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Les principes fondamentaux de la sécurité sociale dans un environnement en mutations

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Les principes fondamentaux de la sécurité sociale dans un environnement en mutations

GREBER, Pierre-Yves

GREBER, Pierre-Yves. Les principes fondamentaux de la sécurité sociale dans un

environnement en mutations. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, 2002, no.

29, p. 19-41

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:43745

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CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SÉCURITÉ SOCIALE No 29-2002 6eCOLLOQUE

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LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS UN ENVIRONNEMENT EN MUTATIONS*

Pierre-Yves GREBER

Professeur de droit de la sécurité sociale à 1 'Université de Genève

1. INTRODUCTION: DES PRINCIPES ET DES MUTATIONS ... 1

2. L'UNIVERSALITÉ (PROTECTION DE L'ENSEMBLE DE LA POPULA- TION) :UN GRAND PRINCIPE, AVEC OU SANS A VENIR? ... 5

2.1 Un principe fondamental du droit international et européen ... 5

2.2 L'universalité est exposée à des problèmes sérieux mais surmontables ... 15

2.3 L'universalité gardera sa pertinence, son rôle de principe fondamental... ... 21

3. L'ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ ... , ... 25

3.1 Un principe fondamental ... 25

3.2 Des problèmes ... 29

3.3 Des développements ... 31

4. LA GARANTIE DU NIVEAU DE VIE ... 32

4.1 Un principe fondamental ... 32

4.2 Des problèmes ... 3 7 5. LES AUTRES PRINCIPES FONDAMENTAUX ... 39

6.

*

5.1 La garantie de ressources minimales ... 40

5.2 L'insertion sociale et professionnelle ... 43

5.3 La solidarité ... 44

5.4 L'égalité de traitement ... 46

5.5 L'affiliation obligatoire ... 4 7 5.6 La responsabilité de l'Etat ... 48

CONCLUSION ... 49

Version complètement révisée d'une conférence présentée dans le cadre du« 6e Collo- que de sécurité sociale à Prague », Universités de Genève et de Prague, Prague, 6 juin 2002.

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P.-Y. GREBER

CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SÉCURITÉ SOCIALE No 29-2002 6eCOLLOQUE

1. INTRODUCTION: DES PRINCIPES ET DES MUTATIONS

1. L'idée à la base de cette contribution est la suivante : quels sont les principes fondamentaux qui guident et soutiennent les systèmes de sécurité sociale, comment réagissent-ils à un environnement, un monde, en grandes mutations ?

2. Si l'on considère le droit international (élaboré dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies (ONU), de l'Organisation internationale du Travail (OIT) et du Con- seil de l'Europe), le droit communautaire, les systèmes nationaux, de même que la doctrine, une série de grands principes se dégage : l'universalité (soit la protection de l'ensemble de la population), l'accès aux soins de santé (d'après les besoins), la ga- rantie du niveau de vie («d'une manière raisonnable »1), la garantie de ressources minimales («conforme à la dignité humaine »2), l'insertion sociale et professionnelle, la solidarité, l'égalité de traitement, l'affiliation obligatoire, la responsabilité géné- rale de l'Etat. Bien sûr, cette approche peut être discutée ; il apparaît cependant que ces principes traversent 1 'histoire de la sécurité sociale, depuis son origine, au milieu du

x.xe

siècle, jusqu'à nos jours. Ils peuvent plus ou moins marquer les systèmes ou les régimes, ils n'en seront pas absents. Est-il exagéré de parler d'une philosophie de la sécurité sociale? En tout cas il s'agit d'une construction humaine, qui relève d'une civi- lisation, qui résulte d'une lente conquête de sécurité d'existence, de partage des risques de la vie et du coût de leur protection, du refus de considérer la misère, la pauvreté, l'ex- clusion comme des fatalités; c'est la volonté, organisée, de ne pas laisser l'individu seul face à la maladie, à l'accident, à l'invalidité, au décès d'un soutien de famille, au chô- mage, à l'accroissement de sa famille, à la retraite, à la perte d'autonomie liée au grand âge. Ces situations sont des données de l'existence, elles créent un besoin de protec- tion. Que faire ? Laisser chacun se débrouiller au milieu des plus grandes inégalités, faire confiance au seul «respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre »3 ? Ou essayer de mettre en harmonie le social et l'économie, pro- téger chacun lorsqu'il en a besoin, réduire les inégalités, prévenir, réparer, redonner des chances?

3. Ces principes fondamentaux ne planent pas dans l'espace ou dans un monde virtuel. Au contraire, ils sont exposés aux mutations de notre monde, réel. Ils subis-

2 3

Pour reprendre la formulation de la Recommandation du Conseil du 27 juillet 1992 re- lative à la convergence des objectifs et politiques de protection sociale (92/442/CEE).

Journal officiel des Communautés européennes, du 26 août 1992, N° L 245/49 (voir: I, A, 1, d).

Idem, voir : I, A, 1, a.

Pour reprendre la formulation de l'article 4 du Traité instituant la Communauté europé- enne (TCE). Une disposition fondamentale de l'ordre juridique communautaire, qui se réfère à une politique économique européenne, au marché intérieur, à la monnaie uni- que, à des principes directeurs financiers, et justement au principe d'une économie de marché ouverte, où la concurrence est libre. Sans référence ni aménagement concernant la protection sociale.

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sent ces changements, exerçant certainement, à leur tour, une influence. Ces mutations sont connues de chacun ; elles peuvent donc être synthétisées très brièvement :

Les besoins de protection sociale ont tendance à augmenter : la médecine est devenue performante, mais elle coûte cher ; nos populations vieillissent ; certai- nes personnes très âgées perdent leur indépendance ; des travailleurs sont privés d'emploi et d'autres n'ont que des emplois précaires (instables); la pauvreté et l'exclusion frappent certaines personnes; l'évolution technologique implique une formation continue, des recyclages et des changements de professions ; Les valeurs sont discutées, parfois contestées: la sécurité d'existence est oppo- sée à 1' acceptation des risques de la vie ; la solidarité est opposée à la responsa- bilité individuelle; la réalisation de l'égalité de traitement et de chances est con- sidérée par certains comme une illusion; l'économie de marché, aussi libre que possible serait devenue la règle fondamentale devant gouverner nos sociétés ; L'économie des pays industrialisés est particulièrement marquée par la recher- che de la performance, la mondialisation, la dérégulàtion, l'accroissement pour les travailleurs des emplois flexibles- appelés aussi atypiques, le chômage, l'ex- trême difficulté de retrouver un travail à un âge moyen ou déjà avancé;

Sur le plan démographique, l'on observe la baisse de la natalité, l'allongement de la durée de vie, la fragilisation des familles, l'augmentation des familles mo- noparentales ;

Sur le plan politique, le libéralisme domine tous les autres courants de pensée4.

4. Une grande question se pose ainsi: les principes fondamentaux- classiques- de la sécurité sociale gardent-ils leur importance ou sont-ils dépassés? L'étude met l'accent sur le principe de l'universalité, car c'est celui qui revêt la plus grande im- portance tant symbolique que sociale. Elle se poursuit par l'accès aux soins de santé, puis la garantie du niveau de vie. Les autres principes ne sont en revanche qu'esquissés, ceci pour des raisons de place, et non parce que leur importance serait réduite.

