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Chapitre 1 : Les spectateurs qui se déplacent au théâtre

1.1 Un large éventail de spectateurs

1.1.4 Les habitudes de fréquentation

Les spectateurs des salles de la capitale n’ont pas tous le même type de fréquentation. Il y a certes tous ces habitués, dont les sources témoignent abondamment, qui fréquentent régulièrement les spectacles alors que d’autres y vont de manière

43 Aurore Evain, Apparition de l’actrice professionnel p. 122.

44 Nous reviendrons souvent sur cette pièce qui a eu une forte notoriété à l’époque. Elle est l’une des

premières pièces françaises à se baser sur un fait historique à saveur patriotique. Cette pièce raconte le siège de 11 mois, en 1347, que les Anglais on fait subir à la ville lors de la Guerre de Cent Ans. Sa popularité a entrainé un grand nombre de représentations qui ont été le théâtre de nombreux évènements. (Encyclopedia Universalis, (date de début non disponible) Pierre-Jean Thumerelle, Calais [dictionnaire web], 8 octobre 2015, http://www.universalis-edu.com.encyclopedie/calais/ )

45 Jean-Marie Bernard Clément, Anecdotes Dramatiques, tome 2, S, p. 171.

46 Nous n’avons malheureusement pas réussi à trouver le nombre exact de représentations que la pièce a

pu avoir. Cependant, si nous nous référons au dictionnaire de Clément nous pouvons estimer qu’il y aurait eu plus de 30 représentations à Paris en moins de dix ans, et ce décompte ne prend pas en considération celles qui ont été montées pour la cour. La pièce a aussi voyagé à travers le royaume : « [l’événement] a été représenté dans toutes nos provinces avec un concours prodigieux. A Strasbourg il a eu quinze représentations, à-peu-près autant à Metz : presque par-tout on en a donné des représentations gratuites pour le Peuple & les soldats en garnisons. » L’ensemble de ces données démontre la popularité que cette pièce a connue. (Ibid., S, p. 173.)

beaucoup plus occasionnelle,48 comme dans le cas des spectateurs qui ne se rendent au

théâtre que le dimanche ou les jours de congé.49 Les habitués du théâtre, pour certains

d’une à plusieurs fois par semaine, se sentent moins happés par le contenu de la représentation. Il semble que l’esprit curieux du spectateur se fatigue au fil des représentations, il devient plus difficile à surprendre et à exciter.

Quant à ses spectateurs éclairés pour qui les reconnoissances ont de nouvelles beautés : ou celle-ci deviennent de plus en plus rares, ou elle s’épuise entièrement. Dans le premier leur effet est en proportion de leur nombre, & comme après beaucoup de représentation, il n’est pas possible qu’il soit grand, l’impression ne le sera pas non plus. Dans le second cas, ces génies n’ayant plus rien de nouveau à découvrir, à admirer, rentreront dans la classe du commun des spectateurs ; tout au plus leur dégoût ne sera pas glacé, dédaigneux & insultant, comme dans ceux-ci. Ce sera un dégoût conforme à leur manière de sentir.50

Il n’est donc pas surprenant que l’attention de certains spectateurs soit davantage portée sur ce qui entoure la représentation que sur ce qui se passe sur la scène. Mais cette sensibilité émotive varie en fonction du nombre de représentations de la pièce, de la polémique qui l’entoure, de l’âge du spectateur, ou simplement de la place qu’il occupe dans la salle, soit au parterre populeux ou dans les loges plus discrètes.

Dans la situation opposée, se profilent les nouveaux spectateurs, ceux qui découvrent la magie des arts dramatiques et de l’univers théâtral. Certains d’entre eux ne comprennent pas au premier regard ce qu’est le théâtre :

Un paysan d'Alsace, un homme de très bon sens, se trouvoit à Paris pour la premiere fois de sa vie. On se fit un plaisir de le mener en loge voir la représentation d'une tragédie. Il écouta d'abord fort attentivement, & comme on l'interrogeoit sur ce qu'il éprouvoit, il

48 Certains habitués fréquentent les théâtres selon des horaires saisonniers. Par exemple, lors des

campagnes militaires, alors que les officiers sont à l’extérieur de la capitale, ou encore lors des sorties de la cour vers Fontainebleau. (Ibid., p. 287-295.)

49 « Le bon bourgeois, qui ne va guère au théâtre que le dimanche, veut se délasser des fatigues de la

semaine, et s’amuser au spectacle. » (Ibid., p. 248.) La question est plus largement traitée par Henri Lagrave, Ibid, p. 244-252. Nous suggérons, afin de mieux comprendre les particularités culturelles et sociales de la journée du dimanche pour les gens du XVIIIe siècle, la lecture de Robert Beck. (Histoire du

dimanche de 1700 à nos jours, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1997, 134-136 p.)

repondoit : « je vois des gens qui parlent & qui gesticulent beaucoup ; il m'est avis qu'ils s'entretiennent de leurs affaires, & comme ce ne sont pas les miennes je pense que je n'ai pas besoin d'y prêter une plus longue attention. » ayant dit cela il se mit à regarder les hommes & les femmes qui composoient l'assemblée, & plus d'écoute. 51

La grande majorité des personnes qui découvrent les spectacles de la capitale sont toutefois entraînées par l’intensité de la représentation et prises au jeu de l’immersion : « On ne trouvera guère de ces imaginations que dans des gens qui n’ont point encore vu le Théâtre, ou qui n’en ont qu’une foible idée. De pareils spectateurs seroient sans doute ravis d’extase, à la représentation d’une pièce dramatique fût-elle jouée dans une grange. »52 On sent dans cette image l’ambiance particulière des salles de spectacle,

surtout celles de la capitale parisienne, qui accentue l’impression du nouveau spectateur. À l’instar des jeunes spectateurs, cette première fréquentation du spectacle dramatique peut avoir un effet à long terme : « Tout ce qui précede la représentation théâtrale fait penser aux jeunes personnes, qui y sont conduites pour la premiere fois, que ce que l’on va faire est quelque chose de respectable. La belle & nombreuse compagnie, les décorations, la symphonie & tout le reste de l’appareil les frappent si vivement. » 53

Chez certains, les répercussions peuvent se faire sentir au-delà de la représentation, et, comme nous le verrons plus loin, influencer les mœurs et valeurs des spectateurs. Maintenant, essayons de comprendre comment la salle, en tant que telle, a pu influencer intimement cette diversité de spectateurs dans leur expérience.

51 Louis-Sébastien Mercier, Du théâtre ou nouvel essai sur l'art dramatique, chap. II, p. 22. 52 Louis Charpentier, Cause de la décadence du goût, tome 1, chap. 4, p. 70.