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3 Résultats scientifiques : Les systèmes socio-écologiques ruraux modélisés

3.4 Les Néolithiques : l’Europe, ce Nouveau Monde

3.4.2 Paysage du Languedoc-Roussillon : le programme SICMED PALEOMEX

Le programme PALEOMEX avait consisté à financer sur la décennie 2010-2020 nombre d’actions de recueil de données sur le terrain. La structuration des acteurs travaillant sur le même territoire, ici le Languedoc-Roussillon, sur la reconstitution des caractéristiques agricoles des sociétés néolithiques et sur les paléo-environnements correspondants, est effectivement une étape primordiale au sens étymologique du terme, i.e. la première étape à réaliser (début du Néolithique sur la plaine du Roussillon entre 8700 et 7900 cal BP30) (Galop et al. 2009).

30 « Cal BP » est un mode de notation calendaire. BP signifie « Before Present » : afin de sortir du christianocentrisme, avec

1950 désignée par convention comme étant le présent. Les datations C14 brutes n’intègrent pas les fluctuations des taux de

C14 atmosphériques. On les calibre par d'autres méthodes pour les transformer en « années BP calibrées » (cal BP).

Figure 30. Propositions de pratiques de fertilisation et de sécurisation alimentaire permettant le maintien de l’hypothèse “champs permanents du système de production de la culture rubanée.

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L’étape de modélisation ici présentée est une forme de valorisation des travaux passés. Elle a bénéficié d’un climat de confiance et de bienveillance entre chercheurs pas si évident. Cependant, cette action pâtissait d’une urgence, le programme n’étant à mon arrivée annoncé comme non renouvelé. Il s’agissait d’envisager de formaliser sous forme de modèle le lien entre travaux archéologiques et paléoenvironnementaux. Le principe de MASSTABA, décrit plus loin au §5, implique de commencer la construction du modèle par le fonctionnement biophysique ce qui est l’étape actuellement atteinte. La même trame que les modèles PASHAMAMA et OBRESOC a ainsi été envisagée, avec l’utilisation de la plateforme GAMA et l’inclusion des réseaux hydriques et du décor géographique (Houssou, 2016 ; Houssou et al. 2019). Avec Julien Azuara et Odile Peyron, nous nous sommes dès lors penchés sur une amélioration de la reconstitution de la couverture végétale, au-delà d’un simple indice de biomasse végétale : on pourra ainsi valoriser les données de végétation disponibles puisque celles-ci pourront à la fois servir directement de test en termes de composition des espèces mais aussi indirectement comme conséquence de l’occupation humaine une fois introduit cette dernière. L’idée était de créer un module de végétation intemporel (qui ne soit pas « forcé » par une datation pour tel site) et qui fonctionne de manière autonome, produit de l’inertie environnementale et des évolutions des sols et du climat.

Dans la littérature, les premières reconstitutions de la couverture végétale passée partaient de la donnée pollinique et les Plant Functional Types (PFTs) étaient donc le regroupement des espèces selon leur comportement au temps de conservation autrement appelée taphonomie palynologique (Prentice et al. 1996 ; Barboni et al. 2004 ; Harrison et al. 2010). Ainsi, par exemple, le projet BIOME 6000 (Prentice & Webb, 1998) regroupait les taxons en PFTs à partir du pollen tenu compte de la phénologie (« arbres à feuilles caduques » ou « buissons sclérophylles de climat chaud »). Cependant, l’identification des pollens et des charbons est limitée. Souvent, seule la famille est identifiable mais rarement l’espèce. L’interprétation de ce type de données est délicate : la révolution néolithique dans le Languedoc-Roussillon a coïncidé avec une transition vers un climat méditerranéen plus sec. Il est donc difficile de dissocier l’influence de l’homme de celle des changements climatiques (Azuara et al. 2018). Enfin, la méthode d’extrapolation en elle-même pose deux problèmes fondamentaux. Tout d’abord, traduire une donnée localisée en un point en une couverture spatiale implique de faire des hypothèses fortes quant à la validité spatiale et temporelle de la donnée (relation quantité de pollen produite / abondance de l’espèce, distance de dispersion du pollen, conservation du pollen dans le temps etc.). Ensuite, il est impossible de tester la validité du modèle puisque les seules données disponibles ont été utilisées pour sa construction et ne peuvent donc être utilisés pour un test. C’est pourquoi reconstituer la couverture végétale en s’affranchissant des données paléobotaniques pourrait améliorer notre compréhension de l’évolution de la couverture végétale dans le temps.

