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L'universalité gardera sa pertinence, son rôle de principe fondamental

2. L'UNIVERSALITÉ (PROTECTION DE L'ENSEMBLE DE LA POPULA-

2.3 L'universalité gardera sa pertinence, son rôle de principe fondamental

pro-blèmes de capacité et elle sera périodiquement contestée dans sa légitimité. En effet, l'extension de la sécurité sociale notamment aux populations des pays en développe-ment représente un formidable défi qui n'est pas prêt d'être résolu. Des signes d'amé-liorations sont cependant déjà présents: tout d'abord, nous avons une capacité de met-tre fin à la misère dans le monde, qui a été estimée, chiffrée même, par le Rapport mondial sur le développement humain de 1998 : «Les ressources mondiales sont plus que suffisantes pour accélérer les progrès dans le développement humain pour tous et éradiquer de la planète les formes les plus extrêmes de la pauvreté. Progresser dans le développement humain n'est pas hors de portée. On estime ainsi que l'investissement annuel total nécessaire pour garantir un accès universel aux services sociaux de base serait de l'ordre de 40 milliards de dollars, soit 0,1 %du revenu mondial: à peine plus qu'une erreur d'arrondi. Ce montant suffirait à financer l'éducation de base, la santé, la

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James SCHULZ: Le débat continue: sélectivité, oui, mais jusqu'où? In: ASSOCIA-TION INTERNAASSOCIA-TIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : La sécurité sociale de-main: permanence et changements. Etudes et recherches, N° 36. AISS. Genève 1995, pp. 45 sv. (p. 48).

Bea CANTILLON : Les transformations des modèles du travail et de la famille et leurs implications sur la sécurité sociale. In: Repenser la sécurité sociale, cité à la note 10, pp. 115 SV. (p. 136).

Pour un approfondissement du principe de l'universalité, tel que cultivé par l'Organi-sation internationale du Travail, voir les intéressantes observations de Jean-Michel BONVIN: L'Organisation internationale du Travail, cité à la note 10, pp. 245-256.

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nutrition, les soins génésiques, le planning familial et l'accès à l'eau potable et à l'assai-nissement pour tous ».29 Imaginons les experts trop optimistes et que «l'investissement annuel total » ne soit pas de 40 milliards, mais de 80, 1 00 ou plus : cela ne change pas cette reconnaissance de capacité ; le rapport met en effet en regard de la somme de 40 milliards certaines dépenses annuelles- les trois dernières peuvent simplement être ci-tées ici (en admettant toujours un risque d'erreur, qui ne change rien à la problémati-que) : «Achats de boissons alcoolisées en Europe; 105 (milliards de dollars). Consom-mation de stupéfiants dans le monde: 400. Dépenses militaires dans le monde: 780 ».30 Deuxièmement, il est devenu un lieu commun de dire que nous sommes arrivés dans une société d'information et de communication, dans un «village mondial ». Or, les habitants de ce village connaissent et connaîtront mieux les capacités réelles d'amélio-rations. Enfin, l'intérêt des pays en développement pour la sécurité sociale grandit : il y a une volonté accrue de comprendre, d'échanger, de recevoir des expertises. Pour 1' auteur de ces lignes, c'est 1' élément le plus important qui relie les trois dernières As-semblées générales de l'Association internationale de la sécurité sociale, tenues respec-tivement à Denpasar (Indonésie) en 1995, Marrakech (Maroc) en 1998 et Stockholm (Suède) en 2001. Sans être négligeables, les problèmes de capacité à réaliser l'univer-salité dans les pays à développement économique élevé ou moyen sont évidemment moins difficiles à résoudre.

22. Quant à la contestation de la légitimité d'une protection universelle - à ga-rantir à chaque être humain, en cette qualité- l'on devrait pouvoir compter sur une évolution politique plus soucieuse à l'avenir d'équilibre entre l'économie, le social et l'environnemene1. C'est dans notre intérêt! Je rejoins pleinement Vladimir RYS dans ses conclusions sur l'avenir de la sécurité sociale qui, me semble-t-il, s'appliquent très bien au débat sur l'universalité: «En effet, l'Europe tout entière est à la recherche d'un nouveau consensus à la fois économique, social et politique en matière de protection so-ciale. L'assaut initial de la doctrine néolibérale contre l'Etat social européen commence à s'estomper, l'expérience ayant démontré les lacunes des analyses de la science écono-mique dans la perception de la réalité sociale; les effets d'une réaction salutaire se font sentir dans la défense des valeurs communes plus facilement définissables dans le rejet des valeurs de substitution que dans leur propre contenu. La suite du combat dépendra de la capacité d'une reprise économique qui se pointe à l'horizon de réduire la maladie cancéreuse de la société qui se nomme le chômage de masse.

