, maître des Requêtes au Conseil d’État ; François-Marie Delessert (1794-1867), député de 1831 à 1848, président de la Caisse d’épargne de Paris ; Mathieu-Louis-Désiré Combarel de Leyval, député de 1839 à 1848 ; et Louis-Ludovic Vitet (1802-1873), député de 1834 à 1848, nommé à l’Académie des inscriptions en 1829 et Inspecteur général des Monuments historiques en 1830.

ne pas encourager ce genre de procédure, engagée à titre exceptionnel compte tenu du caractère particulier de l’invention de Daguerre :

Soumettre à un examen minutieux et sévère l’œuvre du génie sur laquelle nous devons aujourd’hui statuer, ce sera décourager les médiocrités ambitieuses qui, elles aussi, aspireraient à jeter dans cette enceinte leurs productions vulgaires et sans avenir ; ce sera prouver que vous entendez placer dans une région très élevée les récompenses qui pourront vous être demandées au nom de la gloire nationale ; que vous ne consentirez jamais à les en faire descendre, à ternir leur éclat en les prodiguant119.

Ainsi exposé, l’objectif du rapport doit établir en quatre points énumérés la valeur du daguerréotype :

Ce peu de mots fera comprendre à la Chambre comment nous avons été conduits à examiner :

Si le procédé de M. Daguerre est incontestablement une invention ;

Si cette invention rendra à l’archéologie et aux beaux-arts des services de quelque valeur ;

Si elle pourra devenir usuelle ;

Enfin, si l’on doit espérer que les sciences en tireront parti120.

Pour répondre à cette quadruple interrogation, Arago construit son discours en vue de faire du daguerréotype une innovation universelle et positiviste dans une alliance concertée des institutions scientifiques et des volontés politiques. L’exemple canonique de ce genre d’entreprise est encore dans toutes les mémoires, et dans celle d’Arago en particulier : l’établissement du système métrique décimal

119 Dominique-François Arago, Rapport sur le daguerréotype, La Rochelle, Rumeur des Ages, 1995, p. 26.

120 Ibid.

entamé à l’aube de la Révolution et qui deviendra la norme obligatoire à partir du 1er janvier 1840.

L’établissement de la mesure du mètre étalon répond très exactement à l’idée d’une science appliquée née dans un XVIIIe siècle obsédé par la mesure. Alors que le XVIIe siècle fabrique des instruments pour voir, le siècle des Lumières fabrique des instruments pour mesurer : cette « métromania » tend à faire de la mesure un instrument de connaissance. Les opérations de mesure sont alors non seulement intensifiées, mais encore elles se voient appliquées à de multiples domaines épistémologiques, pratiques et sociaux : on tente de mesurer le temps, le méridien terrestre, l’altitude des montagnes, les variations climatiques, l’électricité, le magnétisme, la contraction des muscles, la gestion des forêts, les populations, les maladies mentales, etc. Apparaissent ainsi de nombreux instruments spécifiques comme le chronomètre, le thermomètre, le pyromètre, le baromètre, l’aréomètre, l’électromètre, le gazomètre ou le calorimètre, tous instruments qui doivent alors constituer l’équipement d’un laboratoire de physique ou de chimie.

Et si le XVIIIe siècle a été le siècle de l’instrument de mesure, le XIXe

siècle aura été celui de la rationalisation de la mesure : de nombreux travaux portent non seulement sur la fiabilité des instruments de mesure, mais également sur la correction des erreurs constantes de mesurage. Ainsi, en 1806, le premier mémoire que le jeune François Arago dépose à l’Académie des sciences en commun avec Jean-Baptiste Biot, tente de démontrer que la lumière se meut à la même vitesse, quel que soit le corps dont elle émane, ces quelques

différences n’altérant pas l’exactitude des observations. Mais entre

XVIIIe siècle et XIXe siècle, entre scientifique et politique, entre

« métromania » et rationalité scientifique, la mesure de la méridienne qui doit donner naissance au mètre étalon reste le symbole de la jeunesse d’une science moderne et qui marquera l’esprit d’Arago121.

