Enjeux sociopolitiques des évolutions familiales : des modèles aux conséquences

La démarche MASSE dont l’acronyme et le détail seront présentés dans la suite de ce manuscrit mais dont la construction conceptuelle fut envisagée pendant ce travail de doctorat m’avait laissé en pratique de nombreuses interrogations et pistes de recherche à explorer. Elles partaient toutes de l’effet d’accumulation, autrement appelé en modélisation, l’émergence ou plus simplement l’effet « petites causes, grands effets ». Trois exemples sont donnés ici :

 L’effet des migrations sur l’âge au mariage. La FAO au Niger, partenaire du projet PAD (Aide à la Décision) dirigé par B. Gérard et achevé en 2007, était intéressée par cet aspect quali-quantitatif de la démarche sur un point particulier. Du fait de l’écart monétaire entre l’appui qu’apportait par l’agriculture le chef de famille, quasi exclusivement le père de famille, et ce qui pouvait être tiré des activités commerciales monétaires et en particulier la migration saisonnière, le douaire14 _{que devait donner le « fiancé » à la famille de la « fiancée »}

a considérablement augmenté et sa part monétaire est maintenant quasi-totale. C’est ainsi au jeune et non plus au père de le fournir. Or, cela ne peut s’acquérir que par la migration saisonnière. Les exigences d’entraide familiale font qu’une somme incomplète ne peut être accumulée que difficilement par le jeune sur plusieurs années (par exemple par le jeu de placements de bétail auprès de peuls, ce qui est toujours risqué) et il doit donc le plus souvent gagner la somme totale sur une seule campagne de migration. Cette exigence pratique et les difficultés pour gagner cette somme au Ghana ou au Nigeria, selon la région d’origine, (sans compter le risque de racket par les douanes diverses, bien réel) entraîne un retard au mariage. Le modèle SIMSAHEL donne une moyenne de 2.5 ans. Il serait intéressant d’étudier les effets de cette tendance car elle semble être actuellement la seule à même de réduire la très importante fécondité du pays ;

 La migration saisonnière a une importance colossale en termes démographiques et économiques. On peut estimer que de 30 à 80% des hommes en âge de travailler partent en migration, selon les régions (Reardon,

14 _{Le douaire est donné à la famille de la bru par la famille du fiancé ; la dot est donnée par la famille de la bru à la famille du}

fiancé. Il ne peut donc y avoir de coureur de dot au Niger.

Years Gabi Years Fakara Zermou Years Years Gabi Years Fakara Years Zermou

Figure 11. Evolution des parts des différents types de famille par site simulé

En haut: Proportion des familles selon les différentes catégories de familles dans les trois sites En bas: Proportion de la population selon différentes catégories de familles dans les trois sites

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1994) mais ces chiffres ont continué à augmenter (Boyer & Mounkaila, 2010). Les transferts financiers de ces "exodants" représentent des apports importants pour les familles restées sur place, de l'ordre de 8 à150€/hab./an selon les études (Luxereau & Roussel, 1997 ; Loireau-Delabre, 1998 ; Tahirou, 2002 ; Mounkaïla, 2003 ; Saqalli, 2006 ; Harragin, 2006). Ces valeurs datent d’il y a 15 à 20 ans et les valeurs ont augmenté, grâce à la facilité des transferts monétaires qu’ont amené les téléphones portables et l’interopérabilité des réseaux. En considérant ainsi avec actuellement 22 millions d’habitants, 55% des hommes adultes soit 2,5 à 3 millions de personnes, le montant ramené chaque année atteint près des 450 millions d’€ (300 milliards de FCFA) faisant de cet apport la deuxième source de richesse après l’uranium. Le contraste avec le peu de considération voire la détestation officielle de cette activité est à souligner. Il m’apparaît nécessaire de poursuivre cette recherche, avec l’appui d’acteurs de la recherche avec qui je suis en lien comme F. Boyer (IRD), l’OHM Tessékéré ou le projet RISE INSA.

