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La théorie syncrétique du droit (une recherche des propriétés du droit)

Chapitre 1. La valeur juridique

1. Une norme est juridique si elle est légitime sous un angle axiologique

Ce critère est le plus idéaliste, le plus relatif, le plus spéculatif et le plus subjectif des six critères de juridicité. La valeur juridique confond volontairement identification du droit et légitimité du droit. Elle invite à une approche évaluative de la juridicité. Elle distingue droit et non-droit en se fondant uniquement sur le contenu matériel des règles. Critère entièrement substantiel, la valeur juridique en appelle au fond du droit, à la dimension spirituelle des phénomènes juridiques, ainsi qu’à la philosophie du droit. Elle n’a donc aucun égard pour quelque problématique formelle et imagine un droit dépouillé de son appareil technique — si bien que la consécration par le droit valide est parfaitement indifférente et qu’est juridique ce qui est légitime, non ce qui est légal.

Seuls sont juridiques le droit naturel ainsi que le droit positif conforme aux exigences absolues imposées par ce droit naturel. Autrement dit, tout le droit positif découle ou dérive nécessairement du droit naturel. Si une norme, pour accéder à la juridicité, doit être conforme à des normes supérieures, ce sont des normes supérieures de droit naturel et non de droit positif. Le droit doit forcément demander son chemin à un ordre de valeurs idéales. Et il appartient à la raison de le découvrir. Parce que le droit a principalement une dimension morale et est avant tout obligatoire moralement, obligatoire à condition d’être juste, la juridicité d’une norme dépend encore, selon le critère de la valeur juridique, des finalités qu’elle poursuit.

Ce critère est rempli lorsque le contenu normatif apparaît en adéquation avec les valeurs méta-positives qui animent l’observateur cherchant à mesurer la juridicité de la norme. Il s’agit donc, pour ledit observateur, d’émettre un jugement personnel à l’aune des exigences axiologiques qu’il porte, des valeurs que, selon lui, le droit devrait réaliser. Le droit est ici perçu en tant que science ou art du juste et de l’injuste, en tant que pratique de la vertu de justice ; mais il revient à chacun de décider de ce qui est juste, donc juridique, et de ce qui est injuste ; ou encore de décider de ce qui est équitable, donc juridique, et de

ce qui est inéquitable. En conséquence, c’est la justice qui définit le droit et non le droit qui définit la justice. Le droit est le mariage de la force concrète et de la justice idéaliste. Il doit être un moyen n’existant qu’à l’aune de sa fin.

Par suite, le contenu de la valeur juridique est variable, multiple et hétéroclite puisque chacun est entièrement libre d’y insérer ce qui lui paraît légitime et d’en retirer ce qui lui paraît illégitime . La norme doit donc être en adéquation avec des méta-normes,379 supérieures aux normes positives, non écrites, qui ne découlent pas d’actes de production ou d’abrogation par des autorités humaines mais qui appartiennent au for intérieur du chercheur.

Par ailleurs, beaucoup de normes sont purement techniques ou formelles. Dans l’hypothèse où une règle apparaît neutre axiologiquement aux yeux de l’observateur, ne confortant ni n’enfreignant aucun principe supérieur, le critère de la valeur est logiquement rempli à hauteur de moitié. Mais l’observateur peut retenir que serait juste tout ce qui n’est pas injuste, tant et si bien qu’aucune norme ne saurait être neutre axiologiquement. Reste que le critère de la valeur juridique est très particulier par rapport aux cinq autres critères en ce qu’il est entièrement abandonné au jugement personnel de celui qui mesure la juridicité.

2. La valeur juridique d’une norme se mesure subjectivement, du point de vue du for intérieur du chercheur, et est donc variable et relative

La grande spécificité du critère de la valeur juridique est que celle-ci peut changer radicalement en fonction de l’observateur et de ses obédiences axiologiques, car il va de soi que tous les chercheurs ne partagent pas les mêmes valeurs, quoique certaines soient très largement répandues quand d’autres se rencontrent rarement. Ce critère est le seul à ne pas être objectif et le seul, donc, à pouvoir potentiellement être totalement rempli pour un observateur mais nullement rempli pour un autre. Les valeurs sont flexibles et n’existent que dans les yeux subjectifs de celui qui regarde.

La justice, le bien, la morale, l’équité etc. sont des contenants dans lesquels tous types de contenus peuvent être insérés. Il n’est guère de justice qui ne suppose des engagements

379 La norme, pour être juridique, doit être conforme aux balises d’un horizon axiologique transcendantal, à un donné primordial, à un idéal de justice, à un idéal démocratique, à la morale, à l’équité, à l’éthique, à la religion, à la volonté divine, à la paix, à l’équilibre, à l’acceptable socialement, à des lois a priori transcendantes de la nature, à la nature des choses, à la nature humaine, à l’utilité sociale, à la paix sociale, à la socialité, à l’idéal démocratique, au bien-être du plus grand nombre, au progrès de la société humaine, au bien commun, au bonheur, à la sagesse, au Juste, au Bien, au Bon, à la vertu, à la juste raison, à l’honnêteté, à la sécurité, à la responsabilité, aux droits fondamentaux de l’être humain, mais aussi à toute forme d’idéologie plus ou moins partagée.

éthiques et philosophiques. Sous l’angle du critère de juridicité ici en cause, le pluralisme et la relativité des définitions du droit correspondent au pluralisme et à la relativité des valeurs. Les cinq autres critères de juridicité sont des critères objectifs qui doivent amener tous les chercheurs à obtenir peu ou prou de mêmes résultats. La valeur juridique, elle, n’est pas vérifiable, n’est pas discutable. Par conséquent, un sixième de la force juridique est laissé à l’entière discrétion, à l’entier libre arbitre du scientifique chargé de la mesurer.

Les valeurs supérieures défendues par ce scientifique ne doivent pas être confondues avec celles consacrées dans l’ordre normatif auquel la norme étudiée appartient — même s’il arrive souvent que les unes et les autres se rejoignent. Parfois, les parlements et les tribunaux arrêtent très explicitement les valeurs poursuivies par l’ordre juridique.

L’observateur peut néanmoins, si tel est son sentiment personnel, s’opposer aux principes

« officiels » et s’attacher à d’autres principes. Ceux auxquels le chercheur adhère peuvent lui avoir été insufflés par l’ordre juridique qu’il fréquente, mais, le plus souvent, ils lui sont inculqués par l’éthique sociale, la religion ou simplement la conscience. Ce chercheur est, de toute manière, libre d’arrêter le contenu de droit naturel que la norme étudiée doit respecter pour intégrer le domaine juridique.

Après le critère de la valeur juridique vient celui de la validité juridique. Avec ce dernier, la juridicité passe de la subjectivité à l’objectivité.