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5 Modéliser : une démarche de recherche

5.2 Les étapes de MASSE

5.2.3 Unités de temps, de lieu et d’entité : les mailles

Mailles, échelles et questions de recherche : je définis une maille comme étant l’entité élémentaire qui constitue

la granularité des différentes dimensions des modèles conceptuels, puis informatiques. Ceux-ci sont le plus souvent distribués, i.e. sont constitués d’entités se répétant avec des caractéristiques équivalentes (par exemple des pixels pour une maille spatiale, des pas de temps) mais se déclinant avec des valeurs variables (exemple : des pixels dont la variable altitude varie). Le choix de ces mailles est malaisé et complexe : lesquelles choisir lors de la définition d’un modèle conceptuel et plus encore informatique ? Trois critères essentiels semblent revenir dans les débats : la pertinence, i.e. choisir la maille (1) la plus grande possible pour avoir moins d’entités à gérer mais (2) à un niveau tel que les variations et/ou les impacts que l’on cherche à identifier, qui sont l’objet de la question de recherche, restent visibles et (3) si possible pour lesquelles on ait des données, même si, on l’a vu, cela ne doit pas être le critère fondamental. Ces mailles constituent des verrous à appréhender dans la conceptualisation des modèles, dans la formulation et la construction des indicateurs et dans le choix et la dissémination des scénarios. Ces mailles, entités atomiques, doivent s’accorder avec les échelles, i.e. les tailles

47 Réactifs au sens d’Amblard, Rouchier et Bommel (2006) à savoir des processus réagissant à des stimuli extérieurs et des

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dans lesquelles sont construits les modèles : la taille du territoire, la durée que simule le modèle, etc. L’aspect pratique de ces choix, transcription effective de l’obligation de formalisation décrite plus haut, est un exercice nécessaire et contraignant donc créatif mais aussi source de clivages dans la conception d’un modèle de pensée puis informatique:

 Mailles spatiales : Les couches biophysiques sont souvent disponibles à l’échelle du km² au mieux en particulier pour les plus anciennes issues de LANDSAT. Cependant, la taille non pas moyenne mais maximale d’un champ, en particulier maintenu et géré sans outil motorisé, est bien en dessous et souvent inférieure à l’hectare. De plus les effets de pente, d’érosion et d’altération des sols se font à minima à l’échelle de l’hectare et très grossièrement au km². Par conséquent, il me semble nécessaire de réaliser les jointures des différentes couches utiles à une maille la plus fine possible et la plus proche de la parcelle moyenne locale, ce qui est facilement identifiable par les images disponibles. On ne peut considérer un modèle avec des mailles supérieures au km² comme acceptable et il serait préférable de privilégier au moins l’hectare car c’est l’échelle d’action maximale d’un paysan en termes de parcelle gérable au niveau de la main d’œuvre et de la fertilité des sols ;

 Mailles temporelles : le pas de temps du modèle doit rendre compte des différences discriminantes dans le déroulé du temps, comme les différences climatiques entre saisons. Nombre de modèles veulent rendre compte de tendances sur le long terme et envisagent ainsi un pas de temps annuel mais comme dit précédemment, les agriculteurs en société rurale non motorisée subissent des accidents. Les vies ne sont pas parfaitement planifiables et éliminer l’aléatoire, les chocs sociaux ou agricoles, les coïncidences malheureuses (mauvais hiver puis mauvais été) est une manière de passer outre cette discrimination : si ces coïncidences ont une occurrence rare mais bien réelle, alors elles apparaitront systématiquement sur le temps long et doivent être intégrées dans l’appréhension du réel lors d’une modélisation comme éléments de risques à l’échelle d’une famille, de changements de trajectoire à l’échelle d’une population. C’est pourquoi souscrire à un pas de temps annuel est risqué car il surévalue les déterminismes environnementaux à long terme en supprimant les accidents à court terme faisant de la saison le pas de temps minimum, comme cela est considéré pour PALEOMEX ou pour OBRESOC. Inversement, un pas de temps au mois (modèle PASHAMAMA en Equateur) ou une semaine (SIMSAHEL au Niger) peut être utile pour rendre compte de certaines contraintes apparaissant sur le terrain comme essentielles : ainsi le pas de temps d’une semaine était utile sur le Sahel nigérien pour rendre compte de la principale contrainte créant des différences entre les familles, la main d’œuvre disponible : l’étape agricole la plus courte sur un champ de 1ha est le semis, qui prend une semaine. En Equateur, le cycle le plus court est le maraîchage, qui prend un mois, et les contrats pétroliers sont de 1 à 3 mois selon les statuts.