 « l’approvisionnement » en jeunes volontaires du mouvement Boko Haram. Cette réflexion est l’objet de l’article soumis avec P. Sougnabé, S. Ferrant et F. Gangneron. J’y ai en effet proposé l’hypothèse selon laquelle les dynamiques d’héritage joueraient un rôle non négligeable dans le recrutement du mouvement considéré (Watts, 2013). Ce mouvement est majoritairement rural, anti-élites islamisées urbaines et essentiellement kanouri (Pérouse de Montclos, 2012 ; Olojo, 2016 ; Sougnabé & Hassan, 2017) et les zones de violence endémique correspondent bien à cette aire culturelle (Figure 12). Or, la zone kanouri au Nigeria comme au Niger, si les surfaces arables sont également entièrement mises en culture comme en zone haoussa (Greenberg, 1947 ; Goddard, 1973 Starns, 1974), n’a pas subi cette transition des modes d’héritage, du coutumier où seul l’aîné dispose de l’héritage foncier, vers le « musulman local » où il y a au moins égalité entre les frères (McDowell, 1964; 1966, Gavian & Fafchamps, 1996; Lockwood, 1997). Je fais dans cet article l’hypothèse que ces jeunes hommes sont majoritairement des cadets, privés de terre, et sans espoir d’installation ni en zone rurale où les terres sont toutes appropriées ni en ville où les perspectives d’emploi sont limitées15_{. Je propose ainsi la démarche suivante :}

a. Etablir que l’hypothèse d’exclusion patrimoniale produit bien une exclusion de jeunes hommes cadets exclus importante au passage des années 2000, d’abord grossièrement par imagerie (Landsat, Spot et enfin Sentinel) la carte par décade des modes d’héritage en détectant les changements de découpage des parcelles (Ferrant et al. 2017) puis par modélisation spatialisée ;

b. Tenter d’obtenir, via les réseaux diplomatiques de la coopération française des séries de données démographiques sur les membres de Boko Haram capturés et vérifier si la proportion de cadets est effectivement significativement plus élevée.

c. Poser des scénarios pour les 30 prochaines années (2050) combinant croissance démographique et changement sociétal (polygamie en chute ou en hausse ; divorce en chute ou en hausse ; opportunités pour les jeunes en ville en chute ou en hausse ; etc.) ;

Toutes ces pistes sont des propositions envisagées pour des collaborations futures mais elles permettent d’entrevoir l’intérêt de la démarche proposée et les perspectives potentielles pour des collaborations à la fois avec différentes équipes de recherche de disciplines variées et avec des organisations internationales intéressées par ces approches. Ces pistes seront ainsi autant de perspectives de recherche par la suite. L’idée est de les réintégrer dans une démarche de formalisation plus large, à « décontextualiser » de l’ensemble sahélien pour obtenir une approche plus générique.

En effet, les circonstances politiques ont fait de cet espace relativement en paix jusqu’en 2007 une zone quasi entièrement rouge au sens du Ministère des Affaires Etrangères, entre les rebellions initialement touarègues (Azawad) puis fondamentalistes (AQMI) au Nord, reliquats de l’insurrection algérienne, de l’approvisionnement libyen et des mouvements salafistes du Moyen-Orient et au sud (instabilité malienne, difficulté de transition démocratique presque partout et insurrection de Boko Haram à l’Est). Cet espace est jeune et les forces en mouvement ont comme points communs cet affranchissement massif de la jeunesse qu’il serait crucial

15 _{Même si les migrants nigériens se contentent d’emplois informels : à noter que ces derniers, même haoussa, vont chercher}

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d’investiguer. Mais les interdictions de terrain et de séjour m’ont imposé un retour au tout premier terrain que j’envisageais, les forêts équatoriales et tropicales.

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Figure 13. Photographies illustratives prises au Niger et au Sénégal, de 2000 à 2018

Visite d’un projet dans le Fakara, Niger : la série de 4*4 climatisés et immaculés face à un simple puit, arrivés sans prévenir, illustre le rapport de domination sociale

Le Sahel peut être verdoyant : Ferlo, août 2012, Sénégal

Incertitudes et contraintes au Sahel : a) Sécheresse, b) transport, c) accès à l’eau

d) auréole des terroirs

e) les tempêtes qui s’annoncent peuvent être bienfaisantes

a) b) c)

d) e)

Activités agropastorales : a) sarclage.

b) embouche ovine, c) élevage gros bovins, d) commerce,

e) migration saisonnière

a) b)

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