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2.4 Veiller et répondre au besoin de sécurité : prendre soin des liens et des relations avec les parents

du « prendre soin » au service du jeune enfant accueilli

II- 2.4 Veiller et répondre au besoin de sécurité : prendre soin des liens et des relations avec les parents

Si l’on considère, à l’appui des travaux précédemment cités, que les mécanismes de négligence grave et de mauvais traitement trouvent leurs fondements dans des troubles précoces du lien entre enfant et parents, prendre soin de ces liens devient un objectif important de l’intervention en protection de l’enfance. Pour nombre de cliniciens, cet objectif doit être d’autant plus poursuivi que la séparation actée entre les parents et l’enfant ne suffit pas à protéger ce dernier. En effet, dans les situations où un enfant a besoin d’être élevé par d’autres adultes que ses parents, il continue d’être en lien avec eux par la pensée, par les représentations. Face au traumatisme

102 Voir également l’audition du 8 novembre 2016 du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) dans le cadre de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance.

relationnel précoce, le but des soins apportés à l’enfant est « que la pensée du sujet évolue d’un fonctionnement infiltré par des sensations, des images, des affects du passé, à une activité de pensée où l’enfant soit capable d’identifier ses sentiments 103 » ; il s’agit de lui permettre de se construire une pensée différenciée de celle de ses parents.

Les cliniciens engagés dans des pratiques de travail autour du lien entre l’enfant confié et ses parents insistent sur la « nécessité de poser une différence entre lien et rencontre. Le lien ne se réduit pas à la rencontre, le lien en tant que lien psychique ne se rompt pas. Il évolue au gré de la dynamique développementale de l’enfant, de ses représentations internes, de ses états émotionnels, de ses capacités de compréhension, de sa maturation psychique et de l’aménagement du milieu dans lequel il vit au quotidien. Le lien se nourrit autant de la présence que de l’absence. […] L’amalgame souvent fait entre le lien psychique et la rencontre physique fausse régulièrement le débat. La rencontre ne sécurise pas toujours le lien, ne favorise pas forcément un lien maturatif et constructeur pour le psychisme de l’enfant.

La rencontre peut être très destructrice du lien et des représentations internes du parent chez l’enfant.

La rencontre est une zone de fragilité, à haut risque, pouvant engendrer la répétition des raisons pour lesquelles l’enfant a été séparé. Ces rencontres peuvent amener des réactualisations de souvenirs traumatiques et avoir un impact dévastateur pour le développement de l’enfant » 104.

Les services d’accueil rencontrés dans le cadre de l’étude ont une pratique de visites médiatisées.

Théorisées par plusieurs praticiens, M. David, Hana Rottman et Maurice Berger 105 en particulier, les visites médiatisées dans le cadre d’une mesure de séparation au titre de la protection de l’enfance sont un outil clinique qui, pour les mesures d’assistance éducative, s’appuie sur la prescription judiciaire des visites en présence d’un tiers prévue à l’article 375-7 du Code civil.

Selon le récent décret d’application 106, les visites en présence d’un tiers visent « à protéger, à accompagner et à évaluer la relation entre l’enfant et son ou ses parents ». Dans le service d’accueil familial thérapeutique Pré Médard, les visites médiatisées sont un dispositif qui vise à com-prendre et réaménager le lien pathogène et constituent des soins au développement de l’enfant, tout en permettant aux parents de découvrir d’autres modalités d’être en lien avec leur enfant et avec les autres. S’inscrivant dans un travail d’accompagnement global du placement, elles répondent à une organisation et un protocole très précis 107 en termes de professionnels participant (encadrement par deux professionnels, l’un référent enfant l’autre référent visite, dont la présence est constante et continue d’une visite à l’autre pour garantir un lieu de rencontre sécurisant et prévisible pour l’enfant) et d’étapes de leur déroulement (accueil du parent, accueil de l’enfant comportant un aménagement de la séparation avec son assistante familiale et de son arrivée dans le service, déroulement de la visite avec temps de retrouvailles, temps de rencontre au rythme des initiatives des parents ou de l’enfant, les référents assurant la contenance nécessaire, collation ou repas selon les possibilités, aménagement de la fin de visite). Ces modalités ont été soigneusement

103 Berger M., Bonneville E. Pathologie des traumatismes relationnels précoces et placement familial spécialisé. In : Rottman H. (dir.), Richard P. (dir.). Se construire quand même : l’accueil familial, un soin psychique. Paris : PUF, 2009.

104 Nouvel J.-L. Liens et rencontres dans le placement en accueil familial. Communication faite dans le cadre de la démarche de consensus sur les besoins de l’enfant en protection de l’enfance, Paris, 2016.

105 Voir : ONPE. Sixième rapport annuel de l’Observatoire national de l’enfance en danger remis au Gouvernement et au Parlement.

Paris : ONPE, 2011. Chap. III, Le droit de visite en présence d’un tiers en protection de l’enfance, p. 58-98.

