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La salle de théâtre dans la ville

Chapitre 1 : Les spectateurs qui se déplacent au théâtre

1.2 Les lieux de représentation

1.2.1 La salle de théâtre dans la ville

Les diverses troupes de théâtre doivent affronter la mauvaise réputation de leur profession, qui a cours tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Le chercheur Daniel

Rabreau parle du début de cette période comme celle « de[s] trétaux et de[s] charpente[s] démontable[s] »54; les troupes sont alors itinérantes ou semi-nomades sur le

territoire de la capitale et dans toute la France.55 Certaines troupes louaient des loges

commerciales lors des foires, d’autres entreprenaient des constructions plus permanentes dans d’anciens jeux de paume.56 Il n’y a en fait que très peu de véritables salles de

spectacle en France au XVIIe siècle, contrairement à l’Italie ou l’Angleterre.57

54 Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, Essai sur le théâtre et l’urbanisme à l’époque des Lumières,

Paris, Éditions du Patrimoine – Centre des monuments nationaux, 2008, p.12-13; voir aussi Pierre Frantz et Michèle Sajous D’Oria, Le siècle des théâtres, p. 10.

55 Surtout sous Louis XIV, « l’obligation faite à la Comédie-Française [et] à la Comédie-Italienne […] de

jouer devant le souverain et de suivre la cour dans ses déplacement saisonniers de Versailles à Fontainebleau, […] ne rend pas prioritaire l’expression monumentale du théâtre officiel dans la ville. » (Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, p. 15.)

56 Pierre Frantz et Michèle Sajours d’Oria, Le siècle des théâtres, p. 10. Voici un exemple permettant de

comprendre la lourdeur de la charge financière qui découle de l’appropriation, ici par la troupe française, de sa propre salle. Se réfèrant ici à l’achat dans les fossés-Saint-Germain : « Les comédiens devront verser 60 000 livres pour le jeu de paume proprement dit et 12 000 pour la maison contiguë dont ils ont également besoin. Soit en tout 72 000 livres. Dont 60 000 au comptant, le reste à crédit. » (Maurice Lever,

Théâtre et Lumières. Les spectacles de Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2001, p. 60; Daniel Rabreau,

Apollon dans la ville, p. 129-136; Henri Lagrave, Le théâtre et le public à Paris de 1715 à 1750,

p. 73-102.)

La majorité des salles de théâtre, qu’elles soient permanentes ou temporaires, se reconnaissent de l’extérieur par une sorte de balcon installé au-dessus de l’entrée principale. Surtout dans le contexte des foires, cette galerie servait à produire une petite parade improvisée avec les personnages de la pièce à venir58 pour convaincre les

passants de venir y assister. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’apparaissent

de réelles devantures officielles, qui permettaient de distinguer les salles de théâtre des édifices les entourant.59 L’un des exemples encore existants est la salle de l’Odéon,

située dans le 6e arrondissement. (Image 3)

Image 3 : Devanture de l’Odéon au XVIIIe siècle Dessin de l’Odéon. Théâtre de l’Europe (date de début non disponible)

L’histoire, Site officiel [Site web], 3 octobre 2015, http://www.theatre-odeon.eu/fr/l-odeon/l-histoire

58 Isabelle Martin, Le théâtre de la foire : des tréteaux aux boulevards, Oxford, Voltaire Fondation, 2002,

p. 14-15. Voir aussi l’image 6 : Loge théâtrale de foire.

59Henri Lagrave parle de l’austérité des façades avant 1750. (Le théâtre et le public à Paris de 1715-1750,

p. 117-118). Daniel Rabreau traite du désir nouveau de valorisation de l’architecture du bâtiment théâtral. (Apollon dans la ville, p. 42-71.)

Le bâtiment a perdu ses portiques latéraux mais le reste de la devanture du bâtiment n’a pas subi d’autres changements majeurs.60 On dénote aussi un attrait

particulier pour le genre dit classique, à l’antique, avec une devanture en colonnades doriques ainsi que des formes géométriques,61 un style qui deviendra la norme durant la

Révolution et au XIXe siècle.62 Cette salle est située sur une place ouverte reliée à cinq

rues afin de faciliter la circulation (voir l’Image 4). Cet aspect portait ombrage aux anciennes salles qui ne tenaient pas compte, lors du choix de leur emplacement, de l’important achalandage les soirs de représentations. 63

Image 4 : Place de l’Odéon64

Odéon Théâtre de l’Europe (date de début non disponible) L’histoire, Site officiel [Site web], 3 octobre 2015, http://www.theatre- odeon.eu/fr/l-odeon/l-histoire

60 Ce qui n’est pas le cas de la salle, suite aux feux des 18 mars 1799 et 20 mars 1818. Odéon Théâtre de

l’Europe (date de début non disponible) L’histoire, Site officiel [Site web], 3 octobre 2015, http://www.theatre-odeon.eu/fr/l-odeon/l-histoire

61 Pierre Frantz et Michèle Sajours d’Oria, Le siècle des théâtres, p. 10.

62 Pour comprendre les particularités des salles qui se multiplient, partout en France, du milieu du XVIIIe

siècle jusqu’au début du XIXe siècle. (Voir Ibid., 200 p.; Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, 224 p.) 63 Pour plus de détails, voir Henri Lagrave, Le théâtre et le public à Paris de 1715-1750, p. 115-118;

Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, p. 42-71; 128-165; Mélanie Traversier et Christophe Loir, « Pour une perspective diachronique des enjeux urbanistiques et policiers de la circulation autour des théâtres (antiquité, XVIIIe-XIXe siècle) », Société française d’histoire urbaine, 2013, n38-3, p. 5-18.

