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5.1 Utilit´e esp´er´ee : entre risque et incertitude

5.1.1 Utilit´e esp´er´ee pour le choix du seuil optimal

Il a ´et´e montr´e que le seuil optimal d’un marqueur est le seuil c qui maximise l’utilit´e esp´er´ee du test lorsque le marqueur est utilis´e dans une population (partie 2.3.1) :

U(c) = Sen(c)πu(zT M)+(1−Sen(c))πu(zT M¯ )+(1−Spe(c))(1−π)u(zT ¯M)+Spe(c)(1−π)u(zT ¯¯M)

5.1. Utilit´e esp´er´ee : entre risque et incertitude 100 Ici, la distribution de probabilit´e conjointe des valeurs de marqueurs et du statut des patients a ´et´e d´ecompos´ee selon l’approche orient´ee marqueur, faisant intervenir la sensibilit´e, la sp´ecificit´e et la pr´evalence. Cette factorisation est fr´equemment retenue pour l’estimation du seuil optimal d’un marqueur, en raison de la facilit´e `a calculer la sensibilit´e, la sp´ecificit´e et la pr´evalence.

Le seuil qui maximise la fonction pr´ec´edente est ´egalement le seuil qui maximise la fonc-tion :

U?(c) = Sen(c) + Spe(c)CN BN

1 − π π

o`u BN correspond au b´en´efice net de traiter un patient malade par rapport `a ne pas le traiter (BN = u(zT M) − u(zT M¯ )) et CN correspond au coˆut net de traiter un patient non malade par rapport `a ne pas le traiter (CN = u(zT ¯M) − u(zT ¯¯M)). Il est rappel´e que ces ratios et coˆuts peuvent ˆetre estim´es pour un individu, ou pour un ensemble de patients ; dans le premier cas, le seuil d´etermin´e est optimal pour un patient, alors que dans le second, il est optimal en moyenne sur un ensemble de patients. Ce seuil optimal c? est tel que la d´eriv´ee de U? par rapport `a c est nulle en ce point. C’est donc la valeur c telle que :

dSen(c)/dc dSpe(c)/dc = −CNBN 1 − ππf1(c) f0(c) = CN BN 1 − π π (5.1)

en s’assurant que la valeur obtenue est bien le maximum global de la fonction d’utilit´e. Par la suite, on notera R = CN/BN × (1 − π)/π.

Lorsque la pr´evalence est de 0,5 et que le ratio b´en´efice net sur coˆut net est de 1, le seuil optimal est la valeur du marqueur telle que les densit´es de probabilit´e des valeurs du marqueur chez les malades et les non malades soient ´egales. Si les densit´es de probabilit´e sont repr´esent´ees sur un mˆeme graphique, le seuil optimal est le point d’intersection des deux courbes (figure 5.1, traits l´egers).

Dans le cas o`u la pr´evalence est de 1/4, le seuil optimal est la valeur du marqueur telle que le rapport entre les deux densit´es de probabilit´e soit de (3/4)/(1/4) = 3. C’est ´egalement le point d’intersection entre la courbe associ´ee `a f0 multipli´ee par 3/4 et la courbe associ´ee `a f1 multipli´ee par 1/4 ; ces courbes ne correspondent plus `a des densit´es de probabilit´e (figure 5.1, traits gras). Par rapport `a la situation o`u la pr´evalence ´etait de 0,5, le seuil optimal est plus ´elev´e. La population est constitu´ee de plus de non malades que de malades. L’utilit´e esp´er´ee ´etant calcul´ee sur l’ensemble de la population, elle est plus influenc´ee, dans ce cas, par les r´esultats obtenus chez les non malades, pour lesquels il vaut mieux un seuil plus ´elev´e afin qu’ils ne soient pas trait´es. Cet exemple souligne le fait que le seuil obtenu est un seuil qui maximise l’utilit´e

5.1. Utilit´e esp´er´ee : entre risque et incertitude 101

moyenne sur une population ; c’est un seuil de d´ecision pour une population et non pas un seuil pour un patient. N´eanmoins, le ratio BN/CN peut ˆetre d´etermin´e en fonction des pr´ef´erences d’un unique patient ; dans ce cas, le seuil est optimal pour l’ensemble des patients exprimant les mˆemes pr´ef´erences en termes de qualit´e ou de quantit´e de vie.

0 2 4 6 8 10 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 Valeur de marqueur Densité de probabilité non malades (π =0.5) malades (π =0.5) non malades (π =0.25) malades (π =0.25)

Figure 5.1 – Densit´es de probabilit´e des valeurs de marqueurs chez les malades et les non malades pour un ratio b´en´efice net sur coˆut net de 1 ; les courbes en traits l´egers correspondent au cas π = 0, 5 , celles en traits gras au cas π = 0, 25.