4 Michel ALBERT souligne que:« ( ... ) la situation d'hégémonie- mieux, de monopo- le- dont jouit aujourd'hui le capitalisme en tant que système est absolument contraire à sa nature. En effet, le capitalisme ( ... ) a pour premier fondement le marché, c'est-à- dire la concurrence. Or, le voici tellement fort, si triomphant, qu'il n'a plus de concur- rent». Michel ALBERT: Capitalisme contre capitalisme. Seuil. Paris 1991, p. 11.

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2. L'UNIVERSALITÉ (PROTECTION DE L'ENSEMBLE DE LA POPULATION):

UN GRAND PRINCIPE, AVEC OU SANS A VENIR ?

2.1 Un principe fondamental du droit international et européen

5. L'Organisation des Nations Unies (ONU) reconnaît à chaque être humain le droit à la sécurité sociale. Les textes internationaux de référence, bien connus, sont : la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (1989). Cette reconnaissance exclut toute discrimination. Les Na- tions Unies ont ainsi adopté la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979)5.

6. Ces textes internationaux se réfèrent à la dignité et à la valeur de l'être hu- main. C'est sur cette base qu'il se voit reconnaître des droits, dont celui relatif à la sécu- rité sociale. Ceci indépendamment d'un statut professionnel.

7. L'Organisation des Nations Unies reconnaît sans réserves, l'universalité. Com- me l'objectif est exigeant, l'Organisation internationale du Travail (OIT) prévoit, dans ses normes, des étapes pour le réaliser.

8. L'OIT a tout d'abord construit une sorte de plate-forme normative, qui demeure la base du droit international de la sécurité sociale. Il s'agit de trois instruments qui accompagnent l'émergence même de la sécurité sociale:

La Recommandation OIT No 67 concernant la garantie des moyens d'existence (1944);

La Recommandation OIT N° 69 concernant les soins médicaux (1944);

La Convention OIT N° 102 concernant la norme minimum de la sécurité sociale (1952).

Ensuite, l'OIT a adopté une série de conventions et de recommandations, de 1952 à 2000, qui élèvent la norme minimum, par éventualité ou en groupant certaines

Jean-Jacques DUPEYROUX : Le droit à la sécurité sociale dans les déclarations et pac- tes internationaux. Droit social [Paris] 1960, pp. 365 sv.- Guy PERRIN: La reconnais- sance du droit à la protection sociale comme droit de 1 'homme. In : Actes du 1 OSe Con- grès national des sociétés savantes, Colloque sur l'histoire de la sécurité sociale, Greno- ble 1983. Association pour l'étude de l'histoire de la sécurité sociale. Paris 1983, pp.

153 sv. Publié également dans: Travail et Société [OIT, Institut international d'études sociales], volume 10, n° 2, mai 1985, pp. 255 sv. -Alexandre BERENSTEIN: Le déve- loppement et la portée des droits économiques et sociaux. Travail et Société, volume 7, n° 3, juillet-septembre 1982, pp. 311 sv. et n° 4, octobre-décembre 1982, pp. 419 sv.

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d'entre elles. Il s'agit des Conventions OIT N° 103, 121, 128, 130, 168 et 183, ainsi que des Recommandations OIT N° 95, 121, 131, 134, 176 et 1916.

9. Tous ces instruments contiennent des règles sur le champ d'application per- sonnel, avec des pourcentages minima de population (salariée, économiquement active, résidente) à protéger, selon des formules souples qui tiennent compte de la diversité des législations nationales. Seules les Recommandations OIT No 697 et No 1348 demandent l'universalité; les autres textes peuvent s'y référer, au titre de la variante la plus déve- loppée9. Cela montre la difficulté, pour beaucoup d'Etats, de protéger l'ensemble de leur population10.

6

7

9

10

-Convention OIT N° 103 et Recommandation OIT N° 95 concernant la protection de la

maternité (1952). 4

-Convention OIT N° 121 et Recommandation OIT N° 121 concernant les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles (1964).

- Convention OIT N° 128 et Recommandation OIT N° 131 concernant les prestations d'invalidité, de vieillesse et de survivants (1967).

- Convention OIT N° 130 et Recommandation OIT N° 134 concernant les soins médi- caux et les indemnités de maladie (1969).

-Convention OIT N° 168 et Recommandation OIT N° 176 concernant la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage (1988).

-Convention OIT N° 183 et Recommandation OIT N° 191 concernant la protection de la maternité (2000).

Cf. son § 8 : « Le service des soins médicaux devrait englober tous les membres de la communauté, qu'ils exercent ou non une occupation lucrative ».

Cf. son§ 2.

Cf. p. ex. l'art. 9 § 1 de la Convention OIT N° 128 :

« 1. Les personnes protégées doivent comprendre : a) soit tous les salariés, y compris les apprentis ;

b) soit des catégories prescrites de la population économiquement active formant, au total, 75 pour cent au moins de l'ensemble de la population économiquement active;

c) soit tous les résidents ou les résidents dont les ressources pendant l'éventualité n'excèdent pas des limites prescrites conformément aux dispositions de 1' article 28 ».

Pour ces instruments, voir p. ex.:- Hector BARTOLEMEI DE LA CRUZ/Alain EU- ZÉBY : L'Organisation internationale du Travail. Presses Universitaires de France. Pa- ris 1997, pp. 87 sv.- Jean-Michel BONVIN: L'Organisation internationale du Travail.

Etude sur une agence productrice de normes. Presses Universitaires de France. Paris 1998.- S. Günter NAGEL/Christian THALAMY: Le droit international de la sécurité sociale. Presses Universitaires de France. Paris 1994.- Guy PERRIN: Histoire du droit international de la sécurité sociale. Tome V de La sécurité sociale. Son histoire à travers les textes. Association pour l'étude de l'histoire de la sécurité sociale. Paris 1993, pp.

495 sv. -Michel VOIRIN: Les normes internationales de sécurité sociale à l'épreuve du temps. In: Repenser la sécurité sociale. J.-P. Fragnière (éd.) Réalités sociales. Lau- sanne 1995, pp. 85 sv.- JefVAN LANGENDONCK: Le rôle des organisations inter- nationales dans le développement de la sécurité sociale. Idem, pp. 97 sv.- Pierre-Yves

GREBER : Les principes fondamentaux du droit international et du droit suisse de la sé- curité sociale. Réalités sociales. Lausanne 1984.