Au cours de ce siècle nous avons vécu l'échec du communisme mondial et de ses doctrines. Sans jamais pouvoir atteindre l'étape désignée par la devise «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins», son évolution s'était arrêtée déjà au niveau de l'étape «à chacun selon son travail». La sécurité sociale communiste a bien

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Rapport mondial sur le développement humain 1998. Publié pour le Programme des Na-tions Unies pour le développement (PNUD) par Economica. Paris 1998, p. 41.

Idem, tableau 1.12, p. 41.

La réflexion est en cours. Voir p. ex. : Gabrielle ANTILLE/Beat BÜRGENMEIER/

Yves FLÜCKIGER: L'économie suisse au futur. Une réforme en trois piliers. Réalités sociales. Lausanne 1997. Un ouvrage remarquable, succinct, rédigé de manière compré-hensible par trois économistes pour des lecteurs d'autres disciplines.

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appliqué cette norme par ses catégories de travail privilégiées ; cependant, le travail rendu obligatoire, le régime se devait d'offrir un haut degré de protection à tous. Après sa chute, on a essayé de remplacer ses contradictions et ses utopies par une autre croyance affirmant que chaque citoyen est en mesure d'assurer individuellement sa sé-curité d'existence. Pour le malchanceux, coupable de ne pas savoir échapper à l'acci-dent physiologique ou social, on nous propose de revenir en arrière et de lui offrir, au lieu d'un droit à la sécurité sociale, une main secourable de l'assistance. Les protago-nistes de l'idéologie néolibérale ont sans doute oublié de noter que l'homme n'est pas seulement un facteur de production sensé de subir les restructurations, délocalisations et autres mégafusions ; préoccupés par les calculs de rentabilité, ils ont également failli remarquer, que son bien-être constitue toujours la finalité de toute activité économique, même globalisée. L'idéologie néolibérale semble fermer les yeux devant les leçons de l'histoire de ce siècle et repose les mêmes problèmes auxquels le communisme avait déjà essayé d'apporter des solutions sans y parvenir.

Il faudra donc patienter encore un peu pour que cette leçon devienne plus expli-cite. En effet, il y a fort à parier qu'au seuil du troisième millénaire le citoyen de l'Europe occidentale, tout comme son voisin à l'Est, ne reviendra plus en arrière et qu'il défendra les droits sociaux acquis par tous les moyens à sa disposition. Il faudrait ren-verser le cours de l'histoire pour qu'il en soit autrement ».32

23. Au delà des questions de capacité et de légitimitë3, le principe d'universalité présente des caractéristiques et des qualités qui devraient lui permettre de répon-dre aux besoins de protection et à leur évolution :

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la médecine et les sciences qui la soutiennent (biologie, chimie, informatique) deviennent plus performantes et sont coûteuses. L'accès aux soins est indépen-dant de l'exercice d'une activité rémunérée, sa nécessité est tout simplement liée à la condition humaine. La protection doit ainsi être universelle ;

le monde du travail est marqué par l'instabilité et la précarité ; beaucoup de personnes n'ont accès qu'à des travaux dits atypiques : des activités qui écartent du travail «normal, typique» c'est-à-dire salarié, à plein temps, à durée indéter-minée (ce qui veut dire, dans les faits, à longue durée). Les situations qui font problème sont celles où ces activités ne sont pas choisies, mais subies34 Les per-sonnes concernées auront besoin de protections déconnectées du travail rémuné-ré pendant les périodes où elles seraient sans emploi (soins, revenu minimum,

Vladimir RYS: La sécurité sociale dans une société en transition: l'expérience tchèque.

Quels enseignements pour l'Europe? Réalités sociales. Lausanne 1999, pp. 211-212.

Egalement un ouvrage indispensable.

Guy PERRIN: L'avenir de la protection sociale dans les pays industriels. Crises, défis et mutation des valeurs. Futuribles [Paris], N° 92-93, 1985, pp. 28 sv.

Un exemple, actuel, est celui du travailleur âgé ou relativement âgé, qui est licencié par son employeur, qui n'arrive pas à retrouver un travail salarié «typique» et qui devra péniblement «bricoler une fm de carrière »,jusqu'à sa retraite.