La méthode des PFTs ici employée (Barboni et al. 2004 ; Diaz et al. 2009 ; Mauri et al. 2015 ; Cahierre, 2019) consiste à regrouper les espèces végétales présentes sur un territoire en groupes-types selon leurs réactions fonctionnellement équivalentes à ces conditions édaphoclimatiques. Un PFT est donc un ensemble d’espèces qui partagent des traits communs et répondent de façon similaire aux facteurs environnementaux. Telle qu’envisagée, et à l’instar de Hickler et al. (2012) et Santini (2014), il s’agit de construire, toujours volontairement grossièrement mais cette fois quantitativement, les écogrammes des différentes espèces, ici les 95 espèces ligneuses, arbres et arbustes, présentes alors en Languedoc-Roussillon telles que reconnues par la palynologie. Ces écogrammes sont constitués à partir de la bibliographie floristique existante (European Atlas, Flore de Rameau, BaseFlor) construite par les forestiers et naturalistes pour la période actuelle, les espèces n’ayant pas évolué sur cette période historique (Figure 31).

M. Cahierre (Master2 Modélisation Environnementale) a d’abord tenté un regroupement en PFTs deux à deux par classification ascendante hiérarchique (CAH) avec critère de Ward. Afin d’améliorer le pourcentage d’inertie expliqué, elle a ensuite proposé un rapprochement deux à deux itératif par la méthode du k-means répété (Harigan & Wong, 1979) pour obtenir initialement 8 puis finalement 10 PFTs phénologiquement sensés (Figure 32). Sur cette base, l’idée est d’introduire ces 10 PFTs sur chacun des 32 000 pixels d’un kilomètre carré du territoire du Languedoc-Roussillon renseignés spatialement (altitude, pH, réseau hydrique, bassins versants, et par pas de temps, pluviométrie et température). La réaction des PFTs aux conditions d’un pas de temps fera croître plus faiblement ou plus fortement que les autres et ainsi, sera rendu automatique et progressif l’adéquation entre biotope et végétation et donc les évolutions de la couverture végétale selon les évolutions édaphoclimatiques. Sur cette couverture végétale pourrait se superposer, à l’instar des autres modèles présentés

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précédemment, des modules simulant les implantations humaines et leurs activités (chasse, pêche, cueillette, élevage et agriculture).

Cependant, la fin du programme MISTRALS PALEOMEX rend caduque cette procédure par étapes. Il semble dès lors difficile de sortir de la quadrature du cercle du financement et du temps nécessaires à toute modélisation.

Le pin Sylvestre

L’Olivier Sauvage

Figure 31. Autoécologie de deux espèces natives du Languedoc-Roussillon, le pin sylvestre et l’olivier sauvage selon 6 facteurs d’après l’European Atlas, la flore de Rameau et Baseflor.

(Points gris : stations où l’espèce n’a pas été observée ; points bleus : stations où l’espèce est attestée).

Figure 32. Regroupement en PFTs des 95 espèces ligneuses du Languedoc-Roussillon : Description et espaces des paramètres de survie et de croissance.

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3.4.3 Conclusion partielle

Ces différents travaux et les publications qui en ont ou vont en rendre compte ont permis de réfléchir aux aspects épistémologiques et méthodologiques de la modélisation. La communication (Saqalli et al. 2014) puis le chapitre (Saqalli & Baum, 2015) furent ainsi les prémisses de l’ouvrage collectif Saqalli & Vander Linden (2019) Integrating

qualitative & social science factors in archaeological modeling. Springer Simulating the Past books Series. Springer Editions, New York, USA. Cet ouvrage collectif que j’ai dirigé a porté spécifiquement sur l’intégration des aspects

