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3 Résultats scientifiques : Les systèmes socio-écologiques ruraux modélisés

3.1 Introduction

3.1.1 Remettre anthropos sur la scène

L’anthropocène se définit communément comme l’ère où l’espèce humaine est la principale force de transformation de la surface de la planète. Si la force principale concernée était les ouragans, on étudierait les origines des ouragans, les facteurs affectant les puissances des différents ouragans, les impacts des ouragans. Etrangement, pour ce facteur étrange qu’est l’homme, on n’étudie ni les origines de cette force, ni les facteurs affectant la puissance de transformation des diverses communautés humaines sur leur territoire. On regarde les impacts, on appelle à plus d’interdisciplinarité et d’intégration de la composante humaine puis on s’arrête là : « Les accidents de la route, c’est grave. Par conséquent, n’étudions pas les conducteurs. ».

Au sens large, mes travaux de recherche ont pour fil directeur et pour objet principal de répondre à ce manque : évaluer la puissance et comprendre la manière dont les variables caractérisant les systèmes socio-écologiques, qui conditionnent l’action de l’homme sur un territoire rural, déterminent le devenir de ces mêmes systèmes. Autrement dit, des facteurs sociologiques et économiques sont déterminants voire priment pour comprendre le comportement de la principale force transformatrice des systèmes socio-écologiques, l’homme lui-même. Même s’ils ne sont connus actuellement que de manière qualitative, alors ils devraient être le principal objet d’étude de ces systèmes socio-écologiques car ils expliquent le passé de ces systèmes, leur présent et leur avenir. Il faut donc aller les lister, les inventorier sur place, les évaluer, en rendre leur poids dans le devenir du système même de manière approximée (mais pas approximative). Bref, mettre tout ce qui importe dans le devenir des socio- écosystèmes en lumière et en comparaison. Cependant, plusieurs questions somme toute bien pratiques se posent pour étudier cette force qu’est l’homme comme on étudierait une force naturelle :

Une société humaine ne répond pas entièrement aux principes d’actualisme (Grimoult, 2000) : les comportements des sociétés ont un spectre bien large, où se combinent d’une part variabilité du milieu, des modes de production reliant système écologique, capital technique et système social pour former un système agraire (Mazoyer & Roudart, 1997) et fonctionnements familiaux, sociaux et politiques d’autre part pour former une société. Cela veut dire en pratique qu’on ne peut analyser les Systèmes socio-écologiques ruraux (qu’on dénommera dorénavant SSER) sur une paillasse, chaque situation pouvant être considérée comme la combinaison située de paramètres aux valeurs uniques. On se retrouve entre deux extrêmes :

 Les systèmes écologiques, non compris l’homme, répondent aux lois de la nature, immuables et uniformes dans l’espace, au moins dans l’intervalle historique du Néolithique à nos jours : les espèces n’ont pas forcément évolué et les mêmes conditions du biotope définiront le fonctionnement de la biocénose et par là de la biosphère. On comprend alors qu’étudier les systèmes écologiques sans action de sociétés humaines a une portée plus « universelle » : les contraintes, conditionnalités et dynamiques environnementales peuvent être considérées et approximées pour d’autres territoires que celui étudié. Ainsi, pluies et température sont universelles et c’est leur valeurs et leurs cycles qui créent des différences locales ;

 De l’autre côté, les sociétés humaines non conditionnées directement par les mécanismes environnementaux, comme les sociétés urbaines ou les sociétés agro-industrielles ont une gamme bien plus large, en tout cas plus difficile à circonscrire dans une approche formelle de modélisation ;

 Reste finalement les Sociétés rurales vivrières ou semi-vivrières, dépendantes des activités liées aux ressources naturelles. Agriculture, élevage, chasse, pêche, cueillette sont conditionnées par les systèmes écologiques dont elles dépendant, des règles et normes sociologiques et anthropologiques qui les meuvent mais aussi aux conditionnalités agronomiques, techniques et économiques (au sens d’économie des ressources) de la production des systèmes agraires Par exemple, sarcler un 1 ha à la main prendra plus d’une journée dans un système agrotechnique non mécanisé, quasiment partout sur Terre.

On comprend alors qu’il est plus facile, et plus précisément moins hasardeux d’étudier des sociétés rurales que des sociétés urbaines, car les premières sont conditionnées par des règles biophysiques plus « assurées » et plus encore si leur pérennité, voire leur survie, sont conditionnées uniquement par le fonctionnement des systèmes de production et d’activité, sans recours possibles déterminants comme les échanges de nourriture et des

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productions de rente. Ainsi, en raison des diverses contraintes que les agriculteurs avaient et ont encore, qui se retrouvent d’un système agraire à l’autre avec des poids légèrement différents d’un lieu à l’autre, on peut assumer qu'ils peuvent être analysés et modélisés.