 Mailles sociales : l’individu ou la famille et la population d’un territoire. Plusieurs possibilités peuvent être envisagées pour simuler des entités humaines, qui sont toutes liées à la question étudiée et, par conséquent, l'échelle et le fonctionnement envisagé :

o Les individus : Cette composante permet de simuler les tensions et les changements intrafamiliaux et donc toutes les variations de transmission d'héritage, de discrimination de sexe ou d'âge et d'organisation familiale telles que décrites ci-dessus, d'où la possibilité de considérer des "cultures" dont l'adaptation est plus ou moins rapide. Cependant, cela nécessite la formalisation de rationalités intrafamiliales sur lesquelles peu d'informations sont disponibles. Par ailleurs, cela impose un nombre énorme d'entités, chacune correspondant à un seul individu, ce qui est difficile à gérer au-delà du niveau d'un seul village. Ce fut le choix dans SIMSHAEL pour le Sahel nigérien du fait du poids de ces dynamiques intrafamiliales dans ces trajectoires socio-environnementales ;

o Les familles : Cette entité intermédiaire ne permet pas d'expliquer les adaptations différentielles à l'environnement par l'organisation familiale. Cependant, elle peut envisager des différenciations interfamiliales et par là une stratification lignagère et sociale. On peut considérer que cela permet une "économie" d'entités avec un rapport de 1:5 à 9 par rapport à l'entité "individuelle". En pratique, le choix de l’entité entre familles et individus dépend du degré d’autonomie des membres de la famille. Le cadre romain du pater familias est encore considéré comme le modèle par défaut dans le monde méditerranéen et européen. Par conséquent, la plupart des modélisations des sociétés rurales sont construites avec des familles comme entités élémentaires, ce qui suppose obligatoirement une mise en commun de la main d’œuvre, des gains et des stratégies et choix de gestion. En pratique, cela revient à considérer un chef de famille. En droit et en pratique, ce modèle ne peut fonctionner pour les sociétés sahéliennes que j’ai

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étudiées, au Niger : les choix des activités et leurs gains ne sont pas restreints et contrôlés par le seul père qui ne peut rien imposer complètement ; il y a négociation entre membres de la famille, correspondant ainsi plus au modèle non-coopératif obligatoire décrit par Mathieu (2002), Donni (2004) et Chiappori & Donni (2006). C’est le choix du modèle PASHAMAMA pour l’Amazonie Equatorienne car c’est la trajectoire du territoire et de la population globale que l’on observe, le terrain ne montrant pas de bouleversements de structure familiale. C’est aussi le choix de la proposition de modèle local OBRESOC, puisque j’avais fait l’hypothèse qu’à partir du départ de la culture LBK, il n’y avait pas de changements structurels du fonctionnement de la famille LBK.

o Les villages : On peut considérer cette entité fixe comme créant d'autres villages. Il est possible de créer les attributs "nombre de familles" ou "nombre d'individus" mais pas les "enregistrements" de la dynamique familiale, ce qui signifie qu'il est impossible de discerner les familles et encore moins les individus et donc aucune différenciation entre ces entités dans leur utilisation des ressources du territoire : ce serait le village dans son ensemble qui évoluera. Cependant, cette échelle est pertinente à l'échelle mondiale ou pour des entités telles que les continents. On peut considérer que cela permet une "économie" des entités d'un rapport de 1:5 à 20 par rapport à l'entité "famille". C’est aussi le choix de la proposition de modèle OBRESOC global, qui serait déduit du modèle local.

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