qualitatifs et des sciences humaines dans la modélisation des sociétés humaines préhistoriques. Reste à mettre cela en pratique et les contraintes institutionnelles et budgétaires que traverse actuellement la recherche n’encouragent pas ce genre de travail de longue haleine. Ainsi, si je reste convaincu que la démarche KIDS (Keep It Descriptive, Stupid !) permet un meilleur travail collectif, une plus grande réactivité des partenaires thématiciens et des résultats plus fructueux d’un point de vue intellectuel, et malgré le fait que chacun des projets menés a permis la constitution de modules nouveaux et potentiellement utiles à d’autres territoires et situations, les aspects pratiques de la recherche suggèrent de s’orienter vers des modèles de type KISS (Keep It Simple, Stupid !). A l’instar de l’économétrie face à la macro-économie, ils permettraient de produire des résultats intéressants et rapidement.

Face à cette tendance, il s’agit dès lors de proposer des perspectives de recherche qui offrent des compromis, combinant une meilleure efficacité de mes travaux, une plus grande interopérabilité et un formalisme méthodologique qui puisse être défendu. Je reste attaché à une construction par briques, chacune valorisable et réutilisable, même si « validée » uniquement et dans un certain cadre par une partie seulement des thématiciens de la discipline concernée.

La démarche de réflexion ici racontée a pour origine la difficulté méthodologique de l’appréhension de ces modélisations archéologiques et la prise de conscience des enjeux et de la rapidité de basculement de ces systèmes instables que sont les socio-écosystèmes mais aussi que sont les communautés de recherche interdisciplinaire. Elle m’a poussé à cet effort de mise à plat qui sera décrit dans la suite de ce manuscrit. Ce manuscrit est l’occasion d’étendre cette mise à plat au-delà de la modélisation des SSER passés pour une tentative d’élargissement de la démarche à l’actuel pour espérer ainsi atteindre le « tout temps » et « tout- terrain ». J’en arrive à une réflexion dont je propose ici les résultats dans la §5 qui se retrouve ainsi être la combinaison de cette expérience des SSERs actuels et de cette réflexion sur les SSERs passés. Petit particularisme : ayant apprécié la formalisation en modules indépendants, il me parait utile par souci de clarté de composer ces éléments de réflexion comme des constituants indépendants certes s’interconnectant. L’abondance de sections à points est ainsi un résultat de cette manière de faire.

Cahierre M., Saqalli, M., Azuara J., Peyron O. 2020. Earth, trees and fire: connecting vegetation and socio-anthropology in French Mediterranean Neolithic modelling. World Archaeological Conference, Prague, Rép. Tchèque, ensuite virtualisée.

Saqalli, M. 2020. “Never go against the family”: An enlarged communautary family structure for the Linear Band Keramic

culture hypothesis for explaining longhouses, colonization capacity and collapse. World Archaeological Conference, Prague, Rép. Tchèque, ensuite virtualisée.

Saqalli, M., Cahierre M., Peyron O., Azuara J., Combourieu-Nebout N., Sicre M.-A., Lespez L. 2020. Classification of ligneous

vegetation into Plant Functional Types for a dynamic reconstitution of Neolithic vegetation cover in Occitania Mediterranean seashores. EGU General Assembly 2020. EGU2020-5212

Saqalli M., Vander Linden M. 2019. Integrating qualitative and social science factors in archaeological modelling. Springer

Simulating the Past books Series. Springer Editions, New York, USA.

Dont Vander Linden M., Saqalli M. Chap. 1: Introducing qualitative and social science factors in archaeological modelling: necessity and relevance.

Dont Saqalli M., Saenz M., Belem M., Lespez L., Thiriot S. Chap. 2: O tempora O mores. Building an epistemological procedure for modeling the socio-anthropological factors of rural Neolithic socio-ecological systems: Stakes, choices, hypotheses and constraints.

Saqalli M., Vander Linden M. Chap. 11: Trowels, processors and misunderstandings: concluding thoughts. In: Integrating

qualitative and social science factors

Saqalli M., Ali Moussa T., Peyron O., Sabatier P., Combourieu-Nebout N., Dezileau L., Bassetti M.-A., Vannière B., Sicre M.-

A., Carozza L., Carozza J.-M., Lespez L. 2017. Land, rain and sweat: Building a database of what we need for building a temporally dynamic and a spatially explicit agent-based model of Neolithic occupation in Languedoc-Roussillon. Conférence MISTRALS PAELOMEX 16-18/10/2017, Montpellier, France.

