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32. Le droit international de la sécurité sociale contient aussi un principe consistant à garantir un revenu social de remplacement. Avec le développement des normes, il s'approche de la garantie du niveau de vie des personnes protégées.

33. Ce principe n'est pas« abstrait», mais il se rapporte à des situations définies par les législations : ce sont les éventualités de la sécurité sociale, terme plus large que celui de risques. L'idée est la suivante. A la base, une série d'éventualités :maladie, materni-té, accident du travail et maladie professionnelle, vieillesse (ou retraite), décès du sou-tien de famille, invalidité, chômage, charges üimiliales. La liste tend à être complétée par la dépendance des personnes âgées, l'insolvabilité de l'employeur. La législation so-ciale a pour but d'éviter de laisser les individus et les familles seuls face à ces situations.

Dans des limites définies, un revenu de remplacement est octroyé. C'est une part de la

51 Pierre ROSANV ALLON: La nouvelle question sociale. Repenser l'Etat-providence.

Seuil. Paris 1995, pp. 33 sv.

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sécurité sociale qui èst souvent appliquée au moyen d'assurances sociales. Il y a ainsi paiement de cotisations ; parfois 1 'Etat contribue au financement.

34. Le droit international adopté par l'Organisation internationale du Travail et par le Conseil de 1 'Europe guide les Etats. Compte tenu de leur portée universelle, les ins-truments de l'OIT demandent une protection généralement moyenne: les prestations doivent représenter de 40 % à 50 % du revenu protégé. Certains textes vont plus loin et prévoient des taux de remplacement de 60% à 66 2/3 %(Conventions OIT No 121, No 183). Dans le cadre du Conseil de l'Europe, le Code européen de sécurité sociale révisé retient de façon générale le taux de 65 %. Deux précisions s'jmposent cependant: il ne s'agit pas de taux valables pour la prestation attribuée à une personne, mais les taux se réfèrent à un «bénéficiaire-type» (standard) : p. ex. une personne ayant un conjoint, parfois des enfants; d'autre part, l'ensemble des revenus du travail ne doit pas nécessai- , rement être pris en considération : un législateur peut se limiter à garantir les taux de remplacement prévus par le droit international à des salaires relativement bas ou moyens52. En d'autres termes, il est autorisé à fixer des plafonds. La classe moyenne d'un pays peut alors se trouver à un niveau de revenu supérieur à ces plafonds: pour elle, la protection ne sera pas satisfaisante. Selon les pays, la solution est apportée par des régimes complémentaires de nature professionnelle ; éventuellement par des protec-tions individuelles.

35. Le droit communautaire traite de la question dans la Recommandation sur la convergence des objectifs et des politiques de protection sociale53 Ce texte sous chiffre I, A, 1, d contient une recommandation adressée aux Etats membres qui résume bien l'objectif. Il s'agit : «d'accorder aux travailleurs salariés, lorsqu'ils cessent leur activité en fin de carrière ou s'ils sont contraints de l'interrompre pour cause de maladie, d'acci-dent, de maternité, d'invalidité ou de chômage, un revenu de remplacement, fixé au moyen de prestations forfaitaires, ou calculé en relation avec leur revenu d'activité anté-rieur, préservant leur niveau de vie d'une manière raisonnable, en fonction de leur parti-cipation à des régimes de sécurité sociale appropriés ; ( ... ) ».

36. L'objectif, au moins partiellement réalisé, de la garantie du niveau de vie, va certainement demeurer pleinement valable à 1 'avenir, car il correspond aux aspirations des populations protégées 54.

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Par exemple, la Convention OIT N° 102 demande le respect des pourcentages (presta-tions exprimées par rapport aux revenus) au moins jusqu'au« salaire d'un ouvrier mas-culin qualifié» (dans le cadre de l'art. 65, applicable aux prestations de type assurance sociale) ou jusqu'au «salaire du manœuvre ordinaire adulte masculin» (dans le cadre de l'art. 66, applicable à des prestations à taux uniforme ou forfaitaires).

Citée à la note 1.

Imaginons une personne qui s'apprête à partir en retraite. La question concrète qu'elle se pose est simple : quel pourcentage de mon revenu sera couvert par la ou les pensions de retraite ? Puis-je continuer un même style de vie ou celui-ci va-t-il changer radicale-ment (à la baisse) ?