106 Décret no 2017-1572 du 15 novembre 2017 relatif aux modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers prévue à l’article 375-7 du Code civil.

107 Voir la fiche de dispositif sur l’accueil familial thérapeutique Pré Médard sur le site de l’ONPE (rubrique Dispositifs et pratiques). Voir également : Nouvel J.-L. Op. cit.

pensées au fil de l’évolution du service, de manière à ce que, tout au long de la visite et pendant les temps qui la précèdent et la suivent, tous les adultes soient centrés sur l’enfant, sur ses besoins, ses capacités et ses rythmes. Il s’agit de permettre à l’enfant de rencontrer la réalité de ses parents sans que celle-ci n’ait des effets néfastes sur son développement. Ce dispositif est complété d’un deuxième volet de visites médiatisées dites « symboliques » : se déroulant sans la présence des parents, tout en reprenant le même cadre, elles sont proposées à l’enfant lors d’absences concrètes du parent (absence inopinée à une visite programmée, absence longue, situations où les visites programmées sont très espacées, situations de suspension provisoire des visites), pour que cette absence ne confronte pas l’enfant à un vide relationnel. Ces visites médiatisées symboliques offrent la possibilité de poursuivre le travail sur le lien sans rencontres concrètes.

Un autre type de travail sur les liens enfant–parents est mené dans le cadre du dispositif du Fil d’Ariane 108. Cette structure accueille sur des demi-journées, et par petits groupes stables, des familles dans lesquelles soit les enfants vivent avec leurs parents et bénéficient d’un suivi social, soit les enfants sont séparés de leurs parents par une décision judiciaire avec un placement en pouponnière ou en famille d’accueil. L’objectif est de proposer aux parents accompagnés de leurs jeunes enfants âgés de moins de 4 ans un espace de rencontre et de réflexion sur les difficultés relationnelles qui peuvent être à l’origine de maltraitances et des placements qui en découlent.

« Il s’agit d’introduire des changements dans les modes d’attachement préétablis entre une mère et son enfant, ou un père et son enfant, en opérant des modifications chez l’un ou l’autre, en agissant par conséquent sur le type de lien qui les unit. » Dans cette perspective, les familles participent à des rencontres hebdomadaires accompagnées par des professionnels du service et structurées selon un déroulement précis : un temps d’accueil, puis un temps séparé en groupe d’enfants et groupe de parents, dans des espaces différenciés, suivi d’un temps de retrouvailles et d’interactions parents-enfant autour du repas, de jeux, de la toilette. Ce dernier temps est accompagné par le professionnel référent de la famille ainsi que, dans certaines situations, par un référent enfant.

La complexité de ces moments de retrouvailles pour parents et enfant après les temps vécus séparément nécessite une médiation thérapeutique par le référent qui va favoriser l’émergence d’échanges de qualité par sa présence et son attention, tenter d’infléchir certains aspects plus négatifs des interactions mais aussi appuyer sur les points positifs de la relation parent-enfant afin que chacun prenne conscience de ses potentialités et de ses ressources.

On peut observer plusieurs points communs aux deux modalités d’intervention qui viennent d’être évoquées :

■ L’accent mis sur la ritualisation des temps partagés, de façon à permettre aux enfants d’expérimenter une prévisibilité de ce qui va se dérouler avec leurs parents.

■ L’importance accordée à l’aménagement des locaux de rencontre, pensé et organisé autour d’espaces différenciés. La salle de visites médiatisées du service d’accueil familial thérapeutique Pré Médard est organisée en deux parties distinctes, séparables par une porte à double battants, avec de nombreux recoins offrant aux enfants la possibilité de se cacher et d’instaurer des jeux symboliques de séparation-retrouvaille mais également de se protéger du regard et de la

108 Mascaró-Anssens R. Op. cit.

présence des adultes s’ils en ressentent le besoin. Les professionnels rencontrés ont raconté comment certains enfants leur « confiaient » leurs parents et allaient jouer plus loin pendant les échanges. Dans les locaux du Fil d’Ariane, l’espace enfants et l’espace parents sont séparés par un mur percé d’une fenêtre et d’une porte qui peut rester entrouverte, autorisant les enfants à retrouver leurs parents lorsqu’ils en éprouvent le besoin. « Cette distinction d’espaces permet la possibilité de se représenter la différence d’espace psychique entre parents et enfants, ce qui facilite le travail de soutien dans le processus de séparation-individuation chez l’enfant. » 109

■ Dans les deux services, il est fait mention de l’utilisation par les référents de leur « appareil psychique » (AFT Pré Médard) ou « processus de pensée » (Fil d’Ariane), pour aider l’enfant (ainsi que le parent pour le Fil d’Ariane) à donner sens aux émotions ressenties et à les mettre en mots, l’enjeu étant de soutenir le développement de son propre processus de pensée.