Or, les sociétés ne sont devenues majoritairement urbaines que depuis la seconde Révolution Industrielle, soit moins d’un siècle (Mazoyer & Roudart, 1997) et pour la majeure partie des pays du Sud, moins e 50 ans. Depuis le Néolithique et l’apparition de l’agriculture jusqu’à cette révolution industrielle, elles ont toujours constitué la très grande majorité de l’humanité. Les socio-écosystèmes concernés, comme décrit par Mazoyer & Roudart (1997) ou Demoule (2010), ont vite concerné la quasi-totalité des biomes terrestres, dès le IVème millénaire avant JC. C’est cette population rurale vivrière, de fronts pionniers, de quasi-fronts pionniers et des systèmes agraires installés qui a réellement conquis la planète. Ainsi, nous parlons bien ici de la principale force écologique de la Biosphère, agissant par le biais de contraintes et de limitations biophysiques sur les différents territoires, écosystèmes et biomes du globe, tant en termes de puissance historique de transformation de la planète, d’encore principale composante de la population humaine, et historiquement ayant été le plus long système social non paléolithique de l'histoire. Ainsi, non seulement ces systèmes socio-écologiques ruraux peuvent être modélisés, mais ils valent la peine de l’être, compte tenu de l'impact sur la biosphère et de leur importance dans l'histoire.

Ainsi, formaliser les systèmes socio-écologiques locaux, c’est reconstituer le principal socio-écosystème de l’Humanité dans la plus grande part de son histoire et de sa population depuis la naissance de l’Agriculture, avec les risques et les incertitudes de cette interaction mais aussi avec la sécurité alimentaire que procurait des milieux à faible densité de population !

Pour ce faire, formaliser ces dynamiques revient à se poser la question de la possibilité même de saisir l’étonnante diversité des fonctionnements sociaux et économiques des sociétés du passé et du présent et de voir s’il est possible de les appréhender, de les formaliser et donc, de les modéliser.

3.1.2 Problématique(s) scientifique(s)

Derrière l’apparente évidence de l’intérêt de l’approche du point de vue thématique, à savoir comprendre le fonctionnement et la variabilité des systèmes socio-écologiques passés et présente, se rajoute de facto un intérêt méthodologique et épistémologique : la formalisation d’une démarche permettant d’intégrer en pratique les aspects socio-anthropologiques, et en particulier les variables que l’on appréhende habituellement de manière qualitative sur le terrain dans la compréhension des SSERs : je pense qu’ils sont fondamentaux dans la compréhension de l’acteur humain. On ne peut donc éviter de devoir construire formaliser et mettre enfin à plat cette approche d’intégration au-delà du mantra de l’interdisciplinarité rarement mise en pratique :

1. Cela suppose de questionner la manière dont les méthodes d’investigation socio-anthropologique d’appréhension du réel, sur le terrain, peuvent être « traduits » dans des approches formelles, « quantifiantes", comme des modèles.

2. Cela signifie mettre à plat cette formalisation elle-même, des composantes de ces SSER et ainsi distinguer au sein de la démarche de compréhension ainsi posée les éléments qui la composent, entre indicateurs, informations, critères, variables et données d’une part et inventaire, formulation d’hypothèses, recueil, conceptualisation, évaluation, estimation, calibration, tests et scénarisation d’autre part.

3. Cela suppose enfin tester la valeur de cette démarche de formalisation afin d’en éprouver la généricité dans le temps et dans l’espace, pour des SSER variés tant dans les biomes que dans les sociétés qui les meuvent. Mon doctorat se situait dans un entre-deux. La modélisation des contraintes affectant les agropasteurs était devenue par obligation de rigueur scientifique une tentative de formalisation des liens socio-anthropologiques et des interactions qui rythment et conditionnent de manière différente familles et individus, tous différents face à l’accès aux aménités et ressources pour la simple raison que ce sont bien ces liens qui sont prédominants dans les rationalités, les pratiques et par là les transformations humaines du territoire et des ressources. Cette transformation n’avait aucune origine idéologique par exemple par populisme idéologique (Olivier de Sardan, 1990 ; 1996 ; 2003a, 2008).

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Des contraintes personnelles m’obligeant à choisir la recherche plus que la recherche-développement, les deux postdoctorats étaient deux explorations de terres inconnues assez dispersées2. Pour autant, la généricité de

l’approche élaborée en doctorat conférait un cadre méthodologique formel d’intégration de dimensions sociales peu envisagé dans les projets concernés. Cette approche, combinée à un certain pragmatisme revendiqué mais qu’il s’agissait d’élaborer pour une meilleure intégration formelle, a permis également une certaine opérationnalité dans la hiérarchisation des priorités entre actions de recherche.

