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Sens et variété du travail

2-5 Temps vécus : jongler avec les contraintes temporelles.

NOM HORAIRE SALAIRE SYNDI LOISIRS HORS LOGEMENT (mens F.) CALIS.

1- Sens et variété du travail

L’énergie physique et psychique se renouvelle bien sûr d’abord au travers du sens donné à un travail jugé valorisant, dans lequel le mieux être du malade et la reconnaissance qu’il exprime demeurent essentiels, aux côtés de la reconnaissance par les médecins, les collègues de travail, ou la hiérarchie, moins souvent cités. Elle se renouvelle évidemment au travers de toutes les ruptures et coupures qui aident à souffler, à récupérer et à reconstituer ses forces : sans évoquer l’arrêt pour maladie ou pour s’occuper d’un enfant malade73

, les courtes pauses dans la journée de travail, les journées de repos et les périodes de congés. La monotonie des journées travaillées est tempérée également par des variations des horaires eux-mêmes pour celles qui alternent « soir- matin ».

Ca change énormément si c’est une journée où je suis du matin ou si je suis de l’après- midi. (Raoule)

Elle est tempérée par les changements dans l’activité de travail elle-même, qui n’est jamais entièrement répétitive au sein d’un même service, d’abord parce que chaque malade reste singulier, quand bien même l’hôpital est aussi une machinerie industrielle dans laquelle des logiques de taylorisation du travail sont à l’œuvre, ensuite parce que les services étudiés comprennent deux unités de soins dans lesquelles le travail diffère. Ainsi, en cardiologie comme en diabéto-nephrologie, elles alternent régulièrement le travail dans l’une et l’autre des unités de soins 74

.

Dans ce dernier cas certaines préfèrent nettement le travail en soins intensif, jugé mieux « organisé », favorisant une approche plus globale et relationnelle du malade et une coopération plus étroite avec les aides soignantes (Encadré p. 78). D’autres sont plus partagées. Mais la plupart soulignent les différences dans l’activité (contenu des tâches, division du travail avec les aides soignantes, relation aux malades).

73 La plupart disent limiter au maximum ces arrêts, compte tenu des effectifs limités pour faire

tourner le service et des pressions de la hiérarchie. De fait l’absentéisme maladie des infirmière est nettement plus faible que celui des aides soignantes (en 2001 : 10% contre 15%).

74 Depuis quelques années, afin d’améliorer le suivi des malades, la plupart des infirmières du

service de cardiologie passent deux mois à l’unité de « soins intensifs », puis deux mois à l’unité d’hospitalisation.

Expérience temporelle dans le travail, division du travail

S’il y a autant de temps vécus que d’activités humaines (Grossin, 96), alors il faudrait accorder ici une attention spécifique aux activités de travail des infirmières et au système des contraintes temporelles qui leur est propre. Ainsi, dans le service de cardiologie opposent-elles le travail au sein de "l’unité d’hospitalisation", trop souvent « perturbé » ou « parasité » – par les demandes impromptues des familles ou des médecins – et envahi par les tâches administratives, au travail à l'intérieur de "l’unité des soins intensifs", plus « organisé », mieux « programmé », davantage « protocolé ». Le même type d’opposition sépare les descriptions des contraintes temporelles entre l’unité de néphrologie et celle de diabétologie. Et si on ne peut pas dissocier « activité » et « subjectivité » (Clot, 94), alors faut-il s’intéresser de près à la manière dont le sens donné au travail permet ou non de maîtriser ces contraintes temporelles, compte tenu du type de soin, du type de malade, de leur durée de séjour etc .

Les contraintes temporelles sont enchâssées dans cet enchevêtrement de logiques organisationnelles – soin, mais aussi hôtellerie et examens-diagnostics – en quoi consiste la machinerie hospitalière, et dans les exigences de coordination des tâches entre les différentes catégories de professionnels. Les infirmières « font avec » les contraintes temporelles propres aux médecins – par exemple les horaires des visites quotidiennes – et aux aides soignantes, même si dans les deux unités étudiées la séparation des tâches entre ces dernières et les infirmières est décrite par ces dernières comme forte et souvent excessive. Une investigation plus approfondie devrait permettre d’élucider ce que le type de contraintes temporelles et la vision qu’en développent les infirmières doivent aux choix organisationnels réalisés à l’échelon de l’établissement et des services et des unités (incluant la relation effectifs/charge, le degré de polyvalence, la division des tâches entre catégories de personnel etc.)

Les principales différences en service d’hospitalisation ? … la grosse différence elles est

au niveau de l’administratif ; et au niveau aussi du soin, du malade, qui est malheureusement moins vu dans sa globalité qu’aux Soins Intensifs (SI), mais qui aussi ne nécessite pas autant de surveillance qu’aux SI. (Patricia)

C’est complètement différent, parce que quand on est sur les soins intensifs, on a une prise en charge….dans la mesure où on participe à la toilette, ça c’est important : on participe au nursing, ce qu’on ne fait pas en service, parce qu’on ne peut pas, on n’a pas le temps….en service, on est responsable de 14 malades, donc on ne participe pas aux soins directs de nursing. Les Si c’est une unité de réa, quoi, donc des malades il y en a moins, et c’est des cas lourds… il y a des AS, mais les soins de nursing on les fait ensemble… c’est très intéressant… c’est différent, on a une pression qui n’est pas la même…les contacts avec les gens sont exceptionnels. (Michèle)

Mais on insistera plus ici sur l’ensemble des arrangements et des compromis passés avec les horaires socialement décalés, tant sur la scène professionnelle que sur la scène personnelle et domestique.

