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3. Habiter en communauté fermée : présentation des résultats de l’enquête 53 

3.4 Chez-soi et idéal : aspirations résidentielles 80 

3.4.3 Satisfaction résidentielle : demeurer sur place ou déménager? 85

La réponse à la question « Si vous étiez libres de toute contrainte, voudriez-vous déménager? » est grandement liée aux idéaux résidentiels qu’entretiennent les répondants. En effet, de façon prévisible, on mentionne le désir d’un mouvement vers la situation idéale exprimée précédemment. Ainsi, seules quatre personnes entretiennent un idéal qui n’inclut pas AlphaVille. Environ la moitié affirme vouloir déménager, mais la majorité d’entre eux spécifient que ce mouvement se ferait au sein même d’AlphaVille. Par exemple, pour deux résidentes, le projet de construire une nouvelle maison au sein de la même communauté fermée existe déjà. Elles mentionnent donc que l’idée de changer de maison est déjà présente, et lorsque questionnées sur leur désir de déménager à l’extérieur de la communauté fermée, ou encore à l’extérieur d’AlphaVille toutes deux répondent par la négative :

Je resterais ici. Je suis une défenseure d’AlphaVille, je suis quelqu’un qui aime beaucoup vivre ici, et les gens plaisantent : "la résidente de longue date d’AlphaVille"… Alors, je le suis en effet, une résidente de longue date qui… est heureuse. Je ne sortirais pas d’ici (M-1). On aime beaucoup ici, beaucoup. Ce n’est pas… c’est une bonne localisation, c’est plus près de… de la sortie vers São Paulo. On a des amis qui sont très chers. Puisqu’on n’a pas de famille à proximité, on fait… on a fait notre famille ici à l’intérieur de la communauté fermée. Alors c’est… très bien ici, vraiment parfait. Alors on ne… il n’y a pas de raison… pour déménager (M-2).

Tous n’affichent pas un attachement aussi fort à l’ensemble résidentiel où ils résident. Pour certains, les éléments valorisés s’avèrent plutôt la maison en tant que telle ainsi qu’AlphaVille en entier. C’est le cas de cette habitante du Residencial 12, qui désirerait

déménager au sein du Residencial 1, afin de s’approcher du noyau de services et du Club AlphaVille, s’il était possible d’y trouver sa propre résidence:

Si je réussissais... si c’était... si je pouvais trouver une maison identique à la mienne là-bas, je déménagerais, sans problème.

Seulement pour la localisation.

Seulement pour la localisation, oui. Ce serait la même maison (R12-1).

Une autre résidente manifeste le désir de se déplacer vers un environnement moins urbanisé, qui permette un contact accru avec la nature. Elle n’exclut toutefois pas la possibilité de résider en communauté fermée :

Pourquoi pas dans une communauté fermée? Aujourd’hui c’est en effet une chose à laquelle tu dois penser, la sécurité. Même dans des villes plus petites, malheureusement c’est une chose à laquelle tu dois penser aujourd’hui c’est la sécurité, n’est-ce pas, mais… probablement en communauté fermée, quelque chose comme ça, probablement (R2-1)

Si la plupart des individus interrogés identifient avec conviction une volonté de demeurer au sein d’AlphaVille, une résidente montre une certaine ambivalence par rapport à la question, toujours en raison du conflit qui règne entre ses aspirations personnelles et celles qu’elle possède pour sa famille:

Je déménagerais. Je retournerais à São Paulo. Mais ma seule contrainte c’est le… c’est ma famille, parce qu’ils adorent ici. Et… en pensant rationnellement, c’est la meilleure option, c’est un privilège de pouvoir vivre à AlphaVille, parce que c’est vraiment sécuritaire. Ma porte ne reste pas barrée, alors c’est… imagine, au Brésil, c’est très rare. Je crois que São Paulo, les lieux que j’aime à São Paulo ne sont pas des lieux violents, qui ne sont pas dangereux, rien de tout cela. Mais le Brésil est un pays où il y a de la misère, des voleurs, des petits crimes, ces choses bêtes… et il finit par y en avoir à São Paulo, à cause de sa taille, alors je crois que… l’idéal est d’habiter ici. Je retournerais à São Paulo si la sécurité n’était pas une contrainte. Aujourd’hui c’en est une. Et élever un enfant… Je deviendrais folle, si je savais, tu sais mon fils chez un copain, dans… dans une maison de rue par exemple, je ne le permettrais pas. Jamais de sa vie. Alors ici… ici c’est l’idéal, pour élever un enfant, sans aucun doute. C’est pour ça que je dis, quand il deviendra adulte, peut-être que je pourrai retourner, je ne sais pas.

Mais alors aujourd’hui, cette maison est plus près de l’idéal?