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4.2 Des problèmes

37. Dans le contexte politique55 et économique actuel, l'objectif du maintien du ni-veau de vie par les systèmes de sécurité sociale se heurte cependant à des difficultés :

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Au plan mondial, il a été tout d'abord nettement contesté par la Banque mondia-le56, qui voulait laisser cette tâche au secteur privé (d'où de grandes inégalités, le marché étant sélectif) ; cette institution a cependant nuancé son approche et s'est rendue compte de la nécessité d'un dialogue, notamment avec le BIT et l' AISS, pour éviter de donner des indications contradictoires aux Etats procédant à des réformes57 ;

L'objectif est ambitieux et il peut être difficile, voire dans certains pays impossi-ble, de le réaliser pour des raisons financières ;

En Europe, les travailleurs indépendants (non-salariés) sont souvent moins bien protégés que les travailleurs salariés 58. Ainsi, la Recommandation de la Commu-nauté européenne sur la convergence59 invite les Etats à « examiner la possibilité d'instaurer et/ou de développer une protection sociale appropriée pour les tra-vailleurs non salariés» (I, A, 1, e). Pour eux, l'objectif est donc plus éloigné;

Les réformes récentes dans le domaine des pensions - qui occupent une place très importante dans les revenus sociaux de remplacement - tendent à diminuer la protection, au moins pour certaines personnes : les régimes dépendront plus étroitement des cotisations versées. Les réformes en Italié0 et en Suède61

, qui sont considérées comme majeures, sont justement marquées par un caractère plus contributif. Or, les carrières professionnelles deviennent plus irrégulières, les emplois précaires ou « atypiques » sont plus nombreux : une protection qui Voir ci-dessus les N° 19, 20, 22.

Rapport de la Banque mondiale sur les politiques de développement : La crise du vieil-lissement. Mesures destinées à protéger les personnes âgées et à promouvoir la crois-sance. Résumé. Banque mondiale. Washington 1994, pp. 21-24.

Robert HOLZMANN: L'approche de la Banque mondiale quant à la réforme des pen-sions. Revue internationale de sécurité sociale, 1/2000, pp. 13 sv.

Paul SCHOUKENS : Comparision of the Social Security Law for Self-Employed Per-sans in the Member-States of the European Union. In : EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY: Changing Work Patterns and Social Security, cité à la note 35, pp. 63 sv.

Citée à la note 1.

Massimo ANTICHI!Felice Roberto PIZZUTI: Le système public de retraite en Italie:

observations sur les réformes récentes et les modalités de contrôle de leur application.

In : Réforme des retraites et concertation sociale. Sous la direction de E. Reynaud. Bu-reau international du Travail. Genève 1999, pp. 83 sv. -Emmanuel REYNAUD/Ade!

heid HEGE : Italie : une transformation fondamentale du système de retraite. Revue in-ternationale de sécurité sociale, 311996, pp. 79 sv.

Eskil W ADENSJO : Suède : Les révisions des régimes publics de retraite. In : Réforme des retraites et concertation sociale, cité à la note 60, pp. 67 sv.

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dépend plus étroitement des cotisations va se répercuter défavorablement sur les revenus de remplacement. Les personnes visées connaissent une situation diffi-cile lorsqu'elles sont en période d'activité professionnelle et cela continuera lors de leur retraite.

38. Il faut ainsi éviter que la garantie du niveau de vie ne devienne, à l'avenir, qu'un privilège pour certaines catégories de la population62. La sécurité sociale serait alors atteinte dans sa légitimité, contestée et l'on perdrait l'héritage précieux de l'assurance sociale63.

5. LES AUTRES PRINCIPES FONDAMENTAUX

39. Pour terminer cette étude, on peut considérer rapidement les autres principes fondamentaux, qui mériteraient certainement davantage de développements64.

5.1 La garantie de ressources minimales

40. La garantie de ressources minimales trouve son origine dans l'assistance. Jointe à l'universalité, elle est caractéristique :

du modèle de Beveridge,

du modèle Scandinave, où elle est améliorée par d'autres protections.

41. La plupart des Etats membres de 1 'Union européenne ont institué ce type de pro-tection. Une recommandation de 1992 invite les Etats à reconnaître un droit subjectif dans ce domaine. Les Chartes sociales du Conseil de l'Europe vont dans le même sens.

42. Les débats actuels portent notamment sur le caractère de cette aide - est-elle stigmatisante pour ceux qui la reçoivent ? -, sur la possibilité de la combiner ou même de la lier avec une réinsertion, sociale ou professionnelle. La pauvreté qui s'est dévelop-pée en Europe rend cette forme de protection indispensable, mais il faudrait éviter qu'elle ne remplace les systèmes de sécurité sociale: elle joue, pour eux, le rôle d'un

« filet de sécurité ».

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S'agissant des pays industrialisés. Au plan mondial, il s'agit malheureusement d'un privilège dont ne bénéficie qu'une minorité de la population (voir ci-dessus les N°

15-17).

H.-D. STEINMEYER: Universal or occupation-based social security schemes. In: EU-ROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY/INSTITUT EUROPÉEN DE SÉCU-RITÉ SOCIALE : The Nordic madel of social security in a European perspective. Acco.

Leuven/Amersfoort 1995, pp. 99 sv. (p. 104).