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10. Sur notre continent, le Conseil de l'Europe s'inspire judicieusement de l'œuvre de l'OIT, tout en apportant sa propre contribution. Ses instruments, dans ce domaine, sont le Code européen de sécurité sociale et son Protocole (1964), le Code européen de sécurité sociale révisé (1990)11. Comme dans le cadre de l'OIT, il y a présence d'une norme minimale (le Code de 1964) et d'élévations de celle-ci (le Protocole de 1964 et le Code révisé de 1990). L'approche normative est semblable. Ici également, les règles sur le champ d'application personnel guident les Etats vers l'universalité, sans cependant l'atteindre dans les textes mentionnés. Le Conseil de l'Europe arrive à ce stade de déve- loppement dans le domaine des soins par sa Recommandation (86) 5 sur la généralisa- tion des soins médicaux, adoptée le 17 février 1986. A ce sujet, Anne RILLIET HOW ALD souligne un élément essentiel : «Au deuxième considérant du préambule, il est stipulé que '( ... ) le droit à la protection de la santé fait partie intégrante des droits de 1 'homme dont la sauvegarde constitue un des principes fondamentaux du Conseil de l'Europe' ; ainsi, mis à part le fait que le droit à la protection de la santé et, partant, le droit à l'accès aux soins, sont reconnus comme faisant partie des droits de l'être hu- main, le droit à la protection de la santé devient l'un des objectifs essentiels de cette or- ganisation. ( ... ) l'accès aux soins doit être garanti à chacun, sans obstacles finan-

. 12

cters ».

11. La Communauté européenne indique également le but de l'universalité dans sa Recommandation du 27 juillet 1992 relative à la convergence des objectifs et politiques de protection sociale13. Dans ce texte- important sur le fond, car c'est une promotion du modèle social européen, faible sur la forme puisqu'il est dépourvu d'effet obligatoire - le Conseil recommande aux Etats membres trois grandes missions associées à l'uni- versalité : la garantie d'un «niveau de ressources conforme à la dignité humaine», la possibilité de bénéficier des systèmes de protection de la santé, l'intégration sociale et professionnelle (I, A, 1, a, b, c ).

12. Les chartes sociales européennes, aussi bien celles du Conseil de l'Europe14 que de l'Union européenne15, sont moins convaincantes: elles n'ont pas pu, pour des raisons politiques, retenir franchement la voie de l'universalité. Fondées principalement sur une optique de protection des travailleurs (et de leurs familles), elles « s'auto-corri-

11

12

13 14

15

Alexandre BERENSTEIN : La révision du Code européen de sécurité sociale. Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la Fédération suisse des employés d'assurances socia- les, 2/1991, pp. 36 sv.- S. Günter NAGEL: La philosophie du Conseil de l'Europe en matière de protection sociale. In : La sécurité sociale en Europe et en Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1996, pp. 23 sv. - Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale, cité à la note 10, pp. 593 sv.

Anne RILLIET HOW ALD : Les soins de santé en sécurité sociale. Quelques textes émanant de l'OIT, du Conseil de l'Europe et de l'OMS. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale [Genève], N° 27-2001, pp. 41 sv. (p. 55).

Citée à la note 1.

-Charte sociale européenne (1961), Protocole (1988).

-Charte sociale européenne révisée (1996).

- Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989).

-Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000).

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gent » partiellement : le cap professionnel est certes maintenu, mais des élargissements ponctuels sont prévus, par exemple pour éviter de laisser sans ressources des pensionnés ou pour lutter contre 1' exclusion.

13. Pour mémoire, rappelons que l'universalité constitue une pièce fondamentale de deux modèles de sécurité sociale en Europe : celui de Beveridge (Royaume Uni, 1942) et celui de la Scandinavie (dès les années 1950). Egalement que les législations natio- nales en Europe atteignent l'universalité ou s'efforcent de la réaliser. Les Etats qui ont une conception professionnelle de la sécurité sociale ont adopté ainsi des dispositifs spécifiques pour éviter qu'il y ait des exclus de la protection sociale. L'exemple de la France est bien connu, avec notamment l'adoption du Revenu minimum d'insertion (RMI) et de la Couverture maladie universelle (CMU), respectivement en 19&8 et 1999.

14. Face aux mutations et problèmes actuels, le principe de l'universalité est-il tou- jours pertinent ou est-il dépassé?

2.2 L'universalité est exposée à des problèmes sérieux inais surmontables 15. Le premier grand problème que l'universalité rencontre réside dans sa réali- sation concrète très imparfaite. A l'échelon mondial, en ce début de XX:Ie siècle, le constat est brutal: «L'un des plus grands problèmes en matière de sécurité sociale au- jourd'hui est que plus de la moitié de la population mondiale (à savoir, des travailleurs

et des personnes à leur charge) n'a accès à aucune forme de protection sociale et ne bé- néficie par conséquent ni d'un système de sécurité sociale financé par des cotisations, ni de prestations sociales financées par l'impôt, tandis qu'une proportion non négligeable de ceux qui sont couverts ne sont protégés que contre quelques risques. En Afrique sub- saharienne et en Asie du Sud, on estime que 5 à 10 pour cent seulement de la population active sont couverts par le régime légal de sécurité sociale et que dans certains cas ce taux est même en baisse. En Amérique latine, les taux s'étagent entre 10 et 80 pour cent et ne donnent dans la plupart des cas aucun signe d'évolution. En Asie du Sud-Est et de l'Est, les taux varient entre 10 et près de 100 pour cent et, jusqu'à une date récente, étaient dans de nombreux cas en hausse. Dans la plupart des pays industrialisés, le taux de couverture est proche de 100 pour cent, mais dans un certain nombre de pays, no- tamment parmi ceux en transition, l'observation des obligations en matière de sécurité sociale a décliné ces dernières années ».16 Le contraste est saisissant: d'une part, les grands textes de droit international reconnaissent à chaque être humain, sans aucune

16 ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAil.,. CONFÉRENCE INTERNA- TIONALE DU TRAVAIL (89e session-200 1) : Rapport VI : Sécurité sociale. Ques- tions, défis et perspectives. Bureau international du Travail. Genève 2001, p. 4.- Voir également: Wouter van GINNEKEN: Venir à bout de l'exclusion. In: BUREAU IN- TERNATIONAL DU TRAVAil.,: Sécurité sociale pour la majorité exclue. Etudes de cas dans les pays en développement. Sous la direction de W. van Ginneken. Bureau in- ternational du Travail. Genève 2000, pp. 1 sv.- Numéro spécial« Travailleurs indépen- dants et travailleurs du secteur informel : en marge de la sécurité sociale ? » Revue in- ternationale de sécurité sociale, 1/1999.

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discrimination, le droit à la sécurité sociale et, d'autre part, la réalité montre qu'une personne sur deux n'a aucune protection et que parmi ceux qui sont protégés, certains ne le sont que très partiellement, c'est-à-dire insuffisamment.

16. C'est assurément le problème le plus important pour l'avenir: le principe de l'universalité reste largement théorique, dans certaines régions, il relève de l'utopie. La situation est inadmissible sur le plan social, humain et elle est dangereuse, car elle est de nature à remettre en cause la légitimité même du principe. Or, celui-ci a mis beaucoup de temps pour être reconnu ; il est indispensable à la dignité et au libre développement de la personnalité, pour reprendre les termes de 1' art. 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

17. Le Bureau international du Travail a compris l'enjeu. Après le constat17, il envisage des stratégies : «L'approche à adopter pour étendre la protection sociale dé- pend d'un certain nombre de facteurs et notamment du niveau de développement éco- nomique du pays, de l'état du système de sécurité sociale et de l'importance du secteur informel. Certains pays industriels sont parvenus à une couverture universelle pour cer- taines éventualités mais pas pour toutes. Dans ces pays, l'extension de la protection so- ciale peut s'inscrire dans le cadre des systèmes existants. Les pays en développement à revenu intermédiaire pourraient aussi, pour certains risques, parvenir à une couverture universelle dans le cadre des systèmes en place. Dans d'autres cas, il pourrait être né- cessaire de commencer par promouvoir des régimes visant spécifiquement les travail- leurs de l'économie informelle. Vu la taille réduite du secteur formel dans les pays en développement à bas revenu, il est impératif d'y donner la priorité à des régimes desti- nés à répondre aux besoins des travailleurs de ce secteur ».18 Le BIT propose ainsi l'application, suivant les cas, de plusieurs modes de protection :

la micro-assurance, à encourager, 1' assurance sociale, à étendre,

les prestations sociales financées par l'impôt (aide sociale, prestations univer- selles).

