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La validité juridique

La théorie syncrétique du droit (une recherche des propriétés du droit)

Chapitre 2. La validité juridique

3. Une norme est juridique si elle est valide formellement et matériellement à l’intérieur d’un ordre juridique

La validité juridique (appartenance à un ordre juridique) est une espèce particulière de validité qui doit être distinguée de la validité normative (appartenance à un ordre normatif). Toute norme est nécessairement valide dans un ordre normatif plus ou moins sophistiqué — éventuellement très primaire — ; mais toute norme n’est pas systématiquement valide dans un ordre juridique. La qualité de règle de droit ne peut être attribuée qu’à un énoncé remplissant les conditions de validité d’un ordre juridique. Cela pose la question de la juridicité des ordres normatifs, donc celle des caractéristiques de leur développement juridique. Si, parmi les normes sociales, le droit se particularise, ce n’est pas parce qu’il existerait des normes juridiques à côté des normes non juridiques mais parce qu’il existe des ordres juridiques en parallèle des ordres normatifs non juridiques. C’est donc son contexte ou environnement normatif qui confère à la norme son éventuelle force juridique.

Du point de vue des théoriciens qui s’attachent à la validité juridique, le droit se présente tel un ensemble de normes unitaire, marqué par la cohérence, par l’homogénéité, par la logique, par l’interdépendance et par la systématicité, c’est-à-dire tel un ordre juridique.

En conséquence, la juridicité ne peut être connue au départ d’une norme isolée ; nulle norme ne saurait être juridique en soi et pour soi. Ce sont les relations entre les normes, au sein d’un ordre normatif perfectionné, efficace et doué de souveraineté, qui rendent ces normes juridiques. La juridicité est une qualité qui ne caractérise que des ensembles normatifs ; elle touche les normes individuelles seulement par ricochet, parce qu’elles appartiennent à ces ensembles. Avec le critère de la validité juridique, l’ordre juridique devient le concept central de la théorie du droit.

La problématique de la juridicité des ordres normatifs sera l’objet du septième chapitre ci-après, intitulé « le développement juridique de l’ordre normatif (critère

transversal) » . Pour l’heure, seuls doivent être envisagés les modes de rattachement de380 la norme à son ordre normatif, sachant que cela suppose d’avoir au préalable vérifié que l’ordre normatif en question est effectivement un ordre juridique. Or il faut distinguer deux modes de rattachement des normes aux ordres juridiques : l’un formel, l’autre matériel. Les observations effectuées quant à l’un et quant à l’autre permettent de déduire, par simple addition, la validité juridique globale d’une norme. Le critère de la validité juridique n’est donc pleinement rempli qu’à condition que les validités formelle et matérielle se cumulent. Autrement dit, si une norme est valide formellement mais non valide matériellement, alors le critère de la validité juridique est moyennement rempli, et inversement.

La validité juridique désignant l’appartenance formelle et matérielle d’une norme à un ordre juridique, il faut la décrire successivement sous son aspect formel (a) puis sous son aspect matériel (b). Dans le cas de la validité formelle, une norme est valide juridiquement si elle a été édictée dans le respect des conditions procédurales posées par les normes supérieures de l’ordre juridique. Dans le cas de la validité matérielle, une norme est valide juridiquement si son contenu est conforme à celui des normes supérieures de l’ordre juridique . 381

a) La validité formelle

4. Une norme est valide formellement si elle a été produite conformément aux normes procédurales en vigueur dans son ordre juridique

La validité formelle désigne l’inscription de la norme dans la « pyramide » que constitue l’ordre juridique. Est valide dans un ordre juridique donné la norme qui y est en vigueur, c’est-à-dire qui répond aux conditions de validité intrasystémiques, internes et intrinsèques, dont l’enveloppe formelle a été élaborée conformément à la procédure de production des normes dans cet ordre, qui y entretient une relation validante avec au moins une norme supérieure et antérieure. D’ailleurs, pour être précis, il ne faudrait pas évoquer simplement la « validité » mais plutôt la « validité dans l’ordre juridique X ».

380 Lorsque la norme étudiée est totalement valide au sein d’un ordre normatif, elle remplit le critère de la validité juridique à hauteur du niveau de développement juridique de cet ordre normatif. Par exemple, si l’ordre normatif est moyennement juridique, une norme de cet ordre remplit à moitié le critère de la validité juridique. Et, si une norme est moyennement valide au sein d’un ordre normatif moyennement juridique, alors elle remplit le critère de la validité juridique à hauteur d’un quart.

381 La différence entre valeur juridique et validité matérielle est la suivante : avec la première, la légitimité axiologique de la norme se juge à l’aune du for intérieur de l’observateur ; avec la seconde, la conformité de la norme dépend des valeurs et autres principes affirmés dans l’ordre normatif.

