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mais variations circonstancielles.

Dans le document Parcs et promenades pour habiter (Page 105-109)

L'invariant, c'est ce que nous pourrions nommer une

"niche

topologique",

par analogie avec le concept de "niche écologique". Celle-ci désigne l'ensemble des conditions de milieu nécessaires à la survie de l'espèce (relations trophiques et territoriales avec les autres espèces). Celle-là désignerait alors l'ensemble des conditions du milieu urbain nécessaires à la survie d'un caractère identitaire de la ville (relations topologiques entre la végétation, la rue et le mur). Ces relations peuvent être modifiées jusqu'à un certain point, au-delà duquel l'identité de la niche disparaît. En-deçà, elle persiste. Ainsi les relations topologiques de la configuration analysée évoluent -elles avec les années, mais maintiennent une tradition : historiquement, les murs s'abaissent mais subsistent, la végétation

se

discipline mais résiste, la rue

se

réglemente mais laisse parfois sa place au piéton.

Les variations, alors, ne marquent pas le territoire mais le temps.

La

usann

e est une ville qui

se

lit davantage en épaisseur qu'en plan.

Plusieurs strates sont clairement lisibles

dans

toute la ville : la

niche

campagnarde

(murs de vignes, végétation touffue et portes pleines ouvrant

sur des chemins publics étroits), la

niche XIX ème

(grands murs de

terrassement à bossages, jardins suspendus, trottoirs sur rues larges), la

niche néo-classique

(grilles ouvragées sur murs bas, végétation débordante

et trottoir sur rue en impasse), la niche moderne (grilles basses sur muret

de soutènement, doublées d'une haie de troènes taillée à l'équerre, avec portails bas). Le passage de la laurelle, au troène puis au thuya marque aussi les générations de haies et de clôtures des dernières décennies.

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2. Second invariant infiniment variable :

le rapport privé-public.

Pour certains, c'est la

séparation

qui prime : les murs, les haies et les portes masquent l'univers domestique et engendrent un sentiment de frustration, d'ennui, voire d'interdit ("on reste sur sa faim", "on ne voit que les murs", "c'est une coupure énorme que l'on ressent

là",

les personnes sont rejetées vers la route et ne voient que quelques bribes), mais ces sentiments peuvent aussi aiguiser la curiosité ("il doit se passer des tas de choses derrière ces murs", "chacun y a son petit coin d'eden", "un simple coup d'oeil par dessus laisse parfois entrevoir tout un monde). Pour les autres, c'est la

relation

entre le privé et le public qui est dominante : les murs sont alors porteurs de domesticité, soit qu'ils restent vierges ("les gens parcourent des couloirs minéraux et c'est ce qui fait la qualité de ces quartiers d'habitations - leur

cosi"),

soit qu'au contraire ils soient colonisés par la végétation ("ce genre d'herbe rampante, descendante, envahissante", "ces espèces de cascades vertes débordantes"), voire même,

dans

les espaces plus modestes, remplacés par des haies taillées au cordeau. Pour tous, il y a

sentiment d'unité dans la diversité,

perception tangible d'un ordre général derrière le désordre particulier, d'un "équilibre subtil et balancé entre une nature débordante et une nature réglée" qui s'exerce à l'échelle de la ville entière.

L'invariant, c'est alors la continuité d'un tissu urbain qui s'exprime

dans

cet équilibre privé-public, pour certains symbolisé par la présence

alternée et exclusive de deux couleurs : le vert et le gris 41. "Lausanne est une ville verte par cet univers qui échappe à la grisaille de

ses

propres murs", "c'est sa manière à elle de déborder de vitalité", "un territoire humanisé, certes, mais rural encore" - qui impose "sa condition végétale".

Mais les variations sont infinies et l'on distingue alors différentes modalités d'interface entre les deux domaines :

la coupure

(que constitue la haie opaque ou le mur plein, ancien ou récent, de soutènement ou de protection, de pierres grises ou crépi),

le débordement

(du lierre, de l'herbe folle ou parfois de la vigne qui franchissent le haut des murs et redescendent sur la voie publique),

l'enveloppement

(d'un trottoir ou d'un chemin par une arborisation en encorbellement ou en porte-à-faux),

le

filtre,

plus subtil, qui introduit des transparences entre des plans successifs (par exemple lorsqu'une grille sert de support à une végétation grimpante, mêlant à la ronce ou à la glycine ses volutes métalliques, ou encore

4l Une triste qualité. Cet équilibre entre le vert et le gris est symbolisé par la première image du vidéogramme qui suscite ce commentaire : "C'est d'une

tristesse

insoutenable et pourtant d'une grande qualité".

105 passant devant un sous-bois dont la densité, variable suivant les saisons, laisse deviner la façade de la maison),

le redoublement

enfin, qui constitue toujours une procédure d'échappement, fonctionnel ou esthétique (la petite porte à côté du grand portail, le mur végétal qui prolonge le mur en dur, le chemin de traverse qui double la rue voisine, ... ). On déplore alors

la tendance actuelle à privilégier la coupure (comme en témoignent le développement du mur haut crépi et de la porte aveugle

dans

la propriété de luxe ou celui de la haie de thuyas autour de la

villa

plus modeste), alors que les autres principes devraient être réactualisés, car ce sont eux qui assurent la richesse de cette continuelle discontinuité du tissu urbain­ végétal lausannois.