Et il vise à associer non seulement les partenaires traditionnels de la sécurité sociale- Etat, travailleurs, employeurs- mais aussi d'autres acteurs : autorités locales, associations représentant les travailleurs de 1' économie informelle, institutions fmanciè- res privées, concluant que: «la communauté internationale devra peut-être assumer de nouveaux rôles en ce qui concerne, par exemple, la défmition de politiques sociales glo- bales et le (co)financement de certaines prestations sociales de base »19. Pour reprendre

17 18

19

Voir ci-dessus le N° 15.

OIT : Rapport Sécurité sociale. Questions, défis et perspectives, cité à la note 16, p. 62.

La rédaction est ambiguë : le BIT veut accorder la priorité, dans les pays en développe- ment, à la protection des travailleurs de l'économie informelle.

Idem, pp. 62-64 (64 pour la citation).- Voir également:- Roger BEATTIE: Une pro- tection sociale pour tous, oui, mais comment l'assurer? Revue internationale du travail, 2000/2, pp. 141 sv. - Wouter van GINNEKEN: Sécurité sociale pour le secteur infor- mel : un nouveau défi pour les pays en développement. Revue internationale de sécurité

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ce dernier élément, Alain EUZÉBY a proposé la création d'un Fonds social internatio- nal qui «aurait pour mission d'aider les pays en développement à promouvoir leur dé- veloppement social et humain, et en particulier à élargir et renforcer leurs systèmes de protection sociale ».20 Une idée qui mérite d'être étudiée et développée.

18. La réalisation effective de l'universalité peut aussi poser des problèmes en Europe. Certaines personnes «passent entre les mailles des filets sociaux » et tombent dans la précarité. Sans pouvoir développer ici cette question, il est possible d'en illustrer l'importance par une évolution normative survenue dans le cadre du Conseil de l'Eu- rope. En 1990, celui-ci a ouvert à la signature et à la ratification des Etats membres le Code européen de sécurité sociale révisé. Soit un instrument normatif ou d'harmonisa- tion, qui pose des standards plus élevés que le Code de 1964 relativement. au champ d'application personnel, matériel, aux prestations21. Il s'agissait donc de proposer à la , ratification une nouvelle norme supérieure censée correspondre aux besoins et aux capa- cités accrues de notre continent. D'une part, le Code révisé a été signé mais pas ratifié;

de facto, il joue actuellement le rôle d'une recommandation. D'autre part, le Conseil de l'Europe face à une évolution sociale très difficile, a adopté une Recommandation noR (2000)3 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le' droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d'extrême précarité. Cet ins- trument souligne que le Comité des Ministres est «préoccupé par les situations indivi- duelles d'extrême précarité qui existent, parfois à grande échelle, dans tous les Etats membres » et engage les Etats à reconnaître «un droit individuel, universel et justicia- ble» à des prestations qui devraient «à tout le moins couvrir la nourriture, l'habille- ment, 1 'hébergement et les soins médicaux de base », pour les nationaux comme pour les étrangers (quel que soit le statut de ces derniers)22. Seules des personnes qui n'ont pas un revenu du travail ou des prestations de sécurité sociale corrects, c'est-à-dire per- mettant de vivre, ont besoin d'un tel dispositifminimal. Comme le relève d'ailleurs la Recommandation, certains Etats européens connaissent déjà de telles protections. L'im- migration, spécialement non-autorisée, pose aussi des problèmes sociaux spécifiques : des personnes fuient leur pays, en raison de la misère, de la pauvreté, de 1 'oppression ou de la guerre ; elles sont particulièrement fragiles (problèmes de santé, déracinement, isolement) et ne seront pas forcément immatriculées dans le système social du pays où elle résident. L'universalité, là où elle existe, est normalement liée à un statut juridique,

20

21

22

sociale, 1/1999, pp. 61 sv. - David DROR/Christian JACQUIER: Micro-assurance:

élargissement de l'assurance-maladie aux exclus. Revue internationale de sécurité socia- le, 111999, pp. 87 sv.

Alain EUZÉBY: Le financement de la protection sociale et l'emploi à l'épreuve de la mondialisation de l'économie. In: ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉ- CURITÉ SOCIALE : La sécurité sociale dans le village global. Conférence internatio- nale de recherche en sécurité sociale «an 2000 », Helsinki, 25-27 septembre 2000.

AISS. Genève 2000, pp. 53 sv. (p. 65).

Voir les études de BERENSTEIN, NAGEL et PERRIN citées à la note 11, de même que NAGEL/THALAMY cités à la note 10.

Site du Conseil de l'Europe: http://www.coe.

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à une résidence légale sur le territoire23. Or, les besoins concrets ignorent de tels statuts.

Une réunion de recherche de l' AISS (Stockholm, 1993) avait mis l'accent sur cette pro- blématique. Plus particulièrement Reinhard LOHRMANN avait souligné l'implication pour les systèmes : « S'agissant de la sécurité sociale, un nombre croissant de migrants ne seront pas inscrits auprès des régimes des pays d'accueil du fait de leur situation irré- gulière et du fait qu'ils exercent un emploi de manière illégale. Cette forme de dérégula- risation du marché du travail constituera un défi pour le fonctionnement des régimes nationaux de sécurité sociale ». 24

19. L'universalité est fortement contestée par le courant politique néo-libéral.

Selon ce dernier, l'universalité déresponsabilise les individus et exagère l'intervention de l'Etat. Utilisant les termes de «principe de l'arrosoir»- au lieu de celui d'universa- lité - un livre publié en Suisse il y a quelques années résume, sans nuances, cette vi- sion : « Il existe dans toute société des personnes incapables de subvenir à leurs besoins.

Les aider est un devoir qui incombe à chacun et - subsidiairement - à la communauté.

Cette attitude est emacinée dans la tradition humanitaire où 1' engagement personnel compte autant que l'appui matériel. Au contraire, les mécanismes bureaucratiques de redistribution appliqués aujourd'hui par les pouvoirs publics, mécanismes fondés sur le principe de l'arrosoir, favorisent de plus en plus l'anonymat de l'aide sociale. Parallèle- ment, les œuvres sociales touchent aux limites de leurs capacités financières. Il ne faut pas que les principes incontestés de 1 'Etat social - et humaniste - dégénèrent finalement en une politique de redistribution contre-productive. Plus la prospérité générale s'est généralisée au fils des décennies, et plus le cercle des bénéficiaires des prestations so- ciales s'est élargi; on constate aussi que ces prestations sont attribuées de plus en plus souvent sans égard aux besoins individuels ni même aux revenus et à l'état de fortune des intéressés. Pareille politique favorise le parasitisme, la dépendance et l'indifférence, et tue le goût du travail». D'où la conclusion opposée à l'universalité et résumée com- me suit : « Conditions d'une politique sociale adaptée à son temps : Concentration des prestations sur les nécessiteux. Prise en compte des coûts économiques. Renforcement de la responsabilité individuelle ».25 L'universalité est donc rejetée au profit de la sélec- tivité. C'est-à-dire que, selon ce courant d'opinion, les prestations ne doivent être ser- vies qu'aux personnes les plus défavorisées. Elles sont liées à des conditions de ressour- ces (on tient compte des revenus et de la fortune).