Pierre-Yves GREBER: Les principes directeurs de la sécurité sociale. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale [Genève], N° 20-1998, pp. 7 sv.

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5.2 L'insertion sociale et professionnelle

43. L'insertion sociale et professionnelle est un principe qui est devenu «à la mo-de». Il s'agit principalement de permettre l'accès d'une personne qui sort de maladie, d'une période de chômage, qui est invalide tout en conservant une certaine capacité de travail, à une activité rémunérée. Il y a un mixage de prestations et d'obligations. Le droit international consacre des instruments à la réadaptation des personnes handica-pées, depuis longtemps (la Recommandation OIT No 99 concernant l'adaptation et la ré-adaptation professionnelles des invalides date de 1955); à l'époque récente, il com-prend aussi des instruments relatifs à la réinsertion des chômeurs et demandeurs d'em-ploi. Ce principe garde une pleine valeur dans le contexte actuel : il permet aux intéres-sés de garder ou retrouver leur indépendance, il évite à un système social d'avoir trop de prestations à verser. Mais tout dépend de la manière- raisonnable ou dure- de l'appli-quer concrètement.

5.3 La solidarité

44. Le principe de la solidarité doit nécessairement intervenir dans un système de sécurité sociale. Cela ne veut pas dire forcément dans chaque régime de ce système, mais ou moins dans certains. La solidarité entre revenus est indispensable en raison de la très grande diversité des situations personnelles : certaines personnes sont dans l'impossibilité de payer la protection dont elles ont besoin; d'autres peuvent la financer partiellement; d'autres ont une bonne capacité contributive qui leur permet de payer davantage au système qu'elles ne pourront recevoir de prestations. C'est par exemple typique des soins de santé et des pensions de base. Dans d'autres protections, la solida-rité peut laisser la place au principe d'assurance (sociale).

45. Ce principe mérite d'être défendu. Il n'est pas conforme à l'environnement poli-tique et économique actuel, qui est fondé sur la concurrence et sur la performance.

Mais, en fait, nous avons besoin de solidarité, de concurrence et de performance, dans des espaces différents, sans tomber dans la confusion.

5.4 L'égalité de traitement

46. Les systèmes de sécurité sociale sont interpellés par le principe de l'égalité de traitement. Et ceci à plusieurs titres :

égalité entre femmes et hommes (dans quel sens la réaliser : par le progrès ou sur le dénominateur commun ( = le plus bas) ?) ;

égalité entre nationaux et étrangers (tous les étrangers peuvent-ils en bénéficier ou seulement certains ?) ;

égalité entre catégories professionnelles (que faire si certains groupes ne veulent pas rejoindre une protection globale?).

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5.5 L'affiliation obligatoire

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47. Le principe de l'affiliation obligatoire nous a été apporté par le modèle d'assu-rance sociale inventé par l'Allemagne à la fin du XIXe siècle. Actuellement, certains le contestent et aimeraient le remplacer par la liberté, le choix. Attention : ce principe n'a pas été retenu dans les systèmes sociaux par hasard ! Il permet en effet :

de garantir une protection effective, sans que celle-ci ne dépende d'une décision de chaque personne ;

d'exclure une sélection lors de l'entrée dans un régime: «bons et mauvais ris-ques » sont traités de la même manière ;

de répartir largement le coût d'une protection ;

d'instituer des solidarités, entre revenus comme entre générations.

48. Ce principe demeure pleinement valable. Il peut bien sûr être remplacé par l'affi-liation facultative, dans des protections complémentaires qui ne sont pas indispensables, mais plutôt de «confort». Le droit international est fondé sur le principe de l'affiliation obligatoire.

5.6 La responsabilité de l'Etat

49. Le dernier principe fondamental est celui d'une responsabilité de l'Etat. Il est aussi posé, de manière très générale, par le droit international. Ainsi, 1' art. 71 § 3 de la Convention OIT N° 102 concernant la norme minimum de la sécurité sociale demande à un Etat:

d'assumer une responsabilité générale en ce qui concerne les prestations;

de veiller à ce que les études et calculs actuariels nécessaires soient réalisés ; de veiller à la bonne administration du système.

Cela ne signifie pas que l'Etat doit lui-même s'occuper de toutes les tâches et fonctions d'un système. Ce principe demeure valable, les entreprises privées obéissant à d'autres logiques et principes; de plus, elles n'ont pas la pérennité de l'Etat.

6. CONCLUSION

50. Tout en ayant conscience du caractère parfois trop général et superficiel de cette étude, mon but était de montrer comment les principes fondamentaux structurent la sé-curité sociale. Et comment ils peuvent continuer à le faire dans un monde qui change : il y a en effet une constante : celle d'une solidarité organisée pour soutenir les êtres hu-mains face aux risques et dans certaines situations de 1' existence.

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