Une règle est formellement valide dès lors qu’elle a été adoptée — ou plutôt dès lors que l’acte qui la porte a été adopté — au terme d’une procédure en bonne et due forme, par l’organe compétent, et dès lors qu’elle n’a pas été abrogée . La validité formelle dépend 382 donc du fait que la norme ait été édictée dans le respect des modalités, des signes d’appartenance et des critères d’identification contenus dans les règles secondaires, règles de reconnaissance ou règles habilitatrices. Pour qu’une norme fasse partie d’un ordre juridique, elle doit avoir été créée en suivant le mode de production préétabli par des normes déjà valides dans cet ordre. Chaque norme d’un ordre juridique est ainsi la conséquence d’autres normes qui déterminent son procédé de création et permettent son inscription au sein du système juridique. Si la norme est formellement valide, elle intègre un certain échelon de la hiérarchie des normes et elle peut devenir à son tour la source de la validité d’autres normes.

Dans le cadre d’une telle approche dynamique et processuelle du droit, l’objet, la signification et la portée de la règle sont sans importance — mis-à-part lorsque la procédure comporte des exigences substantielles, faisant dépendre de celles-ci le respect ou non des exigences formelles. Plus encore, le sens d’une norme inférieure peut être contraire à celui d’une norme supérieure sans que cela n’affecte sa validité formelle. Les normes juridiques ne sont pas formellement valides parce qu’elles présentent une certaine substance mais parce qu’elles ont été produites d’une certaine manière.

Un ordre juridique comporte donc deux types de règles : les devoir-être à destination des individus, règles primaires ; les règles procédurales ou de compétence, règles secondaires à destination des organes officiels de l’ordre juridique qui doivent les appliquer afin de produire de nouvelles normes. Tandis que la validité formelle repose sur ces règles secondaires ou procédurales, la validité matérielle, qui constitue l’autre pan de la validité juridique, dépend davantage de l’adéquation avec les règles primaires ou de comportement de l’ordre juridique.

382 Là encore par l’organe compétent et selon les formes requises puisque l’abrogation se définit en tant que suppression de la validité d’une norme par une autre norme valide et habilitée dans l’ordre juridique à procéder à cette dévalidation.

b) La validité matérielle

5. Une norme est valide matériellement si elle ne contredit pas les principes et valeurs antérieurs et supérieurs contenus dans son ordre juridique

Pour qu’une norme soit pleinement valide juridiquement, il ne suffit pas qu’elle soit valide sous l’angle formel ; il faut encore qu’elle le soit dans son aspect matériel, c’est-à-dire concernant son objet, ses fins, sa portée, les effets qu’elle doit produire. Un ordre juridique s’analyse tel un ensemble d’exigences et de contraintes matérielles en plus d’être un ensemble formellement ordonné et rigoureux. Il convient donc de vérifier, outre si les conditions procédurales sont respectées, si la norme étudiée n’entre pas en conflit avec des normes supérieures de l’ordre juridique. Elle ne doit pas contrevenir aux valeurs, principes ou, plus simplement, prescriptions que ces normes supérieures consacrent. Le contenu de la norme analysée doit se laisser subsumer comme le particulier sous le général à l’intérieur de l’ordre juridique.

Étant en cause les valeurs défendues au sein de l’ordre juridique, le sous-critère de la validité matérielle ne doit pas être confondu avec le critère de la valeur juridique — ce dernier en appelant aux valeurs imprégnant le for intérieur du chercheur. Ici, l’analyse doit être neutre axiologiquement, donc objective et empirique, loin de tout jugement personnel et moral. Seuls des éléments internes à l’ordre juridique doivent servir l’évaluation.

Comme pour la validité formelle, il convient seulement, afin de juger de la validité ou non-validité matérielle d’une norme dans un ordre juridique, de procéder à une recherche ascendante des fondements de sa validité et à des tests de dérivation, donc à des investigations à l’intérieur de l’ordre juridique concerné . 383

Par ailleurs, une norme non valide formellement dans un ordre juridique ne peut logiquement voir sa validité matérielle mesurée par rapport à cet ordre. Cette validité matérielle doit être mesurée en relation avec l’ordre normatif d’appartenance de la norme, à savoir celui auquel elle se rattache formellement. Une règle invalide formellement dans un ordre juridique ne peut jamais être matériellement valide dans ce même ordre . 384

383 Le sous-critère de la validité matérielle peut être rempli partiellement dès lors que l’ordre juridique concerné comporterait des normes substantiellement contradictoires et que, en conséquence, la règle étudiée serait matériellement conforme à certaines de ses supérieures mais non à d’autres.

384 Concrètement, une norme portée par un code de conduite privé invalide formellement dans un ordre étatique est nécessairement invalide matériellement dans cet ordre étatique puisqu’elle ne lui appartient pas. Sa validité matérielle doit être mesurée relativement aux autres normes de l’ordre normatif privé dont elle découle — ordre privé qui n’est potentiellement que peu développé, insuffisance se répercutant sur la validité juridique de la norme.

Après la valeur juridique et la validité juridique, le troisième critère de juridicité est celui des qualités nomo-juridiques. Il se décompose en quatre sous-critères qui ont en commun de porter sur le contenu des normes individuellement étudiées et de tendre à assimiler la juridicité à la normativité. Il n’est alors plus question d’ordre juridique ni d’environnement normatif. Seule importe la texture de la norme étudiée.