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25

La Recommandation sur la convergence des objectifs et politiques de protection sociale (voir la note 1) associe d'ailleurs expressément l'universalité pour les soins et l'intégra- tion, tant sociale que professionnelle, à la résidence légale (I, A, 1, b etc).

Reinhard LOHRMANN : Les migrations internationales dans les années quatre-vingt- dix: tendances et perspectives. In: ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉ- CURITÉ SOCIALE : Migration et sécurité sociale : un défi à 1 'échelle mondiale. Etudes et recherches, N° 35.AISS. Genève 1994, pp. 9 sv. (p. 26).

Ayons le courage d'un nouveau départ. Un programme pour la relance de la politique économique de la Suisse. Publié par David de PURY, Heinz HAUSER, Beat SCHMID (e.a.). Orell Füssli, Zürich 1996, pp. 61 et 65.

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20. Mais la sélectivité pose elle-même des problèmes sérieux : à quel niveau fixer les limites de revenus (barèmes) ? quel contrôle prévoir et à quelle fréquence ? comment éviter le «piège de la pauvreté» (une personne qui fait des efforts peut s'élever au- dessus des barèmes et se trouver finalement dans une situation plus défavorable qu'au départ !) ? comment lutter contre les abus ? Une autre conférence de recherche de l'AISS, en 1994 à Wien/Vienne, a étudié cette problématique; James SCHULZ y a montré la nécessité d'une approche prudente de la sélectivité. Il a conclu à une combi- naison des principes : « ( ... ) il ne convient pas de faire un choix exclusif entre univer- salité et sélectivité. La plupart des régimes universels contiennent certaines dispositions sélectives, telles que des «tests de retraite» et des prestations minima en matière d'as- surance sociale. Et tous les pays qui possèdent des régimes universels ont également des régimes sélectifs (souvent complémentaires) dans certains domaines ».26 Bea CANTIL- LON a une approche comparable : « Compte tenu de ses grands mérites, la protection sociale universelle fondée sur le principe d'assurance doit être maintenue. La persis- tance de la pauvreté (même dans les systèmes sociaux coûteux) suggère toutefois qu'une plus grande sélectivité est nécessaire au sein de l'universalité qui ne peut pas être abandonnée comme principe de base de l'Etat-Providence. Il est donc indispensable d'étudier dans quels domaines et sous quelles conditions il est possible d'augmenter la sélectivité dans le cadre de l'universalité ».27,28

2.3 L'universalité gardera sa pertinence, son rôle de principe fondamental 21. A court et moyen termes, l'universalité continuera d'éprouver de grands pro- blèmes de capacité et elle sera périodiquement contestée dans sa légitimité. En effet, l'extension de la sécurité sociale notamment aux populations des pays en développe- ment représente un formidable défi qui n'est pas prêt d'être résolu. Des signes d'amé- liorations sont cependant déjà présents: tout d'abord, nous avons une capacité de met- tre fin à la misère dans le monde, qui a été estimée, chiffrée même, par le Rapport mondial sur le développement humain de 1998 : «Les ressources mondiales sont plus que suffisantes pour accélérer les progrès dans le développement humain pour tous et éradiquer de la planète les formes les plus extrêmes de la pauvreté. Progresser dans le développement humain n'est pas hors de portée. On estime ainsi que l'investissement annuel total nécessaire pour garantir un accès universel aux services sociaux de base serait de l'ordre de 40 milliards de dollars, soit 0,1 %du revenu mondial: à peine plus qu'une erreur d'arrondi. Ce montant suffirait à financer l'éducation de base, la santé, la

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James SCHULZ: Le débat continue: sélectivité, oui, mais jusqu'où? In: ASSOCIA- TION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : La sécurité sociale de- main: permanence et changements. Etudes et recherches, N° 36. AISS. Genève 1995, pp. 45 sv. (p. 48).

Bea CANTILLON : Les transformations des modèles du travail et de la famille et leurs implications sur la sécurité sociale. In: Repenser la sécurité sociale, cité à la note 10, pp. 115 SV. (p. 136).

Pour un approfondissement du principe de l'universalité, tel que cultivé par l'Organi- sation internationale du Travail, voir les intéressantes observations de Jean-Michel BONVIN: L'Organisation internationale du Travail, cité à la note 10, pp. 245-256.

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nutrition, les soins génésiques, le planning familial et l'accès à l'eau potable et à l'assai- nissement pour tous ».29 Imaginons les experts trop optimistes et que «l'investissement annuel total » ne soit pas de 40 milliards, mais de 80, 1 00 ou plus : cela ne change pas cette reconnaissance de capacité ; le rapport met en effet en regard de la somme de 40 milliards certaines dépenses annuelles- les trois dernières peuvent simplement être ci- tées ici (en admettant toujours un risque d'erreur, qui ne change rien à la problémati- que) : «Achats de boissons alcoolisées en Europe; 105 (milliards de dollars). Consom- mation de stupéfiants dans le monde: 400. Dépenses militaires dans le monde: 780 ».30 Deuxièmement, il est devenu un lieu commun de dire que nous sommes arrivés dans une société d'information et de communication, dans un «village mondial ». Or, les habitants de ce village connaissent et connaîtront mieux les capacités réelles d'amélio- rations. Enfin, l'intérêt des pays en développement pour la sécurité sociale grandit : il y a une volonté accrue de comprendre, d'échanger, de recevoir des expertises. Pour 1' auteur de ces lignes, c'est 1' élément le plus important qui relie les trois dernières As- semblées générales de l'Association internationale de la sécurité sociale, tenues respec- tivement à Denpasar (Indonésie) en 1995, Marrakech (Maroc) en 1998 et Stockholm (Suède) en 2001. Sans être négligeables, les problèmes de capacité à réaliser l'univer- salité dans les pays à développement économique élevé ou moyen sont évidemment moins difficiles à résoudre.

22. Quant à la contestation de la légitimité d'une protection universelle - à ga- rantir à chaque être humain, en cette qualité- l'on devrait pouvoir compter sur une évolution politique plus soucieuse à l'avenir d'équilibre entre l'économie, le social et l'environnemene1. C'est dans notre intérêt! Je rejoins pleinement Vladimir RYS dans ses conclusions sur l'avenir de la sécurité sociale qui, me semble-t-il, s'appliquent très bien au débat sur l'universalité: «En effet, l'Europe tout entière est à la recherche d'un nouveau consensus à la fois économique, social et politique en matière de protection so- ciale. L'assaut initial de la doctrine néolibérale contre l'Etat social européen commence à s'estomper, l'expérience ayant démontré les lacunes des analyses de la science écono- mique dans la perception de la réalité sociale; les effets d'une réaction salutaire se font sentir dans la défense des valeurs communes plus facilement définissables dans le rejet des valeurs de substitution que dans leur propre contenu. La suite du combat dépendra de la capacité d'une reprise économique qui se pointe à l'horizon de réduire la maladie cancéreuse de la société qui se nomme le chômage de masse.

