• Aucun résultat trouvé

1.4 M´ethodes d’approche du m´elange de traceur

1.4.1 Vari´et´es instables

Une des approches en vogue `a l’heure actuelle est fond´ee sur la th´eorie du m´elange chaotique dans des ´ecoulements simples et sur les propri´et´es g´eom´etriques de l’´ecoulement associ´ees `a ce m´elange. Cette g´eom´etrie de l’´ecoulement peut se d´efinir `a travers des vari´et´es stables et instables reli´ees aux points de stagnation de l’´ecoulement (ou plutˆot `a la g´en´eralisation de ces points dans le cas d’un ´ecoulement non stationnaire).

1.4.1a Dynamique des lobes

Consid´erons un ´ecoulement stationnaire qui poss`ede des points de stagnation, par exemple l’onde progressive de la figure 1.4. Nous voyons sur cette figure que l’´ecoulement est s´epar´e entre l’int´erieur des tourbillons et le jet ; la ligne s´eparatrice est l’isoligne de la fonction de courant qui passe par les points de stagnation. Si on

Figure 1.6: Vari´et´e instable pour l’onde progressive. Tir´e de Pierrehumbert (1991)

perturbe l’´ecoulement et que l’on examine les trajectoires (figure 1.3), on s’aper¸coit que les trajectoires semblent suivre un motif g´eom´etrique qui suit plus ou moins la s´eparatrice. En fait, ce motif g´eom´etrique est persistant pour un ´ecoulement lami-naire, ce qui a ´et´e mis en ´evidence r´ecemment par Rothstein et al. (1999) dans une exp´erience de laboratoire et pr´ec´edemment pr´edit par Pierrehumbert (1994).

L’existence de propri´et´es d’invariance dans l’´evolution de lignes mat´erielles (c’est-`a-dire des filaments de traceur) est reli´ee aux vari´et´es stables et instables des points p´eriodiques hyperboliques qui contrˆolent la dynamique globale. Que sont ces objets ? Supposons que l’´ecoulement de base poss`ede un point de stagnation hyperbo-lique (c’est-`a-dire un point o`u la vitesse s’annule). Au niveau de ce point, on peut d´efinir6 une direction stable et une direction instable de l’´ecoulement, c’est-`a-dire une direction pour laquelle deux particules initialement voisines vont converger ou se s´eparer exponentiellement ; ces directions sont fix´ees par les vecteurs propres de la hessienne de la fonction de courant (en fait, le tenseur de gradient de vitesse). Pour un ´ecoulement stationnaire comme l’onde progressive, cela correspond aux directions indiqu´ees par les s´eparatrices (figure 1.4).

La th´eorie des syst`emes dynamiques nous dit qu’il existe des courbes particuli`eres qui partent le long de ces directions (Guckenheimer et Holmes 1983, Wiggins 1992), appel´ees vari´et´es (“manifold” en anglais) stable et instable reli´ees au point de stag-nation. Ces vari´et´es vont servir de canevas g´eom´etrique pour le d´eveloppement du m´elange chaotique car il suffit alors de connaˆıtre seulement ces vari´et´es et on peut alors d´eterminer comment va s’organiser le transport dans l’´ecoulement. On peut voir ce ph´enom`ene en comparant les figures 1.6 et 1.3.

6

Le point est hyperbolique si le syst`eme lin´eaire associ´e (c’est-`a-dire la matrice ∇u) a deux valeurs propres de signe oppos´e.

Le th´eor`eme de Melnikov qui s’applique `a une faible perturbation d’un syst`eme int´egrable (comme notre ´ecoulement perturb´e) permet alors d’´etudier le transport dans un tel syst`eme `a partir d’une dynamique de “lobes” (Wiggins 1992). La dyna-mique des lobes est fond´ee sur l’id´ee de tourniquets (“turnstiles”) pour l’advection : les lobes, c’est-`a-dire des r´egions d´elimit´ees par les vari´et´es stables et instables sont transport´es de part et d’autre de la vari´et´e instable qui constitue une sorte de fronti`ere pour le m´elange. En effet, pour traverser cette vari´et´e instable, il faut n´ecessairement passer `a l’int´erieur d’un de ces lobes. On peut alors facilement calculer le flux advectif qui rentre par cette fronti`ere en suivant les trajectoires `a travers une suite de portes `a tambour (“revolving doors”) sur les fronti`eres.

Cette approche a ´et´e utilis´ee dans plusieurs ´ecoulements p´eriodiques ou faiblement ap´eriodiques et permet de d´eterminer le transport dans un jet avec des m´eandres (Duan et Wiggins 1996, Miller et al. 1997, Malhotra et al. 1998), pour le probl`eme de l’onde progressive (Malhotra et Wiggins 1998) ou pour le probl`eme des niveaux critiques de l’onde de Rossby (Ngan et Shepherd 1997a).

