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Une relation plus ambivalente avec l’industrie cultu- cultu-relle

participatif en France : présentation d’un objet d’étude

3.2 Changement et émergence, mutations des dis- dis-cours, mutation de l’objet ?

3.2.1 Une relation plus ambivalente avec l’industrie cultu- cultu-relle

3.2.1.1 Négation d’une forme particulière de financement participatif. Les critiques formulées par les salariés des plateformes à l’égard de la première version du crowdfunding font écho à celles émanant d’une partie des internautes. Cette deuxième version semble s’inscrire dans une volonté d’amélioration du dispo-sitif induite par les critiques formulées à l’égard des précédentes formules de crowd-funding. Comme le souligne Axel, My Major Company

« [n’]est pas un franc succès et en plus avec une promesse derrière qui est pas tenue puisque la promesse c’est vous devenez co-producteur ; la production musicale, c’est pas vraiment ça quoi, c’est pas juste mettre de l’argent sur un site internet. » Axel, co-fondateur d’une plateforme. La même dimension de « tromperie » que celle relevée par les internautes mé-contents est ici soulignée par Axel. La reprise de ces critiques oriente déjà la repré-sentation qui sera faite de leur propre plateforme puisqu’elle incite les acteurs des plateformes à les présenter en négatif de My Major Company :

« chez [nous] y a pas de retours financiers et pourtant des projets financés on est à plus de 1400. Et en fait le porteur de projet reste totalement propriétaire de son projet (...) le créateur reste propriétaire de sa création, donc pour moi c’est plus utile dans son fonctionnement et dans la pratique on le voit. » Axel, co-fondateur. La première description donnée de cette plateforme par l’un de ses fondateurs consiste, on le voit, à se distinguer radicalement non pas de l’ensemble de ces concur-rents mais d’une forme particulière de financement participatif. Il s’agit dès lors de proposer un service utile aux internautes et non pas de lui promettre de jouer une fonction particulière qu’il ne serait pas en mesure de réaliser. Cet éloge de l’utilité peut se comprendre comme une volonté de dépasser les apories des premières plate-formes. Si elle est utile, c’est-à-dire en réalité pour Axel utilisée massivement par les internautes, la plateforme ne s’inscrit pas dans un écart normatif comme ce fût le cas pour My Major Company par exemple. Le plébiscite de cette plateforme par les internautes témoignerait du respect de son discours, de la moralité de son activité.

Alors qu’au moment de l’éclosion du financement participatif, les plateformes en-tendent le présenter comme une réelle alternative au fonctionnement de l’industrie culturelle, l’échec de la formule proposée par MyMajorCompany semble modérer ce type de posture. Il n’a sans doute pas favorisé la reprise de discours construits comme une substitution au travail des majors. Ainsi, au vu des déboires publics rencontrés par la plateforme My Major Company, ce positionnement – outre l’im-pression d’utilité supérieure de la part des différents protagonistes dont il atteste – résulte sans doute également d’un positionnement stratégique sur le marché du crowdfunding français. Le fait que ces discours viennent nourrir un positionnement sur le marché de l’alternative à l’industrie culturelle n’ôte cependant pas l’intérêt qu’une analyse de ces derniers suppose. S’y arrêter un instant permet de saisir les modifications dans le rôle que s’octroient réellement les plateformes. Ces dernières semblent afficher la volonté de ne pas se substituer à des acteurs de l’industrie cultu-relle mais plutôt d’élaborer des rapports de bon voisinage. Si elles ne s’inscrivent pas directement au sein des différents « corps de métiers » de l’industrie culturelle, ces plateformes plus récentes s’installent à proximité ; au sein de rapports ambivalents avec celle-ci.

3.2.1.2 Assouplissement des relations avec l’industrie culturelle.

L’idée de proximité semble ici s’imposer puisque les plateformes ne renient pas plus le fait d’avoir des contacts avec cette industrie et ses différents acteurs qu’elle ne revendique uniquement une posture d’alternative. Les discours formulés à l’égard de l’industrie culturelle sont ici ambivalents et oscillent entre un rejet de celle-ci et la mise en place de partenariats avec elle.