Au cours de ce siècle nous avons vécu l'échec du communisme mondial et de ses doctrines. Sans jamais pouvoir atteindre l'étape désignée par la devise «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins», son évolution s'était arrêtée déjà au niveau de l'étape «à chacun selon son travail». La sécurité sociale communiste a bien

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Rapport mondial sur le développement humain 1998. Publié pour le Programme des Na- tions Unies pour le développement (PNUD) par Economica. Paris 1998, p. 41.

Idem, tableau 1.12, p. 41.

La réflexion est en cours. Voir p. ex. : Gabrielle ANTILLE/Beat BÜRGENMEIER/

Yves FLÜCKIGER: L'économie suisse au futur. Une réforme en trois piliers. Réalités sociales. Lausanne 1997. Un ouvrage remarquable, succinct, rédigé de manière compré- hensible par trois économistes pour des lecteurs d'autres disciplines.

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appliqué cette norme par ses catégories de travail privilégiées ; cependant, le travail rendu obligatoire, le régime se devait d'offrir un haut degré de protection à tous. Après sa chute, on a essayé de remplacer ses contradictions et ses utopies par une autre croyance affirmant que chaque citoyen est en mesure d'assurer individuellement sa sé- curité d'existence. Pour le malchanceux, coupable de ne pas savoir échapper à l'acci- dent physiologique ou social, on nous propose de revenir en arrière et de lui offrir, au lieu d'un droit à la sécurité sociale, une main secourable de l'assistance. Les protago- nistes de l'idéologie néolibérale ont sans doute oublié de noter que l'homme n'est pas seulement un facteur de production sensé de subir les restructurations, délocalisations et autres mégafusions ; préoccupés par les calculs de rentabilité, ils ont également failli remarquer, que son bien-être constitue toujours la finalité de toute activité économique, même globalisée. L'idéologie néolibérale semble fermer les yeux devant les leçons de l'histoire de ce siècle et repose les mêmes problèmes auxquels le communisme avait déjà essayé d'apporter des solutions sans y parvenir.

Il faudra donc patienter encore un peu pour que cette leçon devienne plus expli- cite. En effet, il y a fort à parier qu'au seuil du troisième millénaire le citoyen de l'Europe occidentale, tout comme son voisin à l'Est, ne reviendra plus en arrière et qu'il défendra les droits sociaux acquis par tous les moyens à sa disposition. Il faudrait ren- verser le cours de l'histoire pour qu'il en soit autrement ».32

23. Au delà des questions de capacité et de légitimitë3, le principe d'universalité présente des caractéristiques et des qualités qui devraient lui permettre de répon- dre aux besoins de protection et à leur évolution :

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la médecine et les sciences qui la soutiennent (biologie, chimie, informatique) deviennent plus performantes et sont coûteuses. L'accès aux soins est indépen- dant de l'exercice d'une activité rémunérée, sa nécessité est tout simplement liée à la condition humaine. La protection doit ainsi être universelle ;

le monde du travail est marqué par l'instabilité et la précarité ; beaucoup de personnes n'ont accès qu'à des travaux dits atypiques : des activités qui écartent du travail «normal, typique» c'est-à-dire salarié, à plein temps, à durée indéter- minée (ce qui veut dire, dans les faits, à longue durée). Les situations qui font problème sont celles où ces activités ne sont pas choisies, mais subies34 Les per- sonnes concernées auront besoin de protections déconnectées du travail rémuné- ré pendant les périodes où elles seraient sans emploi (soins, revenu minimum,

Vladimir RYS: La sécurité sociale dans une société en transition: l'expérience tchèque.

Quels enseignements pour l'Europe? Réalités sociales. Lausanne 1999, pp. 211-212.

Egalement un ouvrage indispensable.

Guy PERRIN: L'avenir de la protection sociale dans les pays industriels. Crises, défis et mutation des valeurs. Futuribles [Paris], N° 92-93, 1985, pp. 28 sv.

Un exemple, actuel, est celui du travailleur âgé ou relativement âgé, qui est licencié par son employeur, qui n'arrive pas à retrouver un travail salarié «typique» et qui devra péniblement «bricoler une fm de carrière »,jusqu'à sa retraite.

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aide à la réinsertion), sans être protégées en prolongement de leur dernière acti- vité (p. ex. absence ou fin des prestations de chômage)35/ 6

;

beaucoup de familles sont fragilisées, ou en tout cas de plus en plus diversi- fiées : accroissement des familles monoparentales suite à des divorces ou sépa- rations, concubinats (avec ou sans enfants), familles recomposées37. Des protec- tions sociales axées sur le chargé de famille exerçant une activité rémunérée, avec octroi de droits dérivés aux membres de sa famille, deviennent de moins en moins adéquates et tendent à être remplacées par des protections de type univer- sel, soit une voie ouverte par le modèle scandinave de sécurité sociale38 ;

les protections universelles n'ont pas besoin de représenter la totalité d'un sys- tème de sécurité sociale. Elles peuvent être combinées, d'une part, avec des protections sous conditions de ressources pour les plus défavorisés: ceux-ci recevront une protection standard, plus un supplément de ressources39Et, d'au- tre part, avec des régimes complémentaires qui améliorent le premier socle de protection, sur une base professionnelle. C'est une situation que l'on trouve par exemple dans plusieurs Etats européens en matière de retraite, depuis plus ou moins de temps, (France, Pays-Bas, Suisse, Suède) ou qui est nouvelle (Italie).

Elle est suggérée par le Bureau international du Travail dans sa stratégie de structures flexibles, comprenant un niveau de base - « un dispositif de protec- tion universel financé par l'impôt et géré par l'Etat, qui vise à assurer à chacun les services répondant à ses besoins fondamentaux et à garantir à ceux dont les

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL: Rapport sur l'emploi dans le monde 1998-1999. Employabilité et mondialisation. Le rôle crucial de la formation. BIT. Genè- ve 1998.- EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY: Changing Work Pat- tems and Social Security. EISS Yearbook 1999. Kluwer Law International. London/Den Haag/Boston 2000. - Ulrich W AL WEI/Heinz WERNER : Employment Problems and Active Labour Market Policies in Industrialized Countries. In : Social Security at the Dawn of the 21st Century. D. Hoskins/D. Dobbemack/C.Kuptsch editors. Transaction Publishers. New Brunswick/London 2001, pp. 133 sv.

Voir également : - Chantal EUZÉBY : Quelle sécurité sociale pour le XXIe siècle ? Re- vue internationale de sécurité sociale, 2/1998, pp. 3 sv. (pp. 14-17). - Mariene SCHMIDT : Relations de travail atypiques et relations salariales pour la réinsertion dans la vie professionnelle. Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [Bordeaux], 1998, pp. 40 sv.