Elle l’est, elle l’est. Cette maison pour moi est parfaite. Pour la période de notre vie, pour notre style de vie, elle est idéale. Je ne changerais pas. À l’intérieur de… je ne déménagerais pas dans une autre maison à l’intérieur d’AlphaVille. Ce serait d’ici vers un endroit en dehors d’AlphaVille (C-1).

Le désir est parfois exprimé d’effectuer un retour vers son lieu de naissance, qu’il s’agisse d’une ville, d’un quartier ou d’un type d’environnement. Toutefois, cet idéal est limité à

cause de ce qu’est devenu ce lieu d’origine, ayant connu des mutations au fil des années. C’est le cas de ces femmes, originaire respectivement de Rio de Janeiro et de São Paulo:

Aujourd’hui ma contrainte principale, ce dont je souffre le plus c’est... c’est de vivre loin de ma famille. Eh… il y a la contrainte du travail de mon mari présentement. S’il n’y avait pas de contrainte, j’aimerais vivre plus près de ma famille, où j’ai grandi, où j’ai vécu, j’aimerais vivre là-bas [...] Mais je crois que… et aujourd’hui retourner à Rio, à cause de la violence, je crois [que les enfants] n’auraient pas la même qualité de vie… aujourd’hui ils n’auraient pas… ils vivraient plus enfermés ils n’iraient pas autant seuls à divers endroits [...] ici, c’est ce qu’on a trouvé de plus raisonnable, c’est loin, mais ce n’est pas si loin, il y a la qualité de vie, la sécurité, la liberté (R11-2).

De maison non, de quartier. [...] Oui, comme je t’ai dit. Je retournerais à São Paulo avec ma maison.

Mais pas le São Paulo d’aujourd’hui.

Non. Le São Paulo idéal, je crois que je ne le verrai pas de mon vivant.

Qui a déjà existé.

Oui, déjà, déjà (R2-1).

De façon générale, ce qu’il convient de retenir, c’est que de façon générale, les résidents apprécient grandement leur situation résidentielle actuelle. En effet, même dans le cas de ceux qui expriment une nostalgie envers d’autres types de milieux au sein desquels ils ont grandi, par exemple des quartiers plus denses, la vie urbaine d’aujourd’hui rend selon eux impossible un retour vers ces environnements. D’une part, ces résultats viennent appuyer l’idée d’une grande satisfaction résidentielle pour les résidents d’AlphaVille, tel qu’identifié il y a plus d’une dizaine d’années par Caravalho et al. (1997). D’autre part, ils vont également dans le sens des résultats de l’étude de Low (2001), auprès d’habitants de communautés fermées états-uniennes, plus précisément dans les villes San Antonio et New York. Tout comme ces Américains, une fois installés au sein d’une communauté fermée, les résidents d’AlphaVille sont peu susceptibles de vouloir vivre dans d’autres types d’environnements. En effet, la majorité ne compte pas déménager à l’extérieur d’AlphaVille, et si une répondante désire en sortir, c’est fort probablement pour aller vers une autre communauté fermée. Cependant, il demeure que la majorité ne désire pas déménager en dehors d’AlphaVille, ce qui amène à penser que leur attachement se développe face au quartier spécifique, au-delà du seul type de développement (settlement) que le secteur constitue, tel que conclut Feldman (1990) à propos des liens entre les individus et leurs lieux d’habitat.

En ce qui a trait à la maison en tant que telle, « le lieu d’ancrage de la sphère privée » elle ne semble pas constituer simplement « un bien de consommation remplaçable » (Bédard et Fortin, 2004 : 514). En effet, plusieurs répondants mentionnent le désir de déménager, mais en transportant leur maison avec eux, que ce soit dans un environnement semblable (par exemple dans une autre communauté fermée d’AlphaVille) ou différent du leur (par exemple dans la ville ou le quartier de leur enfance).

Conclusion

À travers la parole des répondants, nous avons pu relever de multiples informations quant à leurs divers parcours géographiques, à leur expérience de différents espaces domestiques plus ou moins ouverts sur l’extérieur, à leur rapport aux différents lieux qui composent la métropole, à l’usage et à la signification qu’ils accordent à leur chez-soi et finalement à l’attachement, au rejet et aux projets qu’ils associent à différents types de résidences. Il convient maintenant de revenir aux variables identifiées au précédent chapitre, les identités géographiques individuelles et le chez-soi en communauté fermée pour ensuite s’intéresser plus précisément à la relation qu’elles entretiennent entre elles. Nous serons ainsi en mesure de répondre à notre interrogation de départ, c’est-à-dire de mesurer la place que revêt le chez-soi, la part intime de l’habitat, dans la construction des identités géographiques des habitants de communautés fermées d’AlphaVille.

4. Quelle place du chez-soi dans la construction des identités