Promouvoir une création libre et indépendante. La plateforme française Kiss Kiss Bank Bank par exemple se décrit comme un « écosystème de la création indépendante46». De la même manière, Ulule se présente comme « une vraie alterna-tive ouverte à tous » à l’occasion d’une petite parution papier où l’équipe éditoriale cherche à montrer ce qu’est ou n’est pas Ulule47

. L’intérêt porté par les internautes au dispositif pour ce type de service permet alors d’après les plateformes

« à des projets sympathiques, innovants de voir le jour, qui permet de développer pleins de projets qui sont pas financés ou mal financés par des voies classiques... » La nécessité de se positionner comme un complément à l’industrie culturelle semble, on le voit, émaner d’un sentiment d’être plus performant que les acteurs de 46. Nous soulignons Kiss Kiss Bank Bank,Dossier de Presse, Kiss Kiss Bank Bank : Maison de créativité, 2014, url : http://www.kisskissbankbank.com/fr/pages/press.

47. Ulule, « Ulule : c’est ou c’est pas ? », in :Ulule magazine 1 (2013), p. 10, On apprend ainsi qu’Ulule n’est pas une banque.

l’industrie culturelle. Les discours tenus par l’équipe des plateformes tendent alors à justifier l’existence même de ces dernières au regard de l’inefficacité de l’industrie culturelle, peut-être plus de son incapacité à rester inefficace. Cette vétusté de l’in-dustrie culturelle est un des éléments mis en avant par l’un des créateurs de Kiss Kiss Bank Bank :

« Développer des nouveaux talents, les grosses maisons de disques ne savent plus le faire. Elles n’ont plus la capacité d’investissement et la vision du marché nécessaires. [. . .]Disons qu’un outil comme le nôtre ouvre des possibles pour tout projet artistique en développement. »48

Ce premier moment pourrait être perçu comme la justification même de l’exis-tence de ces plateformes. Elles viennent alors compenser une industrie qui n’est plus tout à fait à même de produire des contenus culturels. Elles proposent donc un ser-vice inédit et qui serait de surcroît plus adapté aux attentes des internautes et des artistes. Mais ce mouvement de rejet n’est pas exclusif et n’empêche pas l’association de ces plateformes avec des acteurs plus traditionnels.

Partenariats Malgré ces critiques à l’égard de l’industrie culturelle, les plate-formes mettent toutes en place, au fil des années, des partenariats avec les acteurs issus de l’industrie culturelle. Ils deviennent des partenaires privilégiés d’interac-tion. Ce type de financement participatif ne s’installe donc plus dans un rapport conflictuel avec l’industrie culturelle. Et comme le spécifie Axel :

« Le financement participatif ça remplace pas les financements classiques, c’est juste que ça les complète. » Axel, co-fondateur d’une plateforme. On voit émerger deux types de relations. D’une part certaines plateformes leur donnent une place d’intermédiaires. On assiste par exemple à la mise en place de partenariats entre les plateformes et des acteurs majeurs de l’industrie culturelle contemporaine comme la société de production et de distribution Mk2 ou le Festival d’Avignon. Ces « mentors » (KKBB) ou « official user » (Ulule) ont par exemple la possibilité d’apposer leur marque sur les projets de leurs choix. Ces partenariats ne donnent pas forcément lieu à une participation financière mais ces « mécènes sym-boliques » comme les qualifiera l’une des porteurs de projet49

s’engagent à donner de la visibilité aux projets qu’ils soutiennent. Ils vont par exemple les relayer sur 48. Cité dans Mon projet musique,Crowdfunding : interview de Adrien Aumont, cofondateur du site Kiss Kiss Bank Bank | Mon projet musique, url : http://www.monprojetmusique.fr/ temoignage / crowdfunding interview de adrien aumont cofondateur du site kiss -kiss-bank-bank/(visité le 14/04/2015).

leurs propres sites ou réseaux sociaux, diversifiant ainsi encore davantage le public pouvant être touché par le projet. Cet entrecroisement entre financement participa-tif et acteurs de l’industrie culturelle illustre la complémentarité que revendiquait Axel.

De l’autre, certains acteurs bien en place de l’industrie culturelle font appel au financement participatif. Que ce soit dans le cadre d’un projet précis (restau-ration d’un tableau de Courbet) ou dans le but « de rajeunir les publics qui les fréquentent50», ces partenariats semblent rendre obsolète la remise en cause de l’in-dustrie culturelle que revendiquait les premières plateformes à avoir émergé sur le web francophone.

3.2.2 Le nouvel esprit des plateformes de financement