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du « prendre soin » au service du jeune enfant accueilli

II- 2.6 Prendre soin des parents

Parmi les besoins particuliers d’un enfant placé, M. David insiste sur son « besoin de sentir que l’on prend soin de ses parents, si défaillants et maltraitants ont-ils pu être à son égard » 115. Ceci est confirmé par l’équipe de l’accueil familial thérapeutique Pré Médard, pour qui montrer à l’enfant que l’on prend soin de ses parents le « dégage » de le faire lui-même et l’autorise à prendre le temps de grandir. Cette équipe, qui accompagne les enfants sur de longues durées d’accueil et mène des visites médiatisées en suivant un protocole précis (voir supra), observe qu’à l’âge de l’école primaire, apparaît généralement chez l’enfant un désir de réparation de son parent, un désir de venir le soigner, de lui faire des cadeaux, de lui venir en aide, à travers des sollicitations du service (« et si vous mettiez quelqu’un pour faire le ménage », « et si vous alliez le chercher… »).

L’enfant s’interroge sur la façon d’amener son parent à devenir « un parent normal ». Un début de changement apparaît au niveau du collège (6e et 5e), les enfants se rendant compte qu’ils ont essayé et se trouvent « un peu fatigués d’essayer ». Au démarrage de l’adolescence, ils commencent à vouloir se construire pour eux-mêmes. Des mouvements dépressifs peuvent apparaître, mais aussi de la colère. Des demandes de dégagement peuvent émerger, par exemple d’espacer les visites médiatisées.

Prendre soin des parents en étant à l’écoute de leurs propres difficultés et de leurs besoins de réconfort contribue également à construire avec eux une « alliance thérapeutique sécurisante » 116, perspective dans laquelle se situent les professionnels des services d’accueil de jour rencontrés dans le cadre de l’étude. Cette alliance est une des voies pour l’atteinte des objectifs que peuvent se fixer ensemble les parents et le service, comme le souligne une professionnelle : « Si le parent n’est pas dans la démarche de l’entraide, ça n’aboutira pas. Moi, par exemple, j’ai eu une situation où les parents n’étaient pas d’accord et ça n’a pas marché. On le sait très vite, ils se braquent et dans les six mois, ça capote. Avec l’enfant ça peut bien marcher mais, si avec les parents ça ne fonctionne pas, ils font tout pour saboter. » Veiller à la dimension d’hospitalité et d’accueil des parents lors de leur présence dans le service est une première démarche qui permet la mise en confiance. Des équipes rencontrées s’y montrent attentives, de différentes façons : temps d’accueil des parents, de détente et de convivialité autour d’un café-biscuits au Fil d’Ariane, partage d’une collation en tenant compte des goûts des parents pendant les visites médiatisées de l’accueil familial thérapeutique Pré Médard. Dans l’expérience du dispositif d’accompagnement à la parentalité La Forestière 117, l’accueil sans jugement de la famille est décrit comme conditionnant la qualité de l’accompagnement. Cette posture permet aux professionnels de porter un projet d’avenir – sans pour autant, précisent-ils, « oublier le passé » – et aux parents de se sentir accueillis avec bienveillance. Cet accueil n’empêche pas que soient posés dès cet instant le cadre d’intervention,

115 David M. Lien parents-enfants et maltraitances : maintien, rupture, traitement ? In : David M. Prendre soin de l’enfance.

Op. cit.

116 Morales-Huet M. Apports de la théorie de l’attachement aux prises en charge précoces parent-jeune enfant. In : ONPE.

La théorie de l’attachement : une approche conceptuelle au service de la protection de l’enfance. Paris : ONPE, 2010.

117 Voir la fiche de dispositif sur le dispositif d’accompagnement à la parentalité La Forestière sur le site de l’ONPE (rubrique Dispositifs et pratiques).

avec ses règles (notamment par une présentation du règlement de fonctionnement) et ses missions, en exposant clairement l’attente de mobilisation parentale. Dans la même perspective d’instauration d’un climat de confiance, ce service informe et associe les familles tout au long de l’accompagnement, en particulier lors des concertations/bilans trimestriels les concernant :

« Quand on présente ce dispositif, les parents savent qu’il y a des notes qui partent, via les référents, leur hiérarchie et le juge des enfants. Par contre il n’y a aucune note […] qui part d’ici sans que ce soit lu aux parents. Ça leur est résumé très largement, justement lors des bilans à trois mois. Étant donné qu’on ne participe pas aux audiences, il est hors de question qu’on leur dise en audience que la Forestière a dit ça et qu’ils soient surpris. Lors de ces lectures, ça permet d’échanger, et aux parents de dire leur désaccord. Si on estime qu’on a tort, on peut le barrer ou ne pas le mettre, et si on estime qu’on a raison, on dit pourquoi. » Pour entretenir l’alliance parent-professionnel sans complaisance, cette même équipe souligne l’importance de communiquer avec les parents sur les évolutions : en montrant les progrès, par des remerciements pour leur assiduité, leur engagement, mais aussi en les alertant lorsque cela est nécessaire sur des évolutions négatives ou des régressions.

