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Chapitre V. Problématique des AMP au Sénégal

Chapitre 7. De la multiplicité des usages et des pressions sur les ressources

I. Une pression humaine de plus en plus accrue

1.1. De l’origine controversée du peuplement de Joal-Fadiouth

L’histoire du peuplement de la commune de Joal-Fadiouth exerce encore une influence sur la vie communautaire, et peut aider à mieux comprendre la personnalité, certains comportements et particularités ainsi que les rapports à l’environnement des habitants (Diaw et al, 2007) 104. Les premiers habitants de Joal-Fadiouth sont des « Sereer »105 (Diop, 1965, Gravand, 1983). L’origine du peuplement de Joal-Fadiouth, à l’instar du peuple sereer en général, reste encore entourée de mystères, en raison des différentes thèses avancées (Ndiaye, 2011, Dioh, 1996). Gravrand (1983) pose bien la problématique en ces termes : Les Sereer « Se trouvaient-ils en Egypte prédynastique ? Ou bien dans la Haute-Vallée du Nil, dans le Sahara fertile, dans la vallée de la Gambie ou au lointain pays du Gaabu » ?

Malgré les différentes thèses avancées, les travaux de Gravrand (1983 ; 1990), de Diouf (1992) combinés à nos entretiens de terrain, soutiennent que les premiers habitants (les Faa- Faajuc) seraient originaires du Gabou qu’ils quittèrent au XIIIème siècle suite à des guerres tribales. Sous la conduite de Meïssa Waly, le roi Guélewar, une partie de ce groupe arriva à Fadiouth en remontant la Gambie, puis l’actuelle région du Sine-Saloum (Fatick et Kaolack). Devant l’hostilité d’un milieu inconnu ils se seraient d’abord installés sur les îles voisines de Tine Dine comme en atteste les restes de piquets de greniers toujours visibles sur l’île, et Fassanda au nord du cimetière de Diotio. Ce n’est plus tard que l’île de Fadiouth sera occupée grâce aux avantages qu’elle offrait : ramassage des mollusques à marée basse, pêche et surtout un rempart accessible qu’en pirogue. Ce sont donc les soos qui donnèrent au village la racine de son nom actuel Faa Juu Juu, c’est-à-dire « avec ses belles plages » aujourd’hui déformé Fadiouth. Après un bref séjour, les artisans restèrent à Fadiouth et les esclaves furent envoyés à Joal, sur la dune de sable surplombant la flèche sableuse, dans sa partie proximale, au lieu-dit Djong, entre la rivière Mama-Ngeej à l’est et l’Océan Atlantique (Ndiaye, 2011 .

Une seconde version connue de la tradition est relative au mythe de Kian et Tiboy « un homme et une femme, kian et Tiboy, avaient été chassés du Gaabu et s’étaient retrouvés au bord de l’océan après une marche interminable en forêt » (Ndiaye, 2011 ; Diaw et al., 2007). Parvenus à l’île, ils découvrirent à l’aide d’un génie surgit d’un baobab, l’eau douce du puits appelé Pipa, situé actuellement dans le quartier de Joong, à Joal et décidèrent de s’installer à Fa Juc (Ndiaye, 2011). Ce baobab, devenu sacré, se trouve aujourd’hui dans le quartier de

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Diaw et al. 2007. Caractérisation de la commune Joal-Fadiouth, LERG, WWF WAMPO, 94 p.

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Il y’a plusieurs explications de l’éthnonyme, « Sereer », autrement dit, du contenu du vocable « Sereer » qui sert à désigner cette entité humaine (Ndiaye, 2011). D’après Cheikh Anta Diop, citant le dictionnaire de Pierret « Sereer est le nom

de celui qui trace le temple » dans la langue de l’Egypte pharaonique (Nations nègres et culture 1965). Gravrand (1983)

reprend cette signification fondée sur la séparation ou la dissidence, considérant que l’ethnie Sereer ne sera définitivement constituée et appelée ainsi qu’après l’avènement des Guelwar au 14ème siècle. Auparavant il s’agissait de « Sereer cosaan ».

120 Ndionguème à Fadiouth et est dénommé « Maama Ndan». Tiboy était du clan matrilinéaire (tim) des Jaxanoora tandis que Kian appartenait à celui des Fejoor.