Familles et sécurité sociale : numéro double spécial. Revue internationale de sécurité sociale, 3-4/1994. L'éditorial met en évidence «l'éclatement du modèle familial tradi- tionnel » et relève qu'il «n'y a donc plus de référence unique en la matière, mais une succession de situations instables ». (pp. 4 et 5).

EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : The Nordic model of social secu- rity in a European perspective. EISS Yearbook 1994. Acco. Leuven/Amersfoort 1995.

La Suisse, p. ex., bénéficie d'une bonne expérience de ce type dans le cadre de son régi- me universel de pensions A VS/AI: il comprend des pensions (appelées rentes) ordinai- res et des prestations sous conditions de ressources (appelées prestations complémentai- res A VS/AI) s'ajoutant aux premières. Voir p. ex. :Pierre GILLIAND: Politique socia- le en Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1988, pp. 119 sv. (pp. 125-126, 133, 135-143).

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ressources sont insuffisantes un revenu minimum de subsistance», un niveau dit de solidarité - obligatoire, financé par les employeurs et les assurés, éventuelle- ment par l'impôt- et un niveau complémentaire- individuel ou collectif'10;

les protections universelles intéressent, c'est leur concept même - toute la popu- lation. Elles vont donc bénéficier du soutien, de l'adhésion de ladite popula- tion. Au contraire, si une politique sociale est sélective elle n'aura qu'un soutien populaire restrictif, beaucoup de personnes n'ayant aucun intérêt direct à la pour- suite du système. Les pays scandinaves sont un bon exemple : ils pratiquent l'universalité- et des protections plus développées- et les populations soutien- nent leurs systèmes de sécurité sociale qui sont développés mais coûteux. A l'opposé, les Britanniques, qui vivent en plein système sélectif, n'ont plus l'air de croire beaucoup à la politique sociale41.

24. L'universalité, c'est-à-dire la reconnaissance à chaque personne d'un droit à la sécurité sociale, devrait donc rester un principe fondamental, mais à réaliser effective- ment dans le monde entier. Une très vaste entreprise.

3. L'ACCÈS AUX SOINS DE SANTÉ 3.1 Un principe fondamental

25. Un principe fondamental du droit de la sécurité sociale porte sur l'accès d'une population aux soins de santé, sans aucune discrimination. L'objectifvise l'octroi des soins nécessaires, selon les besoins de la personne et non pas en fonction de ses capaci- tés financières. Il faut dès lors concevoir un financement collectif; en effet, certains individus ne pourraient pas payer les soins dont ils auraient besoin, d'autres ne le pour- raient que partiellement.

26. Certains textes de droit international reconnaissent l'accès aux soins de san- té sur une base universelle, c'est-à-dire à toute personne :

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c'est le cas des textes de principes des Nations Unies : Déclaration universelle des droits de l'homme (art. 22 et 25), Pacte international relatif aux droits éco-

ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL. CONFÉRENCE INTERNA- TIONALE DU TRAVAIL (80e session-1993): Rapport du Directeur général (partie I):

Assurances sociales et protection sociale. Bureau international du Travail. Genève 1993, pp. 86 sv. (citation : p. 87).

Fritz SCHARPF : La mondialisation et 1 'Etat social. Contraintes, problèmes, vulnérabi- lité des systèmes. In: ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SO- CIALE : Conférence internationale de recherche en sécurité sociale « an 2000 », cité à la note 20, pp. 13 sv. (pp. 28 sv.).

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nomiques, sociaux et culturels (art. 9 et 12)42, Convention internationale relative aux droits de l'enfant (art. 24t3 ;

c'est le cas de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) (préambule)44. Pour essayer d'améliorer la situation des pays en développement, l'OMS s'est concentrée sur l'accès universel aux soins primaires; ceci repré- sente le fil rouge qui relie la déclaration d' Alma-Ata sur les soins de santé pri- maires (1978), les programmes «Santé pour tous d'ici l'an 2000 » et «Santé

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pour tous au s1ec e » ;

telle est également l'orientation de la Recommandation OIT N° 69 concernant les soins médicaux (§ 8)46 et de la Recommandation OIT No 134 concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie (§ 2) de l'Organisation internatio- nale du Travail ;

telle est enfin la direction indiquée par la Recommandation (86)5 sur la générali- sation des soins médicaux, du Conseil de l'Europe47.

27. Pour concrétiser l'accès aux soins de santé, le droit international admet aussi bien l'octroi direct, soit le service national de santé, que l'octroi indirect, soit l'assu- rance-maladie sociale48,49

. A ce titre, l'Europe est marquée par deux mouvements op-

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L'art. 12, § 2, du Pacte dispose que: «Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu' elle soit capable d'atteindre». Le § 2 traite des mesures à prendre (diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile ; amélioration de l'hygiène générale et profes- sionnelle ; prophylaxie et traitements ; « création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie»).

L'art. 24, § 1, de la Convention dispose que: Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services». Le § 2 traite des mesures à prendre (réduction de la mor- talité parmi les nourrissons et les enfants ; assistance médicale et soins de santé ; ali- mentation ; soins aux mères ; information ; prévention, conseil, planification familiale).

Après avoir donné une définition ambitieuse et large de la santé ( « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une ab- sence de maladie ou d'infirmité.»), le préambule de la Constitution de l'OIT reconnaît que« la possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale».

Anne RILLIET HOW ALD : Les soins de santé en sécurité sociale. Quelques textes émanant de l'OIT, du Conseil de l'Europe et de l'OMS, cité à la note 12, pp. 45 sv.

Voir la note 7.

Voir ci-dessus le N° 10.

Marc DURIEZ/Diane LEQUET -SLAMA : Les systèmes de santé en Europe. Presses Universitaires de France. Paris 1998.-Milton ROEMER: L'organisation des soins mé- dicaux dans le cadre de la sécurité sociale. Bureau international du Travail. Genève

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posés à l'époque récente: les pays du Sud de l'Europe- Espagne, Italie, Portugal- ont passé de régimes d'assurance-maladie au service national de santé, alors que les pays d'Europe centrale et orientale, p. ex. Hongrie, Pologne, République tchèque, ont em- prunté le chemin inverse. Ces deux migrations inverses ont eu pour but d'améliorer la protection des populations concernées, ce qui montre qu'aucune solution n'est en soi idéale.

28. Le droit international adopté dans le cadre de l'Organisation internationale du Travail demande le respect du principe de l'égalité quant à l'accès aux soins (Recom- mandation OIT No 69, § 20). Il garantit, expressément ou indirectement, les principes classiques de la médecine : libre choix du médecin, autonomie large de décision pour le médecin, sauvegarde des intérêts des patients et des médecins (Recommandation OIT N° 69, §§ 46 sv.).

3.2 Des problèmes

29. Dans le domaine des soins de santé, les deux problèmes majeurs actuels sont certainement celui de la maîtrise des dépenses et de la répartition équitable du finance- ment, d'une part, et celui des exclus de la protection, d'autre part. Si ces derniers se si- tuent avant tout dans les pays en développement, les pays industrialisés ont aussi des problèmes de couverture.