La repr´esentation graphique de la figure 5.1 permet de visualiser facilement l’´evolution du seuil en fonction de la pr´evalence. Cette mˆeme repr´esentation est utilisable pour tenir compte du ratio b´en´efice net sur coˆut net. Supposons que la pr´evalence soit de 0,5 et que le ratio b´en´efice net sur coˆut net soit maintenant de 2. Le seuil optimal est la valeur de marqueur telle que le rapport entre les deux densit´es de probabilit´e soit de 2. C’est ´egalement le point d’intersection entre la courbe associ´ee `a f0 et celle associ´ee `a f1 multipli´ee par 2 (figure 5.2, traits gras). Le seuil obtenu est plus petit que pour un ratio b´en´efice net sur coˆut net de 1. Avec un ratio de 2, il y a un grand b´en´efice `a traiter les patients malades par rapport `a ne pas les traiter, le coˆut des patients trait´es `a tort ´etant n´egligeable ; ainsi, il faut privil´egier un seuil faible, pour que le maximum de patients malades soient d´etect´es. Lorsque les courbes obtenues se croisent en plus d’un seul point – cas o`u la fonction d’utilit´e pr´esente plusieurs maxima – le seuil optimal est celui qui conduit `a la plus grande utilit´e esp´er´ee.

5.1. Utilit´e esp´er´ee : entre risque et incertitude 102 0 2 4 6 8 10 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 Valeur de marqueur Densité de probabilité non malades (BN CN=1) malades (BN CN=1) non malades (BN CN=2) malades (BN CN=2)

Figure 5.2 – Densit´es de probabilit´e des valeurs de marqueurs chez les malades et les non malades pour une pr´evalence de 0,5 ; les courbes en traits l´egers correspondent au cas BN/CN = 1, celles en traits gras au cas BN/CN = 2.

Le seuil optimal est ´egalement, d’apr`es l’´equation (5.1), la valeur du marqueur telle que la tangente `a la courbe ROC en ce point ait une pente ´egale `a (CN/BN)×(1−π)/π. Contrairement `a ce qui peut ˆetre lu dans de nombreux articles, ce n’est donc pas le point de la courbe ROC le plus proche du point de coordonn´ees (0,1). Le seuil associ´e `a ce dernier point est en r´ealit´e le seuil qui maximise l’indice de Youden, d´efini par :

Youden(c) = Sen(c) + Spe(c) − 1

Cette derni`ere approche est valable lorsque la pr´evalence est de 0,5 et que le ratio b´en´efice net sur coˆut net est de 1, ou bien plus g´en´eralement lorsque (CN/BN) × (1 − π)/π = 1. Dans le cas contraire, le seuil qui maximise l’indice de Youden ne tient pas compte de la pr´evalence ni des utilit´es associ´ees aux diff´erentes situations ; il donne juste la valeur de seuil qui s´epare au mieux les courbes de densit´e de probabilit´e de valeurs du marqueur chez les malades et les non malades.

On consid`ere le cas o`u le marqueur suit une loi normale de moyenne 0 chez les non malades et 1 chez les malades, l’´ecart type ´etant de 0,5 dans les deux groupes. La valeur de seuil maximisant l’indice de Youden est 0,5. Si la pr´evalence dans la population ´etudi´ee est de 0,5,

5.1. Utilit´e esp´er´ee : entre risque et incertitude 103 sur un ensemble de 1000 personnes, en moyenne, 500 ont une valeur de marqueur sup´erieure `a 0,5 et sont trait´ees ; parmi ces personnes, 79 le sont `a tort. Ce nombre de personnes trait´ees `a tort d´epend de la pr´evalence. En effet, pour une pr´evalence plus faible, de 0,1, uniquement 227 personnes sont trait´ees, mais parmi elles, 143 le sont `a tort. Si l’estimation du seuil avait tenu compte de la pr´evalence, ce dernier aurait ´et´e de 1,05, conduisant `a traiter 62 patients ; parmi eux, uniquement 46 l’auraient ´et´e `a tort, contre 143 dans le cas pr´ec´edent, mais au risque qu’un plus grand nombre de personnes r´eellement malades ne soient pas soign´ees. Dans ce dernier cas, le nombre de malades non trait´es serait de 54, contre 16 en utilisant le seuil de 0,5. Si le b´en´efice net de traiter un patient malade est jug´e de 1 et le coˆut net de 2 (sur une ´echelle arbitraire), il est pr´ef´erable d’avoir moins de patients trait´es `a tort que de patient non trait´es alors qu’ils auraient dˆu l’ˆetre. L’indice de Youden ne tient en aucun cas compte de ces caract´eristiques. Le choix du seuil optimal d´epend donc de la pr´evalence et des coˆuts et b´en´efices associ´es au traitement. L’utilisation de l’indice de Youden pour d´eterminer ce seuil n’est une approche rationnelle que lorsque (CN/BN) × (1 − π)/π = 1, situation qui n’est pas tr`es fr´equente.

Les graphiques 5.1 et 5.2 semblent particuli`erement adapt´es pour visualiser l’effet de la pr´evalence et du ratio b´en´efice net sur coˆut net que l’´evolution de la tangente `a la courbe ROC.