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Valeurs associées aux lieux fréquentés : des pratiques aux territorialités 68

3. Habiter en communauté fermée : présentation des résultats de l’enquête 53 

3.2 Pratiques et territorialités 63 

3.2.2 Valeurs associées aux lieux fréquentés : des pratiques aux territorialités 68

Les lieux préférés des résidents interrogés s’avèrent assez diversifiés. Bien que pour certains (plus précisément, pour trois répondants) ils se concentrent au sein même de la région d’AlphaVille, incluant par exemple la communauté fermée elle-même et le Club AlphaVille, ce n’est pas le cas de la majorité.

Ma communauté fermée, le Club, on va beaucoup au Club, presque tous les jours, on fait du sport, eh... des restaurants ici, peu à São Paulo, je vais très peu à São Paulo (R12-1).

Un nombre égal de répondants ne nomment que des quartiers, rues, parcs ou lieux plus spécifiques (restaurants, salles de spectacles) de la ville de São Paulo comme endroits qu’ils préfèrent fréquenter. Pour les autres, c’est-à-dire près de la moitié des individus interrogés, ces lieux sont plus étendus : ils se localisent à São Paulo, au sein d’AlphaVille ou encore à Santana de Parnaiba, une des municipalités à laquelle appartient AlphaVille :

On va, on va beaucoup dans des restaurants à São Paulo. Mais… ici à AlphaVille il y a des options de restaurants. On… on profite de notre région aussi. Santana de Parnaiba par exemple qui est près d’ici, on a quelques options de loisirs là-bas. Par exemple le dimanche, à Santana de Parnaiba il y a de la musique sur la place [...] à Santana de Parnaiba on sort chanter des chansons dans la rue, on… cela arrive ici aussi, et on y va. Alors pour ces choses-là on profite de notre région aussi (M-2).

Quant aux types de lieux mentionnés, ceux-ci s’avèrent également assez variés. Bien que certains soient des lieux exclusifs, fermés et à accès contrôlés (par exemple, l’AlphaVille Tenis Clube, et dans une certaine mesure, les centres commerciaux), les répondants nomment également des rues, quartiers ou parcs publics de São Paulo comme endroits les plus agréables à fréquenter.

La plupart des lieux que les répondants n’aiment pas ou évitent de fréquenter sont liés à un sentiment d’insécurité, à une peur de la violence. Plusieurs sont également associés aux lieux où on trouve des foules nombreuses, les lieux remplis de gens. Ils sont toutefois rarement associés à la laideur. Tel que le souligne Capron (2006), le rejet des autres est rarement exprimé ouvertement. Toutefois, les lieux qu’on décrit comme dangereux semblent parfois être associés à un type de public spécifique :

Ce sont des lieux où il y a beaucoup de trafic, qui ne sont pas sécuritaires, et ce sont réellement des lieux de périphérie. Pas de périphérie dans le sens de favela, mais de classe C et D16, il n’y a pas… c’est dangereux pour moi et il n’y a rien là que je ne veuille y faire

alors, rien… (C-1).

Certains lieux liés à l’insécurité génèrent des sentiments partagés, comme chez cette femme qui relate son expérience du centre de São Paulo. L’endroit est apprécié pour ses aspects esthétiques, mais à la fois considéré comme désagréable :

Même quand on revenait de la 2517, en passant là en voiture, je crois que le centre de São

Paulo très agréable, ce centre ancien, où tu passes, je trouve ça très beau. Et… c’est dommage que ce soit si dangereux. Même que l’année dernière il y a eu une sortie avec l’école de Helena […] on est allés jusqu’au Parque do Colégio, c’est là que São Paulo a été fondée, une promenade vraiment belle, vraiment agréable. Et… je trouve l’endroit agréable, mais… on est allés manger là quelques fois, il y a des bons restaurants là-bas. Mais… en même temps ça fait un peu peur, il y a beaucoup de mendiants dans la rue, c’est vraiment choquant en même temps. Tu passes sur une avenue, un endroit très beau, plein de vieux immeubles, et il y avait un homme en train de se faire arrêter, je crois qu’il venait d’essayer de voler une bicyclette, alors des choses bien contradictoires. C’est à la fois très agréable et très désagréable (R12-2).