Selon la psychologue de l’un des services, « si on fait du soutien à la parentalité, il y a quelque chose à penser du côté du care giving du parent dans sa globalité, et pas uniquement pour ce qui concerne l’enfant : par rapport à la situation sociale de ces parents qui sont perdus pour tout, la gestion du budget, l’administration, etc. » Ponctuellement cette psychologue peut proposer à certains parents des entretiens d’écoute active et d’accompagnement thérapeutique, ou une orientation, afin de les aider à réfléchir sur leurs histoires de vie et sur la manière dont celles-ci influencent leurs attitudes vis-à-vis de l’enfant. L’infirmière du même service témoigne : « Je pousse beaucoup les parents à prendre soin d’eux et parfois je les accompagne. Comment peut-on prendre soin de son enfant si on ne prend pas soin de soi ? »

Parmi l’ensemble des dispositifs visités dans le cadre de l’étude, les services d’accueils de jour se caractérisent par le fait de proposer des actions concernant directement les parents : il s’agit d’outils de médiation pour travailler la relation avec leurs enfants. Dans les trois services, on retrouve des temps de groupe pour les parents. Intitulés « groupes de parents », « causeries » ou

« groupe de parole des parents », ces temps rassemblent des parents selon des rythmes plus ou moins soutenus (fréquence hebdomadaire en groupes stables pour le Fil d’Ariane, deux fois par mois à Parent’ailes, une fois toutes les six à huit semaines à l’accueil de jour territorialisé).

S’il s’agit dans chaque expérience d’échanger sur des problématiques relatives à la parentalité, à partir de thématiques proposées ou d’une discussion plus libre, la visée de ces groupes est formulée de façon différente selon les services.

Le groupe de parents de l’accueil de jour territorialisé a ainsi pour objectif d’accompagner le parent, de le soutenir dans sa parentalité en le rassurant sur les compétences dont il dispose déjà.

« Pour avancer avec l’enfant et sa famille, les professionnels ne peuvent pas aborder la question de la parentalité en soulignant les carences. Ils doivent plutôt tenter de repérer, à côté des insuffisances, tout ce qui fonctionne bien, tout ce que la famille sait faire. L’attitude qui consiste à valoriser les compétences

parentales, en constatant et en nommant le positif, n’implique pas un déni de ce qu’il y a de négatif. Il ne s’agit pas de tomber dans de la connivence. Il s’agit seulement de ne pas réduire l’autre à ses erreurs. » 118 En complément des temps de « causerie », le service Parent’ailes propose, une fois par mois, les

« mardis des mères » et les « mardis des pères », temps pour se retrouver et faciliter les échanges entre pairs, temps également d’activités partagées de chaque participant avec leur enfant.

Dans le cadre du Fil d’Ariane, le groupe de parole des parents participe à l’objectif thérapeutique du dispositif, pensé et adapté pour offrir aux dyades parents-enfant un accompagnement du processus de séparation-individuation. Ce groupe vise, à travers la position de soutien et d’accompagnement des trois professionnels, particulièrement au moment où parent(s) et enfant viennent de se séparer pour rejoindre leurs groupes respectifs, à permettre aux parents une mise en mots et en récit de leurs éprouvés. L’attention et l’écoute des identifications et transferts directs et latéraux font partie intégrantes du travail des professionnels dans l’animation du groupe, favorisant l’appartenance au groupe formé, et constituant un étayage narcissique très important.

Les parents se sentent ainsi portés par le groupe. Ces positionnements des intervenants ont aussi pour objectif de favoriser chez les parents – souvent eux-mêmes très carencés et n’ayant pu intérioriser des modèles et comportements d’attachement sécurisants – l’expérimentation de nouvelles modalités de relation et d’attachement. Les possibilités de nouer des relations de confiance dans ce cadre font partie des axes de travail tant du côté des enfants que des parents.

Les temps de groupe et de sortie collective organisés par certains services permettent aussi aux parents de se rencontrer, et parfois de se resocialiser. Les équipes soulignent que la (re)construction d’un réseau relationnel solidaire – dès lors qu’il est adéquat – peut procurer un soutien au parent, en particulier lors de la délicate transition que réprésente la sortie de dispositif 119. Pour préparer ce temps, certains services intègrent aux prises en charge des rencontres vers d’autres lieux ressources, afin que les parents identifient d’autres partenaires (groupes de parents de centres socioculturels, de PMI ou d’autres services ; lieux d’accueils parents-enfants ; etc.).

S’agissant de placements plus classiques, la pouponnière de l’Ermitage 120 accompagne les parents à travers un dispositif global impliquant les professionnels de l’établissement à des places différentes. La coordonatrice du groupe de vie de leur enfant, chargée d’organiser, en lien avec la psychologue « parents », les visites et sorties avec la famille, ainsi que les rendez-vous des enfants, leurs activités et leurs trajets, réalise avec les parents un travail d’alliance, de soutien et de contenance, en répondant à leurs appels téléphoniques pour prendre des nouvelles de leur enfant, en résolvant les questions pratiques, en aidant à écrire une lettre aux juges, etc. La cheffe de service représente l’institution auprès des parents et les reçoit lors des moments charnières.

L’infirmière répond à leurs questions sur la santé de leur enfant et les accompagne à toutes les visites médicales internes et aux rendez-vous à l’extérieur. Les auxiliaires du groupe de vie de leur enfant rencontrent brièvement les parents, au moment où ils viennent chercher l’enfant à la porte

118 Martin K. Conduire l’équipe vers une nouvelle organisation de service et la création de son projet de service : diversification de la prise en charge en accueil de jour en réponse aux besoins des familles. Mémoire de Caferuis, novembre 2017.

119 Il apparaît en effet que la transition n’est pas simple pour les parents qui ont eu l’habitude d’être très soutenus par le service, et que le risque d’échecs peut être majoré lorsque les parents sont dans une situation de complet isolement relationnel.

120 Voir la fiche de dispositif sur le dispositif d’accompagnement à la parentalité La Forestière sur le site de l’ONPE (rubrique Dispositifs et pratiques).

de l’espace de vie pour une visite, ou lorsqu’ils le ramènent à la fin de celle-ci. La psychologue parents assure les visites médiatisées ou accompagnées. Ce travail d’accompagnement conduit à un « écrit parentalité » dans le rapport de situation établi par l’établissement, document rédigé par les coordonatrices et la psychologue.