Lespez L., Bassetti M.-A., Berger J.-F., Carozza J.-M., Carozza L., Combourieu-Nebout N., Dezileau L., Glais A., Ghilardi M., Kuzucuoglu C., Peyron O., Sabatier P., Saqalli M., Vannière B., Sicre M.-A., Jalali B. & Paleomex team. 2017. Climate Change

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and social transformations in the past (12ka BP): from field data acquisition towards socio-ecological modeling. Conférence MISTRALS PAELOMEX 16-18/10/2017, Montpellier, France

Saqalli M., Baum T. 2015. Pathways for scale reconciliation: Building ecological socio-modelling methodologies for a

reconstitution of human past dynamics over a landscape. In: Chap. 8. Barceló J. A., Del Castillo F. (eds.) Simulating prehistoric and ancient worlds. Springer Computational Social Sciences. 233-255.

Salavert A., Bréhard S., Bendrey R., Baly I., Duval J., Renard M., Saqalli M., Dubouloz J., Tresset A., Vigne J.-D. 2015. Cultivation and animal husbandry during the LBK, from the household to the macro-regional scales. In: Bocquet-Appel J.- P., Moussa R. (eds.) Springer.

Saqalli M. 2015. Simple is beautiful? Building a simple climate model for modelling archaeological issues. Ateliers de

Modélisation de l'Atmosphère 01/2015, Toulouse, France

Saqalli M., Salavert A., Bréhard S., Bendrey R., Vigne J.-D., Tresset A. 2014. Revisiting and modelling the woodland farming

system of the early Neolithic Linear Pottery Culture (LBK), 5600–4900 B.C. Vegetation History and Archaeobotany 23, 1: 37-50.

Saqalli M., Kaplan J.O., Baum T., Lemmen C. 2014. Reconstituting human past dynamics over a landscape: pleading for the

co-integration of both microvillage-level modelling and macro-level ecological socio-modelling. SSC'14 Social Simulation Conference European. SPUHH: Simulating the Past to Understand Human History, Barcelona, Spain, 04/09/2014.

Saqalli M. 2014. Sociétés rurales du passé : Approche par la Modélisation multi-agents. Séminaire Laboratoire Chrono-

Environnement, UMR 6249 CNRS Université de Franche-Comté, Besançon, 11/02/2014

Bocquet-Appel J.-P., Saqalli M., Dubouloz J., Berger J.-F., Vigne J.-D., Tresset A., Schwartz D., Salavert A., Ertlen D., Gauvry Y., Ortu E., Sanchez Goñi M.-F., Finsinger W., Dormoy I., Demoule J.-P., Carcaillet C., O‘Connor M. 2012. Multi-agent simulations of the trajectory of the LBK Neolithic. Conf. Early Farmers: the view from Archaeology and Science, Uty of Cardiff, UK, 05/2012.

Saqalli M., Salavert A., Bréhard S., Bendrey R., Dubouloz J., Bocquet-Appel J.-P., Vigne J.-D., Tresset A. 2012. Contribution

of archaeozoology and archaeobotany to a multi-agent system mimicking the LBK society (Central Europe, 6th-5th millennia BC). Conf. Early Farmers: the view from Archaeology & Science, Uty of Cardiff, UK, 05/2012.

Saqalli M., Salavert A., Ertlen D., Moussa R., Bocquet-Appel J.-P. 2012. Permanent vs. shifting cultivation: the farming

system of Neolithic LBK (7800-6900 BP). 3rd Inter-national Schöntal Conference Farming in the Forest Ecology & Economy of Fire in Prehistoric Agriculture, Klöster Schöntal, Allemagne 07/2012.

Saqalli M., Salavert A., Ertlen D., Moussa R., Bocquet-Appel J.-P. 2012. Modeling a typical LBK hamlet functioning at the

household level. 3rd International Schöntal Conference Farming in the Forest Ecology & Economy of Fire in Prehistoric Agriculture, Klöster Schöntal, Allemagne 07/2012.

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