Également, plusieurs ont de la difficulté à nommer ces endroits qu’ils évitent de fréquenter, étant donné que les lieux de leur vie quotidienne sont justement « choisis », formés par un circuit de lieux familiers hors duquel les répondants semblent peu s’aventurer. Les lieux évités sont donc beaucoup plus vastes, délimités moins précisément, souvent des zones entières de la ville, ou même simplement des lieux génériques (les favelas, les quartiers

16 Il existe au Brésil une catégorisation de la population dans laquelle les classes A et B correspondraient aux

groupes privilégiés, ayant accès aux plus grand nombre de ressources, alors que les classes C et D correspondraient aux classes plus populaires. Cette catégorisation est toutefois utilisée de façon informelle.

17 La « 25 », la rue 25 de Março, est une rue populaire du centre de São Paulo, reconnue pour la vente de

plus vulnérables). Ces deux répondantes expliquent leur difficulté à identifier un tel type de lieux :

On s’habitue je crois durant notre vie à fréquenter [...] certains quartiers qui font partie de notre… du circuit où tu es né n’est-ce pas. Je suis née dans la zone Sud de São Paulo, j’ai étudié dans la zone Sud, mon mari aussi, alors on a été élevés là-bas. Alors aujourd’hui quand on sort pour n’importe quelle activité, c’est toujours dans la zone Sud. Parce que tu connais déjà, tu… y vas depuis ton enfance, tu as pratiquement été élevé dans ces quartiers. Alors si tu me dis de faire quelque chose dans la zone Nord, je ne sais pas, je n’ai aucune idée (R9-1).

Mais les lieux que je fréquente à São Paulo sont agréables, je ne suis pas obligée d’aller, dans ma routine, je n’ai aucune obligation d’aller dans un lieu qui soit désagréable, alors [...] Peut-être qu’il existe quelques endroits à São Paulo où j’éviterais d’aller, mais plus pour la sécurité, et ce sont des lieux que je ne fréquente pas, alors, je ne peux même pas dire que je n’aime pas, je n’y vais pas. [...] Je ne connais pas alors, je finis par rester avec une vie plus restreinte à AlphaVille et à ces allées sporadiques à São Paulo qui sont ponctuelles, c’est juste pour aller chez le médecin, revenir, aller au centre commercial, revenir. Alors… je ne peux pas dire que je n’aime pas (18D-1).

En somme, la façon dont les résidents interrogés s’expriment sur la valeur qu’ils accordent aux lieux, c’est-à-dire sur leur espace vécu, invite à nuancer la position selon laquelle ils mèneraient une vie tracée uniquement sur des lieux exclusifs, protégés de tout contact avec des groupes sociaux différents des leurs (Atkinson et Flynt, 2004) et qu’ils auraient abandonné le domaine public des rues aux classes les plus pauvres (Caldeira, 1996). Leur désengagement face à leur localité (Atkinson et Flynt, 2004) s’avère également à relativiser : des résidents fréquentent le centre de Santana de Parnaiba et une répondante affirme de plus être engagée dans une activité de bénévolat auprès des personnes âgées de Barueri. Bien que la plupart fréquentent peu la ville de São Paulo, ils demeurent attachés à quelques uns de ses quartiers, parcs et rues. Tel que l’affirme Capron (2006), cela peut traduire une certaine résistance, plus ou moins consciente, au modèle uniforme que constitue les communautés fermées ainsi qu’une nostalgie des formes urbaines plus denses. Toutefois, les pratiques demeurent tout de même limitées par la peur et l’insécurité. En quelque sorte, leur choix d’habitat peut traduire une volonté de se protéger de l’imprévisibilité de la ville (Alvarez-Rivadulla, 2007).