30. Il faut porter un regard attentif sur l'évolution dans le domaine des soins, car certaines dérives peuvent menacer l'accès aux soins:

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une tendance à réduire la protection légale, au profit de protections complémen- taires- d'assurances privées- que seuls certains peuvent s'offrir;

une insistance sur les dépenses de santé occasionnées par les personnes âgées (nous les rejoindrons très probablement un jour!), avec l'idée lancée de cotisa- tions qui pourraient varier avec l'âge (la fin de la protection sociale !)50 (proposé, mais non retenu, en Suisse) ;

1969, pp. 33-34.- Michel VOIRIN: L'organisation administrative de la sécurité socia- le. Un enjeu social et politique. Bureau international du Travail. Genève 1991, p. 140.

Pour l'inclusion, dans l'analyse, de l'assurance-maladie privée, voir David DROR:

Réformer l'assurance maladie: une question de principes? Revue internationale de sé- curité sociale, 2/2000, pp. 85 sv. (p. 100: la Suisse est mal classée: les« régimes pri- vés » concernent les protections complémentaires ; la protection obligatoire est sociale, fondée sur du droit public, même si les caisses sont des entités de droit privé et sont « en concurrence»).

Le modèle bismarckien d'assurance sociale, né à la fin du XIXe siècle, a parmi ses ca- ractéristiques, le découplage cotisations - importance du risque : les cotisations ne sont pas fixées en fonction du risque, mais elles sont proportionnelles au salaire. Voir p. ex.

Jean-Jacques DUPEYROUX : Droit de la sécurité sociale. 13e édition par Rolande Ruellan. Dalloz. Paris 1998, p. 38.

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le risque - pour le moment théorique - de prendre en considération les décou- vertes de la génétique médicale dans les régimes des soins de santé51 : si l'on te- nait compte des prédispositions à des maladies pour 1' accès aux régimes, les prestations ou les cotisations, ce serait à nouveau la fin de la protection sociale : les plus exposés aux risques ne seraient pas protégés.

3.3 Des développements

31. Le droit international connaît des développements importants dans le domaine des soins de santé. Par exemple :

la Charte de Ljubljana (1996), adoptée par les Ministres de la santé des Etats eu- ropéens membres de l'Organisation mondiale de la santé dispose que: «La ré- forme des systèmes de santé doit être guidée par les valeurs fondamentales que sont la dignité humaine, l'équité, la solidarité et l'éthique professionnelle». (§

5.1). C'est s'opposer aux dérives potentielles évoquées ci-dessus. La Charte de Ljubljana demande aussi la prise en compte, de manière importante, des choix des citoyens relatifs à la conception et au fonctionnement des services de santé;

le Conseil de 1 'Europe a adopté plusieurs recommandations. Certaines ont une portée générale, visant 1' accès de toute personne aux soins, sans obstacles finan- ciers (Recommandation (86)5). D'autres visent des problèmes concrets, comme par exemple la question des listes d'attentes (à gérer indépendamment du finan- cement, d'après les besoins) (Recommandation (99)21).

4. LA GARANTIE DU NIVEAU DE VIE 4.1 Un principe fondamental

32. Le droit international de la sécurité sociale contient aussi un principe consistant à garantir un revenu social de remplacement. Avec le développement des normes, il s'approche de la garantie du niveau de vie des personnes protégées.

33. Ce principe n'est pas« abstrait», mais il se rapporte à des situations définies par les législations : ce sont les éventualités de la sécurité sociale, terme plus large que celui de risques. L'idée est la suivante. A la base, une série d'éventualités :maladie, materni- té, accident du travail et maladie professionnelle, vieillesse (ou retraite), décès du sou- tien de famille, invalidité, chômage, charges üimiliales. La liste tend à être complétée par la dépendance des personnes âgées, l'insolvabilité de l'employeur. La législation so- ciale a pour but d'éviter de laisser les individus et les familles seuls face à ces situations.

Dans des limites définies, un revenu de remplacement est octroyé. C'est une part de la

51 Pierre ROSANV ALLON: La nouvelle question sociale. Repenser l'Etat-providence.

Seuil. Paris 1995, pp. 33 sv.

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sécurité sociale qui èst souvent appliquée au moyen d'assurances sociales. Il y a ainsi paiement de cotisations ; parfois 1 'Etat contribue au financement.

34. Le droit international adopté par l'Organisation internationale du Travail et par le Conseil de 1 'Europe guide les Etats. Compte tenu de leur portée universelle, les ins- truments de l'OIT demandent une protection généralement moyenne: les prestations doivent représenter de 40 % à 50 % du revenu protégé. Certains textes vont plus loin et prévoient des taux de remplacement de 60% à 66 2/3 %(Conventions OIT No 121, No 183). Dans le cadre du Conseil de l'Europe, le Code européen de sécurité sociale révisé retient de façon générale le taux de 65 %. Deux précisions s'jmposent cependant: il ne s'agit pas de taux valables pour la prestation attribuée à une personne, mais les taux se réfèrent à un «bénéficiaire-type» (standard) : p. ex. une personne ayant un conjoint, parfois des enfants; d'autre part, l'ensemble des revenus du travail ne doit pas nécessai- , rement être pris en considération : un législateur peut se limiter à garantir les taux de remplacement prévus par le droit international à des salaires relativement bas ou moyens52. En d'autres termes, il est autorisé à fixer des plafonds. La classe moyenne d'un pays peut alors se trouver à un niveau de revenu supérieur à ces plafonds: pour elle, la protection ne sera pas satisfaisante. Selon les pays, la solution est apportée par des régimes complémentaires de nature professionnelle ; éventuellement par des protec- tions individuelles.

35. Le droit communautaire traite de la question dans la Recommandation sur la convergence des objectifs et des politiques de protection sociale53 Ce texte sous chiffre I, A, 1, d contient une recommandation adressée aux Etats membres qui résume bien l'objectif. Il s'agit : «d'accorder aux travailleurs salariés, lorsqu'ils cessent leur activité en fin de carrière ou s'ils sont contraints de l'interrompre pour cause de maladie, d'acci- dent, de maternité, d'invalidité ou de chômage, un revenu de remplacement, fixé au moyen de prestations forfaitaires, ou calculé en relation avec leur revenu d'activité anté- rieur, préservant leur niveau de vie d'une manière raisonnable, en fonction de leur parti- cipation à des régimes de sécurité sociale appropriés ; ( ... ) ».

36. L'objectif, au moins partiellement réalisé, de la garantie du niveau de vie, va certainement demeurer pleinement valable à 1 'avenir, car il correspond aux aspirations des populations protégées 54.

52

53 54

Par exemple, la Convention OIT N° 102 demande le respect des pourcentages (presta- tions exprimées par rapport aux revenus) au moins jusqu'au« salaire d'un ouvrier mas- culin qualifié» (dans le cadre de l'art. 65, applicable aux prestations de type assurance sociale) ou jusqu'au «salaire du manœuvre ordinaire adulte masculin» (dans le cadre de l'art. 66, applicable à des prestations à taux uniforme ou forfaitaires).

Citée à la note 1.

Imaginons une personne qui s'apprête à partir en retraite. La question concrète qu'elle se pose est simple : quel pourcentage de mon revenu sera couvert par la ou les pensions de retraite ? Puis-je continuer un même style de vie ou celui-ci va-t-il changer radicale- ment (à la baisse) ?

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