L’antériorité de cette installation en pays sérère confère à ces lignages des prérogatives particulières dans des domaines particuliers, notamment dans la gestion des terres, le domaine des croyances religieuses et celui de la justice. Les matrilignages occupent les terres et se constituent des lamanats (laman = lam o and : héritier de la connaissance du clan) et suivant l’adage « Soos we eetu meen » : « les Soos sont arrivés les premiers », il leur revient la gestion de la justice, alors que les Raboor sont les maîtres des croyances religieuses. Les enfants de Kian du matrilignage des Fejoor et ceux de Tiboy de celui des Jaxanoora se partagèrent le pouvoir sur la terre et sur la mer (Gravrand, 1983). Le fils de Kian se fit reconnaître des Soos et alluma un feu qui s’étendit de Tiémassas à Palmarin, ce qui donna à son Tim un lamanat « Royaume de Fasna », qu’il administra. Les Jaxanoora prirent possession de la mer sur le même front de l’Océan et administrent jusqu’à présent cette façade maritime, les bolongs (bras de mer), les passes et les rias (Ndiaye, 2011).

1.2. L’organisation sociale traditionnelle

Les populations autochtones de Joal-Fadiouth sont des Sereer et appartiennent au groupe dit Sereer sine. L’apport Gelewar et le confinement géographique dus à l’insularité ont cependant induit notamment à Fadiouth des particularités culturelles et cultuelles très caractéristiques. L’apport Sereer est symbolisé par le caractère matrilinéaire de la société qui confère à la femme une place importante : la femme est le noyau du tissu social, source de vie et ciment de la collectivité (Ndiaye, 2011 ; Dieng, 2006).

Quant à l’organisation sociale mandingue, elle est caractérisée par une population aristocratique issue des Guelewar du Gabou, qui met en valeur un système hiérarchique ou la femme est confinée au second plan. Cette noblesse Guelewar va être acceptée par la société Sereer en contractant des alliances matrimoniales avec elle - le prince Maissa Waly Dione constitue une parfaite illustration du Sereer-soose - tout en conservant la prééminence de la femme. Cette prééminence de la femme dans la société Sereer va engendrer une stratification horizontale avec l’importance de la lignée maternelle (Diaw et al, 2007).

L’environnement marin a aussi engendré chez ces paysans Sereer des apports particulièrement enrichissant du point de vue socioculturel et économique. Cet enrichissement apparait particulièrement dans les chants et les danses ainsi qu’à travers certains cultes et pratiques en rapport direct avec l’environnement marin.

Contrairement à ce qu’on peut observer à Joal et ailleurs dans le pays, la communauté villageoise de Fadiouth est égalitaire. Il n’y a pas de stratification sociale verticale. Tous les groupes sociaux sont au même niveau horizontal et les corps de métiers apparentés à une caste supposée inferieure n’y existent pas. Par exemple, le joueur de tam-tam, le tisserand ou sculpteur, jouissent de la même considération que le noble.

L’organisation sociale traditionnelle de la commune de Joal-Fadiouth est ainsi bâtie sur un régime de type matriarcal dans lequel la femme joue une fonction remarquable de ciment, de source de la solidarité et des relations communautaires en place. L’emprise du matriarcat est telle que, l’individu peut s’identifier au nom et au prénom de sa mère. La prééminence de la femme dans la société Sereer va engendrer une stratification horizontale avec l’importance de la lignée maternelle ou « tim ». Le Tim est dirigé par le plus âge des oncles utérins (Diaw et al, 2007 ; Ndiaye, 2007).

121 Les responsabilités de la femme sont ainsi déléguées à un frère qui assure l’éducation des neveux qui seront ses futurs héritiers.

Neuf lignées matrilinéaires ou tim 106 ont ainsi pu être dénombrées. Il s’agit : des Jaxanoora, des Fejoor, des Soos, des Simal, des Faata-Faata, des Laaboor, des Siwana, des Yookaam et des Jaani-Jaani. Tout Fadiouthien appartient à l’une de ces lignées dont chacune est dépositaire au nom de la collectivité d’une prérogative dans le fonctionnement et la vie de la collectivité. En cas de leur non-respect, par l’une des branches, celle-ci fait planer le malheur sur la communauté. Janaxoora et Feejoor de Fadiouth entretiennent des relations très intimes avec le milieu. La prééminence sacerdotale leur est réservée en liaison avec le mythe de la fondation du village.

1.3. Une croissance démographique de plus en plus importante

Le dynamisme de la pêche artisanale et des activités de transformation des produits de pêche, a fait de la commune de Joal-Fadiouth, la destination d’intenses flux migratoires temporaires ou définitifs. Cet apport migratoire a accentué la croissance démographique déjà rapide (doublement de la population entre 1981 et 1992), qui se double ainsi d’une forte pression sur les disponibilités foncières et les ressources naturelles. L’exiguïté de l’espace communal dont 65% de la superficie est inondable, semble étouffer la commune dans ses limites territoriales et installer les conditions d’une rupture de l’équilibre symbiotique entre la nature et les hommes.

