• Aucun résultat trouvé

Effets cumulés et santé : analyse des données

6.2.2 Variables dépendantes

Comme nous l’avons déjà évoqué, nous nous intéressons dans ce chapitre à deux types de mesures subjectives de la santé : la santé auto-évaluée et la satisfaction de la santé. Nous commençons par discuter la pertinence de l’utilisation d’une variable telle que la santé auto-évaluée en tant qu’indicateur de santé au regard des études déjà effectuées.

Les indicateurs de santé

Les échelles auto-évaluées de santé sont des indicateurs subjectifs que l’on utilise pour faire une approximation de la santé « réelle » des individus. Lorsqu’on souhaite les utiliser, il est alors important de réfléchir d’une part à ce qu’elles mesurent réel-lement, et d’autre part à quel point elles forment une approximation satisfaisante de la santé réelle. En effet, il existe une tension entre la perception « interne »de la santé, c’est-à-dire celle issue du patient lui-même, et sa perception « externe », celle issue du diagnostic d’un médecin (Sen, 2002). La perception externe a été souvent critiquée pour son manque de sensibilité vis-à-vis des implications psycho-logiques et sociales de la maladie. La perception interne souffre également d’un défaut majeur, inhérent aux inégalités d’accès aux soins. En effet, la perception interne de la maladie dépend en grande partie d’un diagnostic externe ; si certains symptômes n’ont pas été identifiés comme étant la conséquence d’une maladie, ils ne seront peut-être pas pris en compte dans l’auto-évaluation de l’état de santé.

Cette identification des symptômes est fortement liée à la possibilité offerte aux individus d’être diagnostiqués et donc à l’accès aux soins. Comme exemple, Sen (2002) compare deux états d’Inde. Le premier état, plutôt pauvre et avec une lon-gévité inférieure à celle du deuxième état, présente pourtant des taux de morbidité bien inférieurs. Il conclut que le meilleur niveau d’éducation et la meilleure qualité des soins dans le deuxième état permettent aux habitants de mieux diagnostiquer et percevoir leurs maladies. Cette critique des échelles auto-évaluées de santé est capitale lors d’analyses de la santé dans des pays avec de fortes inégalités d’accès aux soins ou lors de comparaisons internationales. Murray et Chen (1992) mettent en évidence la forte disparité de la santé auto-administrée entre les Etats-Unis et l’Inde. Dans cette étude, une comparaison maladie par maladie des taux de morbi-dité auto-évaluée pourrait amener à la conclusion que les Américains sont en moins bonne santé que les Indiens. Il est donc capital de se poser la question du contexte social qui entoure ces mesures d’auto-évaluation, et du rôle que peut jouer le niveau d’éducation ou d’accès aux soins dans la prise en compte des statistiques (Krause et Jay, 1994) .

Cette disparité géographique mise en évidence par Murray et Chen (1992) et Sen (2002) a moins d’importance dans des pays comme la Suisse ou l’Allemagne qui possèdent des réseaux de soins relativement homogènes sur leur territoire. Les inégalités d’éducation et de statut social, quant à elles, jouent certainement un rôle lors de l’auto-évaluation de la santé, quelle que soit la qualité et la disponibilité des soins. Cependant, plusieurs études confirment la validité des échelles de santé

auto-évaluée, que ce soit au niveau de la continuité de l’échelle (Manderback et al., 1998) ou de sa validité en tant qu’indicateur de l’état de santé (Miilunpalo et al., 1997). Une revue de 27 études, effectuée par Idler et Benyamini (1997), démontre également que l’échelle est stable et qu’elle est un prédicteur indépendant efficace de la mortalité, même après l’inclusion d’autres prédicteurs connus de la mortalité.

La satisfaction de la santé peut sembler à première vue un indicateur très si-milaire à la santé auto-évaluée. Nous découvrirons cependant lors de l’analyse que, malgré une association élevée entre les deux indicateurs, leur analyse en fonction de facteurs explicatifs amène à des conclusions différentes. Rappelons également que le Panel suisse de ménages dispose d’autres indicateurs de santé, tels que le nombre de visites annuelles chez le médecin, le nombre de jours d’arrêts pour raison de santé, ou la consommation de médicaments. Nous ne prenons pas en compte ces variables dans ce chapitre pour garder une perspective plus « générale » sur la santé ; ces indicateurs sont à notre avis trop spécifiques pour présenter un réel intérêt dans un modèle de régression sur une variable dépendante unique. Nous présenterons en revanche dans le chapitre 8 comment procéder à une analyse longitudinale d’une variable latente de santé, mesurée par ces différents indicateurs.

Pour conclure cette discussion, les échelles d’auto-évaluation de la santé peuvent comporter certains biais en fonction du statut social ou de l’éducation dont le chercheur doit être conscient lors de l’interprétation des résultats. Une prudence encore plus grande est de mise lors de comparaisons internationales de ces échelles, pour les différentes raisons évoquées par Sen (2002) et Murray et Chen (1992).

Description des variables

En ce qui concerne la santé auto-évaluée, on remarque tout de suite grâce au tableau 6.4 une tendance à la décroissance avec le temps pour la catégorie « très bonne » alors que les autres catégories croissent. On voit également à quel point les deux catégories de mauvaise santé ne représentent qu’une faible part des réponses.

