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B. Une problématique au croisement de deux champs de recherche : pilotage des processus de

2. Valeur Risques Opportunités : une articulation de deux domaines de gestion

La méthode de pilotage que nous proposons se fonde sur une articulation novatrice de deux domaines de gestion clé du processus de conception : le pilotage de la création de valeur multidimensionnelle et la gestion des risques/opportunités. Ceci nous amène à étudier trois types de travaux : ceux qui portent sur la création de valeur en général et en conception ; ceux relatifs à la gestion des risques/opportunités (risk management) et enfin les travaux qui ont traité de l’intégration de ces deux domaines.

2.1. La création de valeur en conception

L’examen de la littérature sur la création de valeur en général et dans la conception en particulier nous a permis tout d’abord de déduire une définition de cette notion qui est adaptée au processus de conception. Les deux principales définitions complémentaires que nous avons utilisées sont : celle proposée par Bovet et Martha (2000) qui considèrent la création de valeur comme le résultat d’échanges complexes et dynamiques entre différents acteurs et celle de Lafaix-Durand et al. (2006) qui considèrent la création de valeur comme « un processus qui fournit aux parties concernées des avoirs qu’ils jugent importants ».

L’étude de la littérature sur la conception des nouveaux produits nous a également permis de montrer que la création de valeur en conception ne se limite pas aux produits développés (valeur client) ni aux revenus financiers qu’ils permettent de générer pour l’entreprise (valeur économique). La conception comporte d’autres formes de création de valeur, comme les connaissances et compétences considérées comme un préalable indispensable pour le développement de nouveaux produits (Ikujirō Nonaka & Takeuchi, 199522; Ikujiro Nonaka, 1991; Shankar, Mittal, Rabinowitz, Baveja, & Acharia, 2013). Aussi, Le Masson, Weil et Hatchuel (2006) dans leur théorie de conception « CK 23 » soulignent que la création de valeur en conception ne se limite pas au produit développé mais réside également dans les concepts en suspens et dans les connaissances créées au

22 « A more fundamental need is to understand how organizations create new knowledge that makes Creations possible»(Ikujirō Nonaka & Takeuchi, 1995).

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cours du raisonnement. Christensen (1997) explique que les technologies de rupture, développées en amont du marché, bien qu’elles ne soient pas encore perçues comme utiles par les clients, peuvent être l’origine des bouleversements des marchés et doivent de ce fait être prises en compte.

Ces autres formes de création de valeur, bien qu’elles ne soient pas valorisables (d’un point de vue économique) dans l’immédiat et sur un même projet, constituent des réserves de valeur (que nous appellerons gisements potentiels) pouvant être exploitées par d’autres parties prenantes dans un horizon à plus long terme. Ces formes de valeur, comme les compétences, sont donc caractérisées par une incertitude sur leur exploitation future et sur l’existence d’un bénéficiaire potentiel. Toutefois, étant très prégnantes en conception, une approche multidimensionnelle de la création de valeur dans ce processus nous paraît indispensable.

Nous nous sommes également appuyée sur la littérature pour proposer une typologie générique multidimensionnelle de la valeur créée en conception. En fait, plusieurs auteurs ont mis en évidence cette multidimensionnalité en conception. Nous citons, par exemple, Maniak (2010) qui propose le concept de « Full value » qui permet de prendre en compte dans les projets R&D (d’innovation) les différentes dimensions de la valeur créée (compétences, brevets, etc.) et Hooge (2010) qui propose le concept de valeur stratégique des projets R&D (axes : réglementation, ressources et compétences, communication, etc.) qui vient compléter la valeur économique. Dans notre cas, afin d’établir notre représentation multidimensionnelle de la valeur, nous nous référons aux travaux de Hooge (2010) et Maniak (2010)24 et à la description d’un business model que propose Henri Bouquin. Celui-ci expose une typologie générique de création de valeur (client, processus, compétences, dimension financière) (Bouquin & Kuszla, 2014) cohérente d’ailleurs avec la vision de la valeur créée développée par Kaplan et Norton (1992) à travers leur Balanced ScoreCard, et que nous pouvons compléter et adapter à l’activité de conception25.

24 Les travaux de Maniak (2010) et de Hooge (2010) sont focalisés sur les projets R&D, qui désignent selon eux les

projets d’innovation radicale. Toutefois, leurs typologies restent intéressantes pour notre cas de conception véhicule qui intègre systématiquement des innovations.