Confrontée à la multiplicité des unités de mesure différentes ayant cours sur l’ensemble du sol de France – on en compte plus de 2 000 – la jeune République décide, conformément à l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’établir une unité de mesure unique, universelle et inédite devant consacrer l’unité du territoire. Afin qu’elle ne puisse être contestée, cette mesure aura pour unité réelle la nature elle-même, à savoir la Terre dont la dix millionième partie du quart de méridien donnera naissance au mètre, unité usuelle. Toute la difficulté consiste dans l’exactitude de l’établissement de l’unité réelle, tâche qui reviendra à deux astronomes, Pierre Méchain et Jean-Baptiste Delambre, qui procéderont à la mesure de la Méridienne entre Dunkerque et Barcelone. Méchain, en charge de la partie sud, meurt en 1807 sans avoir pu prolonger son calcul, comme il le prévoyait, jusqu’aux Baléares. Cette opération sera finalement achevée par un jeune savant du Bureau des longitudes, François Arago lui-même, qui seconde alors dans sa tâche le physicien Jean-Baptiste Biot. Acte fondateur pour Arago, ce service rendu à la nation lui valut un siège à l’Académie des sciences à l’âge de vingt-trois ans. La carrière

121 À ce sujet, voir : Bernadette Bensaude-Vincent, « Mesure et rationalité scientifique », in Mesures et Démesures, Paris, Cité des Sciences et de l’Industrie, cat. exp., 1995, pp. 11-25 ; Marie-Françoise Jozeau, « La mesure de la terre au XIXe siècle. Nouveaux instruments, nouvelles méthodes », in La Mesure. Instruments et philosophie, sous la direction de Jean-Claude Baume, Champ Vallon, Paris, 1994, pp. 95-106 ; Alain Boyer, « De la juste mesure », ibid., pp. 186-196.

scientifique d’Arago naît très exactement sous le signe du culte de la précision de la mesure : « Au cahier de doléances demandant l’uniformisation des poids et mesures, la Commission a répondu par l’universalité. Aussi universel que les droits de l’homme, le mètre doit en quelque sorte transcender les frontières et les siècles. Cette universalité n’est possible, n’est constructible que dans un monde repensé par la science mécanique, un monde machine, où l’espace a été disqualifié et le temps mesuré par le mouvement (du pendule)122. » Mesure naturelle, universelle et démocratique, engendrée par l’accord des connaissances scientifiques et du pouvoir politique, s’établissant contre le local et l’éphémère, le mètre est la mesure par excellence, parangon de l’exactitude123.

b. Le daguerréotype comme instrument de mesure

Pourquoi, dans ces conditions, faire du daguerréotype un instrument de mesure ? Parce que l’idée de la mesure justifie la prise en charge du daguerréotype par l’Académie des sciences, comme instrument de physique appliquée et parce que, comme l’écrivait Jean-Baptiste Biot dans la préface à la partie mathématique du Traité de physique, « La physique est l’étude non pas des choses mais des mesures » : « Mesurer et peser, voilà les deux grands secrets de la chimie et de la physique124. » Parce que, essentiellement, la mesure n’est pas une fin en soi, pas plus que son exactitude : la mesure est un instrument au service de la connaissance et donc au service de la vérité. Cette connaissance et cette vérité étant proportionnelles à la

122 Bernadette Bensaude-Vincent, op. cit., p. 15.

123 Voir à ce sujet : Denis Guedj, Le Mètre du monde, Paris, Seuil, 2000, et Maurice Daumas, François Arago. La jeunesse de la science, Paris, Belin, 1987.