Avec ces différentes casquettes, mon recrutement au CNRS en 2011, vu par moi comme inespéré, a ouvert des perspectives de recherche tous azimuts sur de nombreux sujets, tant du passé que de l’actuel, tant dans les Pyrénées qu’en pays du Sud, rempli d’enthousiasme et de questionnements. Entré au Laboratoire GEODE Géographie de l’Environnement le 15 octobre 2011, mes recherches sur cette approche d’intégration des variables sociales par la modélisation devaient s’intégrer initialement dans différentes actions déjà lancées. En pratique, il s’est agi de s’insérer dans des projets finalement extérieurs au laboratoire afin de tester et de faire progresser in vivo cette approche combinée.

Mon entrée au laboratoire GEODE s’est faite au sein d’un axe nommé «Modélisation géomatique des dynamiques environnementales » représenté alors d’abord par la géomatique et la prospective spatialisée et n’a pas permis d’inscrire l’approche d’intégration des Sciences sociales dans cet axe. La disparition de celui-ci en 2016 suite au départ de son responsable vers d’autres cieux m’a fait transférer vers l’Axe 2 alors appelé « Dynamiques et enjeux contemporains des environnements et des paysages ». Il a fallu attendre 2018 pour me voir autorisé à être membre de l’axe 1 « Paléo-environnements, Écologie Historique et Sociétés » et 2019 pour la prise de direction de l’axe 2, avec Frédérique Blot, prévue pour le nouveau quadriennal 2021-2025, et ce, en contribuant fortement à la rédaction du bilan du mandat 2015-2020 et à la définition des projets des axes 1 et 2. Hors mon laboratoire, il s’agissait d’insérer cette approche dans des réseaux et des projets de recherche existants, portant finalement plus facilement sur les pays du Sud où mon expérience était plus facilement reconnue, via les projets annuel PEPS du CNRS (PEPS MIASMES), le réseau MISTRALS SICMED puis le projet ANR MONOIL, porté par le GET, auquel j’avais fortement contribué dès sa conception dans son organisation et sa thématique. Ces actions structurantes m’ont permis de renforcer et d’élargir mes collaborations scientifiques dans le paysage scientifique toulousain (un encadrement de thèse pour chaque université), en particulier avec les universités toulousaines puis national et « franco-international » (au sens de la communauté de la recherche française portant sur les pays du Sud) d’une part, et de former et d’encadrer des étudiants en Master, en doctorat et postdoctorat d’autre part.

Ce parcours à la fois sinueux et décalé mais finalement cohérent dans son ensemble sera ici présenté via les résultats scientifiques qu’il a pu élaborer, produits de projets de recherches collaboratives au sein de communautés scientifiques fort éloignées en apparence dans chacune desquelles il s‘agit de gagner une certaine légitimité. Trois communautés sont ainsi concernées : Le Sahel Africain, l’Amazonie et l’Europe Néolithique : ces trois ensembles constituent autant de territoires où l’humain était présent depuis longtemps mais où sa puissance de transformation a soudainement décuplé. D’autres espaces anciennement anthropisés comme la rive Sud de la Méditerranée ou le bassin du Mékong ont fait également l’objet de recherches et de missions de terrains plus ponctuelles dans le cadre d’autres projets auxquels j’ai participé. Je considère ici qu'ils doivent encore être positionnés en tant que terrain de recherche, n'ayant pas suffisamment travaillé sur eux.

3.1.3 Présentation du mémoire

Ainsi, mes travaux de recherche, s’ils apparaissent dispersés, peuvent se voir comme autant d’implications sur des terrains où se créent de nouveaux socio-écosystèmes et par lesquels s’évaluent la généricité de cette approche d’intégration des variables sociales que je promeus, à la croisée de la socio-anthropologie, de la géographie et de la modélisation. La présentation de ces résultats suivra ainsi une démarche ouverte, de la

2 D’une part, le système politique de la gestion de l’eau sur un bassin versant et la reconstitution des dynamiques de

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formulation des questionnements à la présentation de la réflexion sur les enjeux méthodologiques, puis de l’approche qui en est ainsi déduite vers son application sur les trois grands terrains de prédilection :

A. La création des œkoumènes : présentation des cas de recherche 1. Les Sahels : Sur le seuil des petites maisons

2. Les Amazonies : le crépuscule des lances 3. Les Néolithiques : l’Europe, ce Nouveau Monde

B. Une approche d’intégration de la socio-anthropologie dans les démarches quantitatives 1. Des variables aux indicateurs

2. Une approche progressive des Socio-écosystèmes entre enquête participative et modélisation

Les résultats présentés ci-après sont une tentative de synthèse d’une partie de mes travaux de recherches ayant lien avec la thématique majeure de mon travail et faisant l’objet de publications, soit dans des revues, des conférences ou des ouvrages. Les références utilisées sont celles considérées comme illustrant le propos soit celles issues de mes propres travaux originaux montrant mon implication sur ces thèmes, ces dernières citées en fin de chacune des parties. L’ensemble des publications citées est listé en dernière partie bibliographie.

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