Cependant, on peut faire quelques objections `a cette approche. La premi`ere est que la th´eorie des lobes ne permet pas r´eellement de comprendre le m´elange dans sa complexit´e puisqu’elle d´ecrit le m´elange en terme de transport entre deux r´egions (int´erieur/ext´erieur) et que ces d´efinitions d’int´erieur/ext´erieur sont toutes relatives. Un exemple de ce probl`eme est donn´e par Koh et Plumb (2000) dans l’´etude des vari´et´es associ´ees `a un tourbillon de vorticit´e uniforme. Les vari´et´es ne sont pas localis´ees au mˆeme endroit que le bord du tourbillon et on ne peut pas diagnostiquer `a partir de l’´etude du transport des lobes combien de fluide est sorti ou rentr´e du tourbillon. Ces vari´et´es ne sont donc pas reli´ees aux barri`eres au transport comme on pourrait le croire a priori.

De plus, cette th´eorie repose sur le th´eor`eme de Melnikov qui n´ecessite des syst`emes proches de l’int´egrabilit´e. Or les ´ecoulements qui nous int´eressent (les ´ecoulement atmosph´eriques et oc´eaniques) sont turbulents et ne sont pas en g´en´eral des faibles perturbations de syst`emes int´egrables. Ils ne sont d’ailleurs pas non plus p´eriodiques ou faiblement ap´eriodiques. Koh et Plumb (2000) ont montr´e qu’une mauvaise application des vari´et´es (par exemple, en selectionnant le motif quasi-p´eriodique de l’´ecoulement) peut conduire `a des r´esultats non-pertinents. En un cer-tain sens, cela est dˆu au fait que l’´energie a un spectre plein en turbulence alors que les ´ecoulements d’advection chaotique ont une structure g´eom´etrique de base (c’est-`a-dire non-perturb´ee) relativement simple (donc un spectre d’une certaine fa¸con tr`es localis´e autour d’un certain nombre d’onde).

1.4.1b Vari´et´es de temps fini

Afin d’´etendre les r´esultats pr´ec´edents `a des cas plus r´ealistes, il faut revoir la notion de vari´et´e, en tenant compte de l’´evolution temporelle de l’´ecoulement (et donc de l’´evolution des points de stagnation et des vari´et´es associ´ees). Un premier pas dans ce sens a ´et´e r´ealis´e par Malhotra et Wiggins (1998) et Haller et Poje (1998) qui introduisent un concept de stabilit´e ou d’instabilit´e de lignes mat´erielles

en temps fini. Cela permet de d´efinir des vari´et´es invariantes de temps fini, qui seront associ´ees `a des trajectoires hyperboliques transitoires. Un th´eor`eme math´ematique donne alors les conditions d’existence des vari´et´es de temps fini pour un point de stagnation instantan´e donn´e. Il est int´eressant de voir que cette vision rejoint les r´esultats qualitatifs d’Okubo (1970) et de Weiss (1981) que nous d´evelopperons `a la section 2.2.1 : les vari´et´es instables correspondent aux trajectoires qui restent hyperboliques (au sens d’Okubo-Weiss7) pendant un temps assez long. La condition d’application du th´eor`eme est similaire (mais plus rigoureuse math´ematiquement) `a l’hypoth`ese d’Okubo-Weiss dont nous allons parler plus tard, `a savoir que les vecteurs propres du tenseur de gradient de vitesse soient lentement variables. Cela provient de la d´efinition des vari´et´es reli´ees aus probl`emes de dispersion de particules et d’´evolution des gradients de traceur.

Ces r´esultats th´eoriques ont ´et´e appliqu´es `a l’´etude des doubles gyres oc´eaniques dans un bassin (Poje et Haller 1999) ainsi qu’en turbulence bidimensionnelle (Poje et al. 1999, Haller et Yuan 2000). Dans ce dernier cas, Poje et al. (1999) observent que pour des dipoles, leur notion de vari´et´es de temps fini n’est pas valable car le point de stagnation a un mouvement trop rapide. De fa¸con plus g´en´erale, cette th´eorie devrait donner des ´el´ements utiles dans des ´ecoulements relativement stationnaires (au sens lagrangien) mais les hypoth`eses sur lesquelles elle repose ne devraient pas ˆetre valides dans tout un champ turbulent, puisque l’on sait que le crit`ere d’Okubo-Weiss ne l’est pas (Basdevant et Philipovitch 1994, Hua et Klein 1998).