124 Cité par Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Paris, Vrin, 1987, p. 55.

précision de la mesure garantie par le modèle naturel125 : « La précision emporte tout, elle donne à la certitude un caractère si solide que la connaissance nous semble vraiment concrète et utile ; elle nous donne l’illusion de toucher le réel. Voulez-vous croire au réel, mesurez-le. On pourrait donc énoncer à la base de la physique moderne ce double postulat métaphysique : ce qu’on mesure existe et on le connaît dans la proportion où la mesure est précise126. » Tel doit être, contrairement aux présentations de Daguerre en 1838 et de Duchâtel en 1839, le daguerréotype : la production de l’image daguerrienne ne doit pas apparaître comme une fin en soi mais comme un besoin ; une démarche scientifique, mais aussi utilitaire et économique. Arago, en quatre points, présente donc le procédé de Daguerre comme un système de mesure dans lequel l’appareil de prise de vue devient l’instrument de mesure d’une unité réelle, le visible, et l’image, l’unité de mesure usuelle du visible, dont l’exactitude – certifiée par son caractère a-technique et son intérêt artistique – garantit l’utilité scientifique.

Le rapport à la Chambre du 3 juillet 1839 vise essentiellement à opérer la valorisation du procédé de Daguerre autour de la notion d’utilité. Pour répondre à la première des quatre questions posées, Arago fait le récit de la mise au point du daguerréotype, depuis les expériences d’alchimie de Niépce. Les améliorations apportées par Daguerre sont mises en valeur pour leur originalité et leur caractère fondamental pour l’innovation. En prenant appui sur la description

125 « A. Comte énumère quatre caractères généraux de l’esprit positif : réalité, utilité, certitude, précision. C’est peut-être le quatrième caractère qui, dans les phénomènes mesurés, entraîne tous les autres », in Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, op. cit., p. 52.

126 Ibid., pp. 52-53.

des résultats de la méthode de l’associé de Daguerre, Arago définit les mérites du daguerréotype : « En prenant la contre-partie de toutes ces imperfections, on aurait une énumération, à peu près complète, des mérites de la méthode que M. Daguerre a découverte à la suite d’un nombre immense d’essais minutieux, pénibles et dispendieux127. » Mieux, le mérite essentiel de la méthode mise au point par Daguerre est sa précision extrême, son exactitude résultant de l’originalité du support utilisé – le plaqué d’argent – comparé aux méthodes sur papier :

Le papier imprégné de chlorure ou de nitrate d’argent fut, en effet la première substance dont M. Daguerre fit choix ; mais le manque de sensibilité, la confusion des images, le peu de certitude des résultats, les accidents qui résultaient souvent de l’opération destinée à transformer les clairs en noirs et les noirs en clairs, ne pouvaient manquer de décourager un si habile artiste. S’il eût persisté dans cette première voie, ses dessins photographiques figureraient peut-être dans les collections, à titre de produits d’une expérience de physique curieuse ; mais assurément la Chambre n’aurait pas à s’en occuper128.

c. La mesure appliquée

Ne faisant que reprendre les exemples déjà utilisés oralement lors de la séance du 7 janvier, Arago inscrit le daguerréotype dans une logique d’amélioration du système des techniques de représentation soumises jusqu’alors et en dernière instance à la main de l’homme. Le daguerréotype est envisagé par Arago comme un nouveau standard – supérieur – en matière de rationalisation et

127 Dominique-François Arago, Rapport sur le daguerréotype, op. cit., pp. 34-35.

128 Ibid., p. 40.

surtout d’exactitude de la représentation. La valorisation de l’utilité du daguerréotype prend appui sur l’établissement de ce standard :

À l’inspection de plusieurs des tableaux qui passeront sous vos yeux, chacun songera à l’immense parti qu’on aurait tiré, pendant l’expédition d’Égypte, d’un moyen de reproduction si exact et si prompt ; chacun sera frappé de cette réflexion, que si la photographie avait été connue en 1798, nous aurions aujourd’hui des images fidèles d’un bon nombre de tableaux emblématiques, dont la cupidité des Arabes et le vandalisme de certains voyageurs a privé à jamais le monde savant.

Pour copier les millions et millions de hiéroglyphes qui couvrent, même à l’extérieur, les grands monuments de Thèbes, de Memphis, de Karnak, etc., il faudrait des vingtaines d’années et des légions de dessinateurs. Avec le Daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bonne fin cet immense travail. Munissez l’institut d’Égypte de deux ou trois appareils de M. Daguerre, et sur plusieurs des grandes planches de l’ouvrage célèbre, fruit de notre immortelle expédition, de vastes étendues de hiéroglyphes réels iront remplacer des hiéroglyphes fictifs et de pure convention ; et les dessins surpasseront partout en fidélité, en couleur locale, les œuvres des plus habiles peintres129.