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2.2. La gestion des risques/opportunités

La littérature sur le risk management sur laquelle nous nous sommes appuyée comporte des travaux théoriques (citons entre autres Arena, Arnaboldi, & Azzone, 2010; Chapman & Ward, 2003; de Séréville, 2009; Dionne, 2013; Ledru & Maranzana, 2011; Perminova, Gustafsson, & Wikström, 2008; Power, 2008), des référentiels (ISO 31000 ; COSO ERM 2004) et des documents professionnels (comme la note AMRAE - IFACI, 201326). En fait, les référentiels professionnels du risk management, à savoir l’ISO 31000 et le

COSO ERM 2004, proposent une démarche de gestion des risques/opportunités générale pouvant être appliquée à tout type d’entreprise et à différents niveaux organisationnels. Les principales activités définies dans ces référentiels sont : l’identification des évènements incertains, l’analyse, l’évaluation, la définition d’un plan d’action et enfin la formalisation de standards ou de normes. Les deux référentiels présentent également une méthode de qualification des risques/opportunités fondée sur la mesure de la probabilité et de l’impact éventuel de ces évènements. La famille des normes ISO 31000 va plus loin en décrivant dans le détail un grand nombre de méthodes d’évaluation des risques que les entreprises peuvent utiliser dans la norme ISO31010 appelée « Gestion des risques — Techniques d'évaluation des risques».

Les propositions contenues dans ces référentiels nous ont certes été utiles dans la construction de notre propre méthode de pilotage, toutefois nous avons dû dépasser certaines de leurs limites par rapport au processus de conception. D’ailleurs la note de l’IFACI et de l’AMRAE souligne le risque que la démarche proposée par le COSO soit l’incarnation d’un système « bureaucratique et source de rigidités ». Par ailleurs, certains auteurs ont également mentionné la non-adaptation de cette démarche, réduite à la gestion des risques et des évènements identifiables, aux situations imprévues caractérisées par une forte incertitude (Chapman & Ward, 2003; Ledru & Maranzana, 2011; Perminova et al., 2008).

Nous avons tenu compte de ces éléments pour proposer notre propre démarche de gestion des risques et des opportunités à intégrer dans notre méthode de pilotage Valeur Risques Opportunités.

26Note formalisée par l’Institut français des auditeurs et contrôleurs internes (IFACI) et l’Association Management des

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2.3. Les travaux ayant articulé le management de la performance (MP) et le management des risques (MR)

Notre articulation Valeur Risques Opportunités consiste à relier trois concepts clés. Celle- ci rejoint les travaux sur l’intégration entre les deux processus clés du management organisationnel : celui du management de la performance (MP) et celui du management des risques (MR). Soulignons que dans nos travaux, nous avons remplacé la notion de performance, définie par l’atteinte d’objectifs prédéfinis et comme un résultat à mesurer, par celle de la création valeur qui renvoie plutôt à un processus de construction collective de la valeur qui doit être piloté27. Par ailleurs, nous avons complété la notion de risque, généralement associée à un impact négatif, par la notion d’opportunité.

De nombreux auteurs (Abdali, Hourani, Abuerrub, & Shambour, 2013; Bouquin & Kuszla, 2014; Bruggeman, Scheipers, & Decoene, 2013; Costa Oliveira, 2014; Kaplan, 2009; Nagumo, 2005; Raid, 2012) ont souligné que les deux domaines de management de la performance et de management de risques doivent être associés pour assurer la pérennité des entreprises dans un contexte incertain. Nous retrouvons des préconisations d’ordre général permettant de tenir compte de ces deux dimensions dans la littérature du contrôle de gestion (Bouquin & Kuszla, 2014; Simons, 1995). D’autres auteurs ont proposé une intégration de ces deux domaines MP et MR fondée sur l’association du Balanced Scorecard (BSC) et de l’Entreprise Risk Management (ERM) (Abdali et al., 2013; Bruggeman et al., 2013; Coderre & Richards, 2014; Costa Oliveira, 2014; Kaplan, 2009; Nagumo, 2005; Raid, 2012). Enfin, des auteurs ont présenté cette intégration à travers des dispositifs de pilotage appliqués dans le processus spécifique de conception (Gautier, 2004; Nakhla, 2001, 2003)28.

En s’appuyant sur les propositions précédentes mais également en tenant compte de leurs limites, nous avons proposé une articulation théorique des concepts de Valeur, Risques et Opportunités pour notre méthode de pilotage que nous estimons être cohérente avec le milieu de conception et qui permet d’équilibrer les enjeux multiples et paradoxaux de ce processus spécifique.

27 Ce choix de concepts sera plus étayé dans la partie 1/chapitre A-2.

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