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Le vécu du public transposé à la scène

CHAPITRE 3 : Les Outils pour une meilleure création

3.3 La critique par le théâtre

3.3.2 Le vécu du public transposé à la scène

Le dictionnaire des Anecdotes Dramatiques de Clément* rapporte une pièce qui illustre bien le phénomène de s’inspirer du vécu pour en rire, soit la Métromanie116 de

M. Piron*, dont

La plus grande partie de l'intrigue […] est fondée sur l'aventure véritable du déguisement de M. Desforges Maillard en Mlle. Malcrais de la Vigne […] Il faut remonter à l'origine de cette plaisante Anecdote. [L’auteur a présenté un poème à un concours de l’Académie françaises. Déçu de ne pas avoir gagné, il se décide à leur jouer un tour en charmant les académiciens, déguisé en Mlle. Malcrais, afin de voir leur état lorsqu’il finit par se découvrir devant eux.] Voilà ce qui a

Paris, Perrin, 2013, 287 p.; voir aussi l’émission documentaire L’ombre d’un doute , « L’affaire des poisons », animée par Franck Ferrand (28 septembre 2011) [Émission télé], produite par France 3, sur le site de You tube, 15 mai 2015, https://www.youtube.com/ watch?v=PsBUXz4rcWY ; et Hérodote (2016)

Hérodote.net, « Exécution de la Voisin et l’affaire des poisons » [site Web], 23 mars 2016,

http://www.herodote.net/22_fevrier_1680-evenement-16800222.php

115 Jean-Marie Bernard Clément, Anecdotes Dramatiques, tome 1, D, p. 259-260.

116 David Trott prend cette pièce comme exemple pour décrire le processus littéraire qu’il nomme

fourni à M. Piron les situations les plus comiques de sa Métromanie. Il a sçu leur donner un tour si plaisant, que cette aventure parvient à la postérité le plus reculée, avec la Comédie immortelle qui l'a adoptée. Cette Piece fut reçue du Public avec les plus grands applaudissemens ; elle est restés au Théâtre; & peut-être est elle la meilleure de toutes les Comédies, après celle de Moliere*; celle qui a le plus de vérité, de comique, de vers, & de force.117

Les faits réels de l’histoire attirent l’attention et réjouissent le spectateur, qui se sent complice avec l’auteur dans son processus narratif. Se déguiser n’est peut-être pas chose courante, mais nombreuses sont les pièces qui se gausse de situations susceptibles de survenir dans la vie quotidienne. L’exemple qui suit est passé à la postérité grâce à Dancourt* dans une pièce intitulée La lotterie, en 1697 :

Un Italien, nommé Fagnani, s'étoit établi à Paris à titre de Marchand Brocanteur. Au bout de quelques années, cet Aventurier obtint la permission de faire une Loterie de ses effets, à raison d'un écu par billet. […] mais les trois quarts et demi de ses lots étoient de pures bagatelles ; & les gros lots tomberent à des inconnus, ou, pour mieux dire, Fagnani les partagea avec eux. Ce fut sur cet évènement, que Dancourt bâtit sa Comédie de la Loterie, ou Fagnani, sous le nom de Sbrigani, n'est pas épargné. Cette Piece eut un grand succès ; car la plupart des Spectateurs se divertisseroient à voir représenter une aventure dont ils avoient payé les dépens.118

Cette péripétie, qui concernait directement une partie des spectateurs de l’époque, leur a permis de rire de leur bévue passée et par là de s’en détacher. Dans Le mari retrouvé, une autre comédie de Dancourt*, produite un an plus tard : « C'est le procès du Sr. De la Pivardiere, qui faisoit alors le sujet de toutes les conversations de Paris. La femme de la Pivardiere fut accusée d'avoir assassiné son mari ; ce dernier reparut un mois après pour justifier son épouse du crime qu'on lui imputoit. »119 Cette pièce a manifestement

beaucoup plu au public de l’époque puisqu’elle a souvent été reprise.

Rire de ses travers et de ceux des autres, et permettre aux créateurs d’écrire ou de jouer en conséquence, paraît la clé du succès. La chose est rendue possible grâce à la

117 Jean-Marie Bernard Clément, Anecdotes Dramatiques, tome 1, M, p. 552-553. 118 Ibid., L, p. 496-497.

relation entre l’auteur et le public qui se développe surtout au XVIIIe siècle. L’écrivain

s’inspire même par moments de cette relation lors de son écriture. Citons par exemple cette altercation entre Molière* et un spectateur fâcheux, reprise comme base de l’histoire dans Pourceaugnac, en 1669 : « Cette Comédie fut faite à l'occasion d'un Gentilhomme Limousin, qui, dans une querelle qu'il eut sur le Théâtre avec les Comédiens, étala une partie du ridicule dont il étoit chargé. Moliere*, pour se venger de ce Campagnard, le mit en son jour sur la Scène, & fit un divertissement au goût du peuple, qui se réjouit fort à cette Piece. » 120 Cette approche personnalisée parle au

public et contribue à le conquérir.

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Auteurs ou comédiens influencent la réception de leurs créations, bien qu’ils soient les uns et les autres soumis aux règles de la dramaturgie. Plus d’un artifice sont toutefois utilisés de manière croissante au XVIIIe siècle pour manipuler les émotions

ressenties par les spectateurs, à l’instar des stratégies employées pour sans cesse soutenir l’attention du public durant la représentation. C’est l’objectif de l’illusion théâtrale qui s’impose progressivement au XVIIIe siècle comme condition sine qua non du succès. La

scène peut à cet égard éduquer, réformer les mœurs et détourner de l’oisiveté en plus de divertir. Les créateurs le savent et en tiennent compte, notamment quand ils cherchent à ne pas choquer, quand ils confortent ou parodient les mœurs, les habitudes et le goût du

120 Ibid., tome 2, P, p. 93. Molière prend beaucoup de liberté face à ses spectateurs, cette témérité de sa

part lui coûtera cher par la suite. Comédie-Française, (date de début non disponible) Histoire et

patrimoine, Combats de Molière, Site officiel [site web], 17 novembre 2015, http://www.comedie-

public, ou alors quand ils critiquent pour dénoncer ou porter aux nues. Et quand ils font rire le public des absurdités de la vie.