64 Plan du quartier dramatique qui a été envisagé autour de la salle de l’Odéon, installée sur une terre

appartenant au prince de Conti. On y voit que l’ensemble du réseau routier a été pensé afin de rendre plus fluide le déplacement des foules. Le dessin est non daté. Odéon Théâtre de l’Europe (date de début non disponible) L’histoire, Site officiel [Site web], 3 octobre 2015, http://www.theatre-odeon.eu/fr/l-odeon/l- histoire

C’est au cours du XVIIIe siècle que les salles de théâtre se multiplient en France.

Daniel Rabreau parle d’une augmentation significative à la suite de la Guerre de Sept Ans (1756-1763)65 ainsi que d’une amélioration des salles déjà construites. Cela vaut

autant pour les salles officielles que pour les troupes de foire.66

Deux formes de salles existent à l’époque à Paris : la forme rectangulaire, héritée du terrain de jeu de paume ainsi qu’une forme plus ovale avec un nez tronqué pour la scène, héritée des amphithéâtres antiques.67 Du premier type est la salle aménagée à

l’Hôtel de Bourgogne68 (Image 1 et Image 5), qui fut occupée au XVIIe siècle par

plusieurs troupes, dont celles du Marais et de Molière,69 puis par celles qui ont formé les

Comédiens-Ordinaires-du-Roi à partir de 1680, sous Louis XIV. La troupe italienne de Riccoboni* s’y installa aussi lors de son retour d’exil en 1716.70 Constatons que les

loges ne sont pas orientées vers la scène, mais plutôt vers les autres loges situées en face. On voit aussi que le parterre est debout.

65 Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, p. 28-29. Henri Lagrave parle d’un désir de changement des

salles de théâtre un peu plus tôt soit dès les années 1748-1750. (Henri Lagrave, Le théâtre et le public à

Paris de 1715 à 1750, p. 118; Pierre Frantz, Michèle Sajous d’Oria, Le siècle des théâtres, p. 7.)

66 L’évolution du théâtre de foire : depuis les petites loges adaptées jusqu’aux salles semi-permanentes que

certaines troupes feront faire construire avant de déménager sur les boulevards. (Isabelle Martin, Le

théâtre de la foire, p. 12-18.) Pour mieux comprendre la gestion de ces théâtres de boulevards, avec la

présence d’un directeur de salle voir Laurent Turcot, « Directeurs comédiens et police : relation de travail dans les spectacles populaires à Paris au XVIIIe siècle », Histoire, économie et société, 2004, 23e année,

n1, p. 97-119.

67 Pour l’histoire de l’architecture des salles, voir Daniel Rabreau, Apollon dans la ville, 224 p.; Henri

Lagrave, Le théâtre et le public à Paris de 1715 à 1750, p. 103-126; Pierre Frantz, Michèle Sajous d’Oria,

Le siècle des théâtres, 199 p.

68 Pierre Pasquier, « L’Hôtel de Bourgogne et son évolution architecturale : éléments pour une synthèse »,

dans Charles Mazouer, dir., Les lieux du spectacle dans l’Europe du XVIIe siècle, Actes du colloque du

centre de recherche sur le XVIIe siècle européen ,Mars 2004, Bordeaux-Tübingen, G. Nar Verlag, 2006,

p. 47-71; Philippe Chauveau, Les théâtres parisiens disparus 1402-1986, Paris, l’Armendier, coll. Théâtre, 2000, p. 15-19; Pierre Pougnaud, Théâtre 4 siècles d’architectures et d’histoire, Paris, Édition du Monteur, 1980, p. 7-28; Henri Lagrave, Le théâtre et le public à Paris de 1715-1750, p. 73-128.

69 Philippe Chauveau, Les théâtres parisiens disparus, 1402-1986, p. 17-18; Henri Lagrave, Le théâtre et

le public à Paris de 1715-1750, p. 21-23.

Image 5 : Salle de l’Hôtel de Bourgogne

Intérieur de salle de théâtre et public au XVIIIe siècle, encre, aquarelle

et gouache, Bibliothèque Nationale de France, Arts du spectacle (2004), Expositions, [site web] 4 octobre 2015, http://expositions.bnf.fr/rouge/grand/117.htm

La salle de l’Odéon,71 inspirée des salles italiennes, a une forme beaucoup plus

ronde (Image 6). Les salles dites à la française, qui apparaissent surtout après la Guerre de Sept Ans, adopteront une forme en « U » ou de fer à cheval, avec une attention particulière accordée aux loges qui sont maintenant un peu plus orientées vers la scène. Celles dites d’avant-scène sont littéralement installées sur la scène. Ces dernières visent

71 L’Odéon abrite la Comédie Française de 1782 à 1799, lorsqu’elle la déménage au Palais-Royal, où elle

joue encore aujourd’hui. (Comédie-Française, (date de début non disponible) Histoire et patrimoine, Site officiel [site web], 5 octobre, http://www.comedie-francaise.fr/histoire-et-patrimoine.php?id=526 ; Odéon Théâtre de l’Europe (date de début non disponible) L’histoire, Site officiel [Site web], 3 octobre 2015, http://www.theatre-odeon.eu/fr/l-odeon/l-histoire )

à compenser les banquettes enlevées de la scène. De plus, des banquettes apparaissent en avant de l’amphithéâtre, histoire d’asseoir le parterre pour en contrôler les excès, en particulier lors des dernières années prérévolutionnaires.