Dans une même logique, en s’appuyant sur l’origine mécanique du procédé, Arago va proposer le daguerréotype comme instrument de mesure du réel visible, instituant de fait l’idée que l’exactitude d’une telle mesure est possible. Par un tel outil, Arago fait alors glisser le monde de la figuration et de l’image de l’univers de l’ « à-peu-près » à celui de la précision130. L’image daguerrienne est ici envisagée comme un standard scientifique de figuration, une

129 Ibid., p. 38.

130 « C’est à travers l’instrument de mesure que l’idée d’exactitude prend possession de ce monde, et que le monde de la précision en arrive à se substituer au monde de l’ “à-peu-près” ».

Alexandre Koyré, « Du monde de l’ “à-peu-près” à l’univers de la précision », Études d’histoire de la pensée philosophique, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1971, p. 343.

nouvelle convention en terme de rationalisation – promptitude et exactitude – des techniques de représentation traditionnelles. Tous les exemples d’utilisations possibles de l’invention par Arago font donc intervenir le daguerréotype comme instrument de mesure scientifique, à commencer par l’utilité que pourront en tirer les archéologues :

Les images photographiques, étant soumises dans leur formation aux règles de la géométrie, permettront, à l’aide d’un petit nombre de données, de remonter aux dimensions exactes des parties les plus élevées, les plus inaccessibles des édifices131.

Le daguerréotype applique à la mesure du visible l’axiome galiléen : « Le livre de la nature est écrit en caractères géométriques132. » Le visible mesuré avec précision est un élément de comparaison de référence : l’exactitude du daguerréotype comme document est un auxiliaire de la nature, et donc un outil d’étude. Tel est le propos traduit pour Arago par le peintre Paul Delaroche :

Dans une note rédigée à notre prière, ce peintre célèbre déclare que les procédés de M. Daguerre « portent si loin certaines conditions essentielles de l’art, qu’ils deviendront pour les peintres, mêmes les plus habiles, un sujet d’observation et d’études ». Ce qui le frappe dans les dessins photographiques, c’est que le fini d’un « précieux inimaginable ne trouble en rien la tranquillité des masses, ne nuit en aucune manière à l’effet général ». « La correction des lignes, » dit ailleurs M. Delaroche, « la précision des formes est aussi complète que possible dans les dessins de M. Daguerre, et l’on y reconnaît en même temps un modelé large, énergique, et un ensemble aussi riche de ton que d’effet […]. Le peintre trouvera dans ce procédé un moyen prompt

131 Dominique-François Arago, Rapport sur le daguerréotype, op. cit., p. 38.

132 Cité par Alexandre Koyré, « Une expérience de mesure », Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1973, p. 291.

de faire des collections d’études qu’il ne pourrait obtenir autrement résumé, l’admirable découverte de M. Daguerre est un immense service rendu aux arts133. »

Cette utilisation fort célèbre du jugement de Delaroche par Arago est généralement présentée comme une justification visant à rassurer la congrégation des artistes par le témoignage d’un de leurs pairs134. Pourtant, plus qu’une justification qu’Arago résume en une demi-phrase, le témoignage de Delaroche tend une fois de plus, mais de manière plus institutionnelle que le 7 janvier, à définir la perfection du système, condition de son utilité, par un homme de l’art. Delaroche intervient ici en qualité d’expert de la représentation,

Cette utilisation fort célèbre du jugement de Delaroche par Arago est généralement présentée comme une justification visant à rassurer la congrégation des artistes par le témoignage d’un de leurs pairs134. Pourtant, plus qu’une justification qu’Arago résume en une demi-phrase, le témoignage de Delaroche tend une fois de plus, mais de manière plus institutionnelle que le 7 janvier, à définir la perfection du système, condition de son utilité, par un homme de l’art. Delaroche intervient ici en qualité d’expert de la représentation,