3. Troisième immuable variation : celle des

cheminements dans la

ville.

Murs et portes la

usann

ois sont le support matériel et rêvé des

cheminements les plus divers. Ici encore, les jugements de valeur sont opposés. D'un côté les tenants de l'ennui ne voient

dans

ces chemins, ces haies, ces grands murs que des portes fermées et des couloirs oppressants, contraignants et moralistes :

oppressants

puisqu'ils évoquent souvent un monde vieilli, vieillot, triste et révolu,

dans

lequel le gris des murs symbolise la grisaille d'une vie quotidienne monotone et dépassée, et

dans

lequel la verdure donne en pâture à ses brebis passantes quelque vue pittoresque néo-rurale;

contraignants

puisqu'ils canalisent les parcours et obligent le piéton à passer de manière occulte, voire à presser le pas - tels ces murs qui semblent vous dire "Circulez, y' a rien à voir";

moralistes

enfin

dans

la mesure où ils sont empreints ici de puritanisme anglo-saxon (Villa

Fernande, ... ) ou

de rationalisme d'ingénieur ("Le XIXème s'attaque à la ville en la ceinturant, en l'emmaillottant, en canalisant les déplacements : ces grands murs de soutènement comme celui du Mont d'or, tous les projets routiers créent un espèce de continuum gris, relayé par les écoles, les collèges, le tnbunal, toute l'architecture publique de l'époque; c'est l'expression d'une ville d'ingénieurs").

Mais de l'autre côté, la plupart des gens considèrent ces chemins comme une chance exceptionnelle et comme une ouverture possible, homogène et diverse à la fois. "Finalement, tu te promènes et tu ouvres un oeil; tu regardes, tu apprécies et tu es dedans". Les itinéraires ne leur apparaissent nullement obligés, mais au contraire libérés,

dans

la mesure où ces chemins font réseau et autorisent un choix entre différentes modalités de traversée de la ville ou d'un quartier : répéter, dériver, circuler.

106 soulignons : soit on répète le même trajet, jour après jour, mois après mois, année après année, et c'est le chemin qui change ou qui évolue avec la lumière, avec les saisons, avec les années - la connaissance intime du chemin est toujours différée et "plus on le connat"t, plus il diffère de lui­ même"; soit la répétition appara1"t au cours d'un même trajet et

ceci

renvoie plutôt à une sorte de rythmicité, ou plus simplement à une ponctuation du cheminement effectué : "Dans l'itinéraire, il peut

y

avoir des choses qui reviennent; mais ce qui revient, ce n'est pas telle ou telle fqrme construite, c'est la sensation; c'est une ambiance, une configuration, une lumière - un effet". Variations sur un même chemin comme répétitions, à quelque différence près.

La dérive,

ensuite, offre la même ambiguïté : on devait passer par tel

chemin, et on est passé par ailleurs, sans savoir pourquoi ni comment. Telle configuration, telle lumière, tel événement passé inaperçu nous a fait dévié - inconsciemment. "Tout se met en place automatiquement", "on se laisse porter ailleurs", c'est comme s'il existait un tropisme végétal qui orientait nos cheminements. Le résultat est le même - invariable -, mais le trajet a été différé - varié; il ne pourrait même pas être répété, autrement dit, on ne saurait le retrouver, alors qu'il oblige à se retrouver.

Quant à la simple

circulation,

fonctionnelle et détachée, elle reste toujours poSSible du fait du caractère ordinaire et général de ce

type

de tissu végétal. Non plus se laisser porter par le cheminement, mais se laisser dicter un itinéraire par le mur ou la haie, sans avoir à

y

réfléchir ou à s'en préoccuper.

Ainsi

les grands murs jugés les plus hostiles et les plus impératifs, ceux qui génèrent un "tropisme du gris horizontal" et semblent ordonner de suivre le trottoir en baissant la tête, deviennent des moments sur des trajectoires plus riches, "une séquence neutre, un segment sur lequel on pense à autre chose, à sa journée, à son activité, à de l'utile".

11.4.

MOTIF :

L'ALIGNEMENT

n

ne s'agit pas seulement de l'alignement végétal, ligne d'arbres ponctuels ou haie continue. Le motif, en effet, non seulement dessine une ligne dans l'espace mais motive aussi le développement urbain à venir comme le déplacement de l'usager. D'où les trois connotations conjointes suivantes.

Dans l'espace,

la ligne

peut être droite ou courbe, rigide ou souple, continue ou discontinue, purement végétale ou mixte. Dans le temps, l'alignement végétal

fixe

des limites à la voie publique et à l'emprise du

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privé sur le public. On ne saurait trop insister sur la permanence forte que

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