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Une transformation rapide du mode d’exercice

B - Un regroupement encore inachevé des laboratoires de ville

2. Une transformation rapide du mode d’exercice

a) Une forte hausse des prix de cession provoquant des difficultés d’installation des jeunes biologistes

Aux dires des représentants de la profession, le mouvement de concentration en cours se traduit actuellement par une forte hausse des prix de cession des laboratoires. Alors que le prix de cession moyen s’établissait à 100 % du chiffre d’affaires annuel avant la mise en œuvre de la réforme, la plupart des ventes avoisinent désormais 150 % du chiffre d’affaires, voire 200 % et plus. Cette forte hausse est liée à la volonté de certains acheteurs, notamment de grands groupes, d’agir rapidement en profitant des départs à la retraite de biologistes pour regrouper les laboratoires.

Ce phénomène pose la question des conditions d’entrée dans la profession des jeunes biologistes avec un statut autre que celui de salarié.

Ils font face actuellement à deux principales difficultés pour s’installer en libéral :

l’accroissement du prix des laboratoires les conduit à accepter de plus en plus fréquemment le statut de travailleur non salarié ultra minoritaire. Alors que ce statut a été créé dans l’optique de préparer la transmission entre deux biologistes, il permet aujourd’hui à des groupes importants de recruter des jeunes biologistes sans aucune perspective de transmission. De fait, ceux-ci restent des salariés sans pouvoir de direction, en raison de leur trop faible nombre de parts ;

de fortes contraintes limitent la possibilité pour les jeunes biologistes d’ouvrir leur propre laboratoire. L’ordonnance du 10 janvier 2010 prévoit que pour l’ouverture d’un nouveau laboratoire, le COFRAC vérifie au préalable que ce dernier remplit les conditions nécessaires à l’accréditation35. Cette condition, suivant l’interprétation qui en est faite, peut être difficile à remplir, le biologiste devant prouver que ses procédures sont testées au regard des normes internationales avant même d’avoir débuté son activité.

35Article L. 6221-2-II du code de la santé publique : « avant l'ouverture d'un nouveau laboratoire de biologie médicale, l'instance nationale d'accréditation lui délivre, à sa demande, une attestation provisoire établissant qu'il satisfait aux critères d'accréditation susceptibles d'être vérifiés avant son ouverture. Elle prend, après l’ouverture du laboratoire et dans un délai fixé par voie réglementaire, la décision d’accréditation relative aux examens ou activités que le laboratoire réalise […]».

b) Le développement des sociétés d’exercice libéral

Le développement des SEL constitue actuellement le principal levier juridique permettant aux laboratoires de biologie de se restructurer.

Les données transmises par la direction générale de l’offre de soins montrent que l’exercice en SEL est en forte croissance.

Tableau n° 15 : répartition du nombre de sites des laboratoires de biologie médicale en fonction de la forme juridique d’exploitation Forme

Source : direction générale de l’offre de soins

(1) Formes juridiques appelées à disparaître : obligation de transformation en une des formes juridiques visées par l’article L. 6223-1 du CSP dans un délai de un an à compter de la ratification de l’ordonnance (Article 9 de l’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010).

D’après les données de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, les laboratoires qui génèrent un chiffre d’affaires supérieur à 10 M€ sont exploités au sein de sociétés d’exercice libéral36, qui permettent l’apport de capitaux de personnes physiques ou morales n’exerçant pas la fonction de biologiste médical à hauteur de 25 %. À l’inverse, les sociétés civiles professionnelles ou l’exercice en nom propre ne permettent pas l’apport de financements extérieurs.

Les regroupements de laboratoires nécessitent en effet d’importantes mobilisations de capitaux. À ce titre, le développement de montages juridiques type « leverage buy out » permettant à des fonds financiers spécialisés d’acquérir des laboratoires a suscité l’inquiétude des biologistes sur leur propre capacité à conserver le pouvoir de direction des laboratoires.37

36 Quelques SCP ont un chiffre d’affaires compris entre 10 et 20 M€, tandis que seules des SEL ont un chiffre d’affaires supérieur à 20 M€.