2 Arrangements et compromis autour des temps

Sur la scène professionnelle, il s’agit d’abord de tous les arrangements passés au sein du collectif des infirmières et/ou avec la hiérarchie soignante, et permettant de modifier le planning en cas de besoin75. Par exemple, on « s’échange les week-end » avec

75 Les feuilles de plannings de juin 2002 des deux services portent la trace d’environ une

une collègue de manière à bénéficier de deux week-end consécutifs76. Il s’agit ensuite et surtout de la possibilité de passer à temps partiel – moins difficile semble-t-il dans cet hôpital que dans d’autres 77

– le plus souvent à 80%, ce qui signifie le bénéfice d’une journée supplémentaire de repos par semaine. Généralement demandé au terme d’un congé de maternité et suite à une évaluation financière précise par les intéressées – les ressources du ménage sont peu affectées compte tenu de diverses compensations directes ou indirectes – le passage à 80% n’a pas ici de contreparties trop négatives, repérées dans d’autres études (Cattaneo, 97), en termes de prévisibilité des prestations et d’intérêt du travail78. Plusieurs parviennent ainsi à bénéficier de tout ou partie de leurs mercredis libres, ce qui n’apparaît possible que quand le service est de dimension suffisante et/ou ne fonctionne pas en sous-effectifs.

Je voulais rester dans le service ; et au niveau du service, il fallait qu’il y en ait une autre qui demande le 80% pour qu’on récupère un 50% ; donc, j’ai attendu que Roseline réintègre, quoi, pour avoir mon 80%, voilà… donc ça a duré un petit peu… disons qu’au départ, j’avais la CAF, jusqu’aux 3 ans de Nicolas, j’avais la CAF qui complétait…là, je ne l’ai plus, mais ça n’est pas grave, parce que j’ai gagné en impôts, je gagne en temps de repos, donc, bon…je ne reprendrai pas à temps complet…. A 80%, j’ai un jour par semaine… toujours le même ? …non…non, ça dépend….et bien j’ai un mercredi sur deux… comment ça se passe ? par entente entre vous ? et bien disons qu’on est toutes à avoir des gamins … les filles normalement, elles n’ont pas un mercredi sur deux, mais nous on arrive à avoir un mercredi sur deux ; et puis on gère avec la 50% aussi : elle nous remplace quand on n’y est pas. (Raymonde)

80%, c’est très bien…si je pouvais faire du 50 au lieu du 80, j’en ferais aussi…(rires)….oui, parce que, bon, j’ai tous mes mercredis à 80% ; j’arrive par arrangement encore.. ; c’est à dire que comme on est un service où on est nombreux, il y a plein de jeunes et il y a des anciennes, donc il y a un équilibre qui fait que certaines personnes peuvent avoir leur mercredi puisque les autres ça ne les intéresse pas. (Laurence)

Certes, les horaires a-typiques sont principalement objet de récriminations, de plaintes, ou de revendications : on déplore d’abord le manque de temps passé en famille, en particulier le manque de week-end, et on regrette parfois la grande difficulté de la sociabilité amicale.

Un jour je m’étais dit « quand je travaillerai je ferai de la gym, je ferai ceci, je ferai cela » (rires), en fait même j’ai des amies mais je suis quelqu’un de très solitaire, en fait je les appelle rarement et je n’éprouve pas le besoin de voir du monde. Non je vois peu d’amis. Je reste avec mes enfants. Si, quand j’étais jeune je sortais énormément, je pense

76 Ce type d’arrangement à partir d’un planning défini par l’encadrement infirmier est à distinguer

des cas d’organisation dite « en temps choisi », dans laquelle le planning est élaboré par les infirmières elles-mêmes. Une telle organisation a été en vigueur pendant deux années au service de cardiologie. Les infirmières ont souhaité y mettre un terme, suite à la montée d’un sentiment d’inéquité, la proportion de week-ends de repos, notamment, apparaissant inégalement distribuée. Il semble également que ce système ait abouti à autonomiser le service au plan de la gestion des absences (recours plus difficile au pool de suppléance et aux autres services).

77 34 % des infirmières sont à temps partiel – 60% d’entre elles à 90 ou à 80% – soit sensiblement

plus que la moyenne nationale des infirmières hospitalières : environ 30% (cf. plus haut la présentation générale du groupe infirmier). La directrice des soins infirmiers, en poste depuis 1995, a fait du développement du temps partiel nonobstant les réticences de l’encadrement, un levier de la mise en place du « temps choisi », jugeant qu’il favorisait la mise en place de modalités d’organisation du temps de travail moins « rigides ».

78 Le temps partiel à 50% fonctionne nettement plus sur le mode de « bouche trou » dans les

que j’ai fait ma jeunesse en temps voulu et maintenant çà ne me manque pas… Si des fois j’aimerais aller chez le coiffeur. Non je n’ai pas le temps, je me vois mal y aller avec mes deux enfants. (Katia)

On souffre notamment au moment de la « bascule », cette séquence du cycle de travail au cours de laquelle on enchaîne un horaire de soirée et un horaire de matinée.

Mais on trouve aussi des vertus à ces horaires décalés.