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aide à la réinsertion), sans être protégées en prolongement de leur dernière acti-vité (p. ex. absence ou fin des prestations de chômage)35/ 6

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beaucoup de familles sont fragilisées, ou en tout cas de plus en plus diversi-fiées : accroissement des familles monoparentales suite à des divorces ou sépa-rations, concubinats (avec ou sans enfants), familles recomposées37. Des protec-tions sociales axées sur le chargé de famille exerçant une activité rémunérée, avec octroi de droits dérivés aux membres de sa famille, deviennent de moins en moins adéquates et tendent à être remplacées par des protections de type univer-sel, soit une voie ouverte par le modèle scandinave de sécurité sociale38 ;

les protections universelles n'ont pas besoin de représenter la totalité d'un sys-tème de sécurité sociale. Elles peuvent être combinées, d'une part, avec des protections sous conditions de ressources pour les plus défavorisés: ceux-ci recevront une protection standard, plus un supplément de ressources39Et, d'au-tre part, avec des régimes complémentaires qui améliorent le premier socle de protection, sur une base professionnelle. C'est une situation que l'on trouve par exemple dans plusieurs Etats européens en matière de retraite, depuis plus ou moins de temps, (France, Pays-Bas, Suisse, Suède) ou qui est nouvelle (Italie).

Elle est suggérée par le Bureau international du Travail dans sa stratégie de structures flexibles, comprenant un niveau de base - « un dispositif de protec-tion universel financé par l'impôt et géré par l'Etat, qui vise à assurer à chacun les services répondant à ses besoins fondamentaux et à garantir à ceux dont les

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL: Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-1999. Employabilité et mondialisation. Le rôle crucial de la formation. BIT. Genè-ve 1998.- EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY: Changing Work Pat-tems and Social Security. EISS Yearbook 1999. Kluwer Law International. London/Den Haag/Boston 2000. - Ulrich W AL WEI/Heinz WERNER : Employment Problems and Active Labour Market Policies in Industrialized Countries. In : Social Security at the Dawn of the 21st Century. D. Hoskins/D. Dobbemack/C.Kuptsch editors. Transaction Publishers. New Brunswick/London 2001, pp. 133 sv.

Voir également : - Chantal EUZÉBY : Quelle sécurité sociale pour le XXIe siècle ? Re-vue internationale de sécurité sociale, 2/1998, pp. 3 sv. (pp. 14-17). - Mariene SCHMIDT : Relations de travail atypiques et relations salariales pour la réinsertion dans la vie professionnelle. Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [Bordeaux], 1998, pp. 40 sv.

Familles et sécurité sociale : numéro double spécial. Revue internationale de sécurité sociale, 3-4/1994. L'éditorial met en évidence «l'éclatement du modèle familial tradi-tionnel » et relève qu'il «n'y a donc plus de référence unique en la matière, mais une succession de situations instables ». (pp. 4 et 5).

EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : The Nordic model of social secu-rity in a European perspective. EISS Yearbook 1994. Acco. Leuven/Amersfoort 1995.

La Suisse, p. ex., bénéficie d'une bonne expérience de ce type dans le cadre de son régi-me universel de pensions A VS/AI: il comprend des pensions (appelées rentes) ordinai-res et des pordinai-restations sous conditions de ordinai-ressources (appelées pordinai-restations complémentai-res A VS/AI) s'ajoutant aux premiècomplémentai-res. Voir p. ex. :Pierre GILLIAND: Politique socia-le en Suisse. Réalités sociasocia-les. Lausanne 1988, pp. 119 sv. (pp. 125-126, 133, 135-143).

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ressources sont insuffisantes un revenu minimum de subsistance», un niveau dit de solidarité - obligatoire, financé par les employeurs et les assurés, éventuelle-ment par l'impôt- et un niveau complééventuelle-mentaire- individuel ou collectif'10;

les protections universelles intéressent, c'est leur concept même - toute la popu-lation. Elles vont donc bénéficier du soutien, de l'adhésion de ladite popula-tion. Au contraire, si une politique sociale est sélective elle n'aura qu'un soutien populaire restrictif, beaucoup de personnes n'ayant aucun intérêt direct à la pour-suite du système. Les pays scandinaves sont un bon exemple : ils pratiquent l'universalité- et des protections plus développées- et les populations soutien-nent leurs systèmes de sécurité sociale qui sont développés mais coûteux. A l'opposé, les Britanniques, qui vivent en plein système sélectif, n'ont plus l'air de croire beaucoup à la politique sociale41.

24. L'universalité, c'est-à-dire la reconnaissance à chaque personne d'un droit à la sécurité sociale, devrait donc rester un principe fondamental, mais à réaliser effective-ment dans le monde entier. Une très vaste entreprise.

3. L'ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ

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