37 La technique du LBO (« rachat de l’entreprise par effet de levier ») consiste pour des fonds financiers spécialisés qui recherchent de forts rendements à faire acquérir une cible par une société holding constituée à cet effet et avec un apport limité en fonds propres. Le remboursement de la dette est effectué au moyen du cash-flow

En effet, il ressortait des dispositions de l’article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 199038 que des personnes physiques ou morales pratiquant la profession de biologiste médical pouvaient détenir plus de la moitié du capital social d’une société d'exercice libéral sans y exercer. Cette disposition a permis à des fonds d’investissement d’acquérir des sociétés étrangères dont l’objet social est la biologie médicale, mais dont la détention du capital n’est pas limitée par la législation de leur pays d’origine, pour ensuite acquérir légalement des sociétés d’exercice libéral de biologie médicale.

Ces dispositifs peuvent être accompagnés de stipulations extrastatutaires entre les détenteurs de capital qui ont notamment pour objet de garantir aux investisseurs financiers la « liquidité » de leur investissement39.

Le législateur a cherché à réguler ce processus, dans le respect du droit de la concurrence. L’article 10 de la loi du 30 mai 2013 supprime l’application de l’article 5-1 de la loi du 31 décembre 1990 à la biologie médicale et prévoit que plus de la moitié du capital social et des droits de vote d’une SEL doit être détenue par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société. Par ailleurs, tous les contrats et conventions signés dans le cadre des sociétés d’exercice libéral devront être communiqués à l’ordre compétent (ordre national des médecins ou ordre national des pharmaciens), toute convention ou clause cachée étant alors inopposable.

La biologie médicale et le droit européen de la concurrence La France justifie le contrôle de l’organisation de l’offre de biologie par la spécificité du secteur qui, contrairement à d’autres États membres de l’Union européenne comme l’Allemagne, s’appuie sur la médicalisation de l’analyse. Ce contrôle continue à nourrir un contentieux européen.

dégagé par l’activité et les restructurations. La maturité de l’investissement est liée à l’échéance de remboursement de la dette et débouche généralement sur une revente rapide. Selon le Syndicat des biologistes, les acteurs contrôlés par des fonds financiers représenteraient actuellement environ 30 % de l’offre de biologie au niveau national.

38 Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

L’article 5-1 a été créé par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF).

39 Comme par exemple les clauses de « drag along » (clauses d’entraînement) qui autorisent les investisseurs financiers à céder les titres détenus par les biologistes en même temps que les leurs, ou les clauses de « buy or sell » qui permettent d’introduire une contrainte soit de rachat, soit de revente au profit d’un actionnaire.

La Commission européenne a déposé un recours en manquement contre la République française, soulignant que, par la limitation de la participation des non-biologistes à un quart au plus des parts sociales d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) exploitant des laboratoires de biologie médicale, la France contrevenait au principe de la liberté d’établissement. La Cour de justice a rejeté cette requête40, acceptant les arguments français sur le caractère nécessaire et proportionné de ces mesures au regard de l’objectif de protection de la santé publique. Cette décision fait le lien entre la protection du secteur français de la biologie médicale et son caractère médicalisé, qui est au cœur de la réforme initiée par l’ordonnance de 2010.

Dans un autre registre, le 8 décembre 2010, la Commission européenne (direction générale de la concurrence) a condamné l’ordre national des pharmaciens (ONP) à une amende de 5 M€ à la suite d’une plainte de la société LABCO, qui détient des participations dans de nombreux laboratoires en Europe. La Commission a fondé sa décision sur une infraction continue à l’article 101 du Traité de l’Union européenne, en estimant que l’ordre s’était livré à des pratiques anticoncurrentielles. Le premier grief concerne ses actions en vue du maintien d’un prix minimal de biologie médicale, à travers la limitation des ristournes ou remises. Le second grief vise des entraves au développement de groupes de laboratoires sur le marché français. L’ordre a formé un recours en annulation de la décision de la Commission européenne, qui n’a pas encore été jugé.

Les deux affaires ne sont pas du même ordre, la première traitant des restrictions apportées en droit à la liberté de circulation des capitaux et à la liberté d’établissement, la seconde des agissements d’un ordre professionnel qu’à ce stade la Commission a estimés abusivement restrictifs en matière de concurrence.