Les différences du total des réponses par vague avec celles du tableau 6.1 corres-pondent aux quelques individus par vague qui ont répondu au questionnaire sans répondre à la question sur la santé auto-évaluée.

Pour faciliter l’analyse, deux décisions ont été prises. La première a été de re-grouper les catégories « assez mauvaise » et « très mauvaise » en une seule catégorie pour éviter des problèmes numériques lors de l’estimation dus à leurs effectifs très réduits ; il s’agit d’une mesure souvent nécessaire avec ce type de variable (Bobak et al., 2000). Le modèle est également simplifié car seuls trois paramètres de seuils sont estimés au lieu de quatre. Un des avantages des modèles de régression ordinaux est que les coefficients sont quasiment insensibles aux regroupements de catégories de la variable dépendante (Skrondal et Rabe-Hesketh, 2004, p.30). En revanche, comme nous le verrons dans la partie concernant les modèles sur la satisfaction de la santé 6.5, les regroupements de catégories peuvent avoir une influence sur l’estimation de la variance des effets aléatoires. La deuxième décision a été de ren-verser l’ordre des catégories pour que la variable aille de 1 (très mauvaise et assez mauvaise santé) jusqu’à 4 (très bonne santé), de manière à avoir des coefficients plus faciles à interpréter par la suite.

En ce qui concerne la satisfaction de la santé, l’individu interrogé répond sur

vague très bonne moyenne assez très N

bonne mauvaise mauvaise

% % % % %

00 28.86 56.50 13.24 1.24 0.16 6361

01 26.43 58.88 13.45 1.13 0.10 5732

02 25.31 60.50 12.94 1.09 0.16 4955

03 25.43 60.28 13.07 1.06 0.15 4522

04 21.81 63.44 12.96 1.55 0.24 3750

05 18.56 66.42 13.08 1.79 0.15 3249

06 17.49 67.35 13.10 1.88 0.18 3351

07 18.73 65.64 13.79 1.48 0.36 3641

08 16.33 67.07 14.31 2.03 0.26 3453

09 17.28 66.03 14.39 2.02 0.28 3606

42620 TABLEAU 6.4 – Santé auto-évaluée : répartition des réponses par vague

une échelle allant de 0, pour « pas du tout satisfait », jusqu’à 10, pour « tout à fait satisfait ». Comme on le voit dans le tableau 6.5, ce sont les catégories 9 et 10 qui subissent une baisse à travers les vagues, tandis que la proportion de toutes les autres catégories augmentent.

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 N

% % % % % % % % % % %

00 0.49 0.19 0.57 0.71 1.49 6.66 5.08 13.72 26.81 18.72 25.57 6363

01 0.40 0.07 0.42 0.72 1.12 6.56 5.88 13.28 29.83 18.88 22.85 5732

02 0.42 0.08 0.46 0.71 1.15 6.38 5.91 14.11 30.94 19.66 20.17 4954

03 0.57 0.07 0.38 0.62 1.35 6.04 5.44 14.57 30.30 20.54 20.12 4522

04 0.88 0.08 0.24 0.59 1.47 5.55 4.85 14.08 30.27 19.74 22.25 3749

05 0.40 0.12 0.55 0.49 1.23 5.63 4.74 14.99 31.09 20.47 20.28 3249

06 0.63 0.12 0.72 1.08 2.06 6.66 6.21 15.27 31.25 20.14 15.86 3347

07 0.85 0.22 0.49 1.13 1.70 7.42 5.77 14.71 31.75 18.99 16.96 3638

08 0.96 0.09 0.64 1.13 2.43 7.10 5.59 15.55 32.23 19.35 14.94 3453

09 0.55 0.25 0.86 1.05 1.80 7.16 6.24 17.00 34.12 16.42 14.54 3605

42612

TABLEAU 6.5 – Satisfaction de la santé : répartition des réponses à chaque vague

Pour éviter de devoir estimer un trop grand nombre de seuils dans les modèles de régression ordinale à venir, la variable de satisfaction de la santé a également été recodée en cinq catégories (cf. tableau 6.6). L’effet de ce recodage sera évalué dans la section 6.5.

Une comparaison graphique de la distribution de ces deux variables pour l’en-semble des 10 vagues met en évidence une différence sensible (voir Fig. 6.1). Pour la santé auto-évaluée, c’est la catégorie 4, c’est à dire une santé évaluée comme étant “assez bonne”, qui domine largement toutes les autres catégories ; pour la sa-tisfaction de la santé, les catégories 5 (9 et 10 dans la variable originale) et 4 (7 et

Catégories Catégorie d’origine recodée

0 ;1 ;2 1

3 ;4 2

5 ;6 3

7 ;8 4

9 ;10 5

TABLEAU 6.6 – Recodage de la variablesatisfaction de la santé

8) sont relativement proches. Malgré leur différence de distribution, la dépendance entre ces deux variables est statistiquement significative, comme nous l’indique un test de Kruskall-Wallis, que ce soit en croisant les variables non-recodées ou les variables recodées (dans ce cas, K-Wχ2 = 12920.42, df = 4, p-valeur < 2.2e-16).

1 2 3 4 5

santé auto−évaluée

0500010000150002000025000

1 2 3 4 5

satisfaction de la santé

0500010000150002000025000

Figure6.1 – Distribution des deux variables de santé (toutes les observations)