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De 1' utilisation traditionnelle de 1' ergot de seigle aux intoxications massives par

Dans le document deviennent plantes (Page 80-83)

de la farine de seigle contaminée

Les premières mentions de l'utilisation de l'ergot de seigle se trou-vent dans des textes chinois datant d'environ 500 ans avant J.-C. C'est en obstétrique que l'ergot de seigle fut appliqué dans le but de déclen-cher l'accouchement. Cette indication fut reprise au Moyen Âge, sur-tout en Allemagne où on l'appelle encore aujourd'hui Mutterkorn. Au XVIe siècle, dans la plupart des pays d'Europe centrale et en France, l'ergot de seigle fut utilisé sous le nom de pu/vis ad partum par les sages-femmes pour accélérer l'accouchement ou lors d'accouchements difficiles. On savait que cette poudre d'ergot provoquait de fortes contractions de l'utérus. Hélas, souvent trop fortes qui entraînaient l'asphyxie du fœtus et même la rupture de l'utérus. Certains médecins et sages-femmes sceptiques l'appelèrent pu/vis ad mortem !

Ergots de seigle séchés

Les plantes gui deviennent des drogues

De nombreux accidents ternirent la réputation et son emploi fut interdit en Allemagne en 1778 (Delaveau, 1982). Malgré cette interdiction, l'ergot de seigle continua d'être utilisé largement par les avorteuses ou faiseuses d'anges. Il fut réhabilité par un article célèbre publié en 1808 par une immigrante allemande aux États-Unis et intitulé « Account of the Pu/vis Parturiens, a remedy for quickening childbirth ''· Dans la première édition de la Pharmacopée américaine publiée en 1820, se trouve une description de l'ergot de seigle et des indications pour son emploi.

L'ergot de seigle est tristement célèbre pour les intoxications mas-sives produites par l'ingestion de pain de seigle contaminé. D'après Ratsch (2001), la première mention de ces intoxications se trouve dans le poème philosophique Denatura rerum de l'auteur romain Lucrèce (98-55 avant J.-C.). Plusieurs historiens se sont efforcés d'identifier la cause de très nombreuses épidémies qui ont frappé l'Europe dès le haut Moyen Âge. D'après les descriptions des symptômes, il ne pou-vait s'agir que d'intoxications provoquées par l'ergot de seigle auxquelles le nom d'ergotisme fut donné. Mais à l'époque, les causes de ces intoxications qui se transformèrent en véritables épidémies n'étaient pas encore connues et demeuraient très mystérieuses. En plus de la peste, il y eut un nouveau fléau auquel fut donné le nom de ignis sacer ou Feu sacré. Mais il fallut 700 ans encore avant que l'agent responsable de ce mal ne fut identifié : l'ergot de seigle et ceci au XVIIe siècle seulement.

Une terrible épidémie eut lieu à Paris en 945, une plus importante encore au sud de la Lorraine en 1089, qu'un chroniqueur de l'époque décrivit de la manière suivante :

« ... on vit beaucoup de malades, les entrailles dévorées par l'ar-deur du Feu sacré, avec des membres ravagés, noircissant comme du charbon, qui, ou bien mourraient misérablement, ou bien conservaient la vie en voyant leurs pieds ou leurs mains gangrenés se séparer du reste du corps. Mais beaucoup souffraient d'une contraction des membres qui les déformait >>5.

En 1090, encore une épidémie de Feu sacré, cette fois dans le Dauphiné. Le désarroi s'empare des foules. Contre une si terrible maladie, on ne peut rien ... sauf s'en remettre à Dieu ou à l'un de ses

5 Texte tiré de l'excellent livre de Jean-Marie Pelt, Drogues et plantes magiques, Éditions Fayard, Paris, 1983, p. 222.

De l'ergot de seigle au LSD

saints. Et le saint fut Saint Antoine (251-356), dont la tradition veut qu'il ait été longtemps obsédé par de violentes tentations sous formes de visions, mais auxquelles il ne succomba pas. Dans le langage cou-rant, le terme de tentations de Saint Antoine est encore utilisé. Pour-quoi ce saint fut-il choisi ? Tout simplement parce que les reliques de son corps, après maintes tribulations, échouèrent en 1083 en l'église paroissiale de la Motte-au-Bois, dans le Dauphiné. Cette église devint un lieu de pèlerinage pour les nombreux malades et après une guéri-son miraculeuse, un ordre fut créé en 1093 pour porter secours aux malades atteints du Feu sacré. Saint Antoine en devint naturellement le patron et l'ordre fut dénommé Ordre des Antonins. À partir de cette époque, le Feu sacré fut connu aussi sous le nom de Feu de Saint Antoine (Schultes et Hofmann, 1980). Deux types de Feu sacré furent décrits, le type gangrène et le type convulsion. Dans le premier cas, la gangrène s'établit dans un pied, un peu moins souvent dans une main, avec une sensation de chaleur intense, d'où l'origine de l'expression Feu sacré ou Feu de Saint Antoine. Cette gangrène conduit à la momi-fication, voire jusqu'à la perte de l'extrémité des membres. De nom-breux peintres furent inspirés par les ravages de ces épidémies et des scènes avec des personnages amputés ont été réalisées par exemple par Bruegel L'Ancien (1525 ou 1530-1569) et son fils (1564-1638).

La forme convulsive du Feu sacré se caractérise par des atteintes du système nerveux qui se manifestent par des convulsions des membres et de tout le corps, du délire et des hallucinations. Les causes de l'épi-démie furent enfin connues en 1777 où plus de 8000 personnes sont décédées en Sologne lors d'une épidémie de Feu sacré du type gan-grène. L'abbé Teissier publia en 1777 ses observations qui établirent que l'ergot du seigle était responsable des épidémies de Feu sacré. Il administra de la poudre d'ergot à des canards et des porcs et observa la même pathologie que celle des êtres humains intoxiqués (Delaveau, 1982). Mais il est utile de rappeler qu'avant la publication de l'abbé Teissier, une première mise en garde contre l'utilisation de l'ergot de seigle avait déjà été lancée en 1 7 68 dans un traité de matière médicale en Autriche. Elle est tirée du livre de Delaveau (1982) et reproduite ci-après :

« Secale cornutum venenum est, gangraenam cito inducens, in variis Academiarum Actis infame declaratum. "

Ce qui veut dire « Le seigle cornu est un poison, entraînant rapi-dement une gangrène ; il est déclaré très dangereux dans plusieurs actes des académies». Dès 1777, on prit soin d'éliminer l'ergot des

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graines de seigle avant de les moudre pour faire de la farine et les intoxications devinrent sporadiques. La dernière grande intoxication collective touchant près de 30 000 personnes eut lieu au sud de la Russie dans les années 1926-1927. Un empoisonnement collectif, qui eut lieu en 1951 à Pont-Saint-Esprit en France, fut attribué à tort à l'ergot de seigle. Des analyses toxicologiques démontrèrent que les grains de seigle étaient contaminés par un pesticide à base de mercure.

À l'heure actuelle, on peut consommer du pain de seigle et autres déri-vés de cette céréale sans crainte car les fongicides ont permis l'élimina-tion du champignon. L'utilisal'élimina-tion de fongicides, des règles de culture strictes et le contrôle du grain réduisent pratiquement à zéro le risque d'intoxication. Cependant, en 1985, le cas d'une fillette de treize ans eut un certain retentissement. Hospitalisée suite à des maux de tête et des troubles de la vision, elle vit son état s'améliorer spontanément après quelques jours d'hospitalisation. Elle quitta la clinique sans qu'un diagnostic précis n'ait pu être posé. Intrigués par la soudaine amélio-ration de l'état de la fille, les parents et les médecins cherchèrent d'éventuelles différences entre son alimentation à la maison et à la clinique. Ils s'aperçurent que durant son hospitalisation, l'enfant avait dû renoncer à son traditionnel birchermuesli matinal. Les soupçons se portèrent sur celui-ci qui fut analysé. Les céréales provenaient de cultures biologiques et contenaient du seigle fortement contaminé en ergot. Il ne faut bien entendu pas généraliser ce cas, mais il faut se rendre compte que si des résidus de pesticides représentent une source de dangers, des substances naturelles peuvent constituer également de sérieuses menaces pour la santé publique.

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