Du fait du croît naturel largement positif et de l’importance de l’immigration, la population de Joal-Fadiouth a augmenté à un rythme assez rapide. Ainsi, de 6546 habitants en 1961, la population est passée à 11 170 en 1976 et à 19 003 habitants au RGPH de 1988, soit un taux d’accroissement de 4,51 %. Entre 1976 et 1988, ce taux a été plus élevé que ceux des grandes villes comme Thiès (3,55 %) ou Kaolack (3,19 %). Les projections faites à partir des résultats du RGPH de 2002 estiment la population résidente totale de la commune de Joal-Fadiouth à 32 991 habitants.

Cette population est inégalement répartie sur l’espace avec 29 637 habitants, soit 89,8 % vivant à Joal. L’île de Fadiouth abrite 3 354 habitants, soit 10 % de cette population, et Ngasobil moins de 1%.

Cependant, le rapport population-espace révèle des densités variables entre Joal et Fadiouth. La densité moyenne de la population à Joal-Fadiouth est de 655 habitants/km2 alors qu’elle atteint 2316 habitants/km2 pour l’île de Fadiouth. La plus faible densité est observée à Ngazobil avec moins de 1 habitant/km2. Ainsi, Fadiouth reste l’une des concentrations démographiques les plus imposantes au plan national.

La population de la commune de Joal-Fadiouth se distingue par une forte proportion des jeunes. La classe d’âge comprise entre 0 et 4 ans constitue environ 15% de la population et les jeunes de moins de 25 ans représentent de 63%. A Fadiouth les jeunes de moins de 20 ans constituent plus de la moitié de la population résidente.

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Le tim est le symbole du matrilignage vue sous sa forme maximale. Il est le ciment de l’organisation sociale. Il regroupe toutes les personnes issues du même aïeul maternel.

122 Si dans l’île de Fadiouth, la population est à 99% composée de sérère, à Joal par contre, presque l’essentiel des ethnies du pays sont représentées. Cette différence dans la représentation ethnique entre la ville de Joal et l’île de Fadiouth, tient à l’insularité qui pose des problèmes d’accessibilité et le manque d’espace habitable dans l’île (pour 3354 habitants concentrés sur 14,48 ha).

La diversité ethnique de la population de Joal est favorisée, d’abord par sa situation géographique, son ouverture qui facilite l’accès, mais surtout par le dynamisme des activités liées à la pêche et à la transformation des produits halieutiques qui attirent saisonnièrement des flux importants de migrants, venus de l’arrière-pays et dont la plupart finit par s’installer définitivement.

En 2003, 42% de la population de Joal-Fadiouth-Ngazobil étaient composés d’immigrants (Dieng, 2006). Si la proportion de migrants est relativement faible à Fadiouth (16,3%), elle atteint 41,5% à Joal. Cette migration touche aussi bien les hommes (41,8%) que les femmes (42,8%). Ce phénomène est loin de s’estomper car 36% des immigrés se sont installés dans les cinq dernières années ; ce qui représente 15% de la population totale de la commune. Ces immigrants, en augmentant les effectifs de la commune ont également renforcé le déséquilibre qui existait dans le rapport espace-population.

L’extension naturelle pour l’habitat de la commune est considérablement limitée par sa configuration en bordure du littoral aggravée par les bras de mer qui envahissent son arrière- pays ; les eaux de la lagune lui retirent, sous l’extension tentaculaire des marées, 65 % de sa superficie. Ainsi, seuls 35 % des terres, soit 1762 ha sur les 5035 ha de la commune (P. Dioh, 1996) sont propres à l’habitat. Ce manque d’espace est encore plus prégnant à Fadiouth qui avec ses 14,48 ha de superficie abrite une population présente de 3354 habitants, soit une densité de 2316 habitants au km2 (Diéye, 2007).

Le niveau d’instruction est très élevé à Joal-Fadiouth-Ngazobil. C’est l’un des établissements humains le plus scolarisés au Sénégal. Pratiquement tous les enfants en âge d’aller à l’école y sont au moins allés jusqu’en classe de 7e ; ce n’est que par la suite que les effectifs commencent à se réduire. Ces forts taux de scolarisation sont dus à l’arrivée précoce des missionnaires blancs qui ont su convaincre les habitants à scolariser leurs enfants.

La commune de Joal-Fadiouth-Ngazobil qui fut pendant longtemps un bastion du christianisme voit sa population de confession musulmane croître assez rapidement, à cause certainement du flux massif d’immigrants dont l’écrasante majorité est de confession musulmane. Considéré dans l’ensemble les musulmans sont majoritaires dans l’agglomération de Joal. Cependant, Fadiouth est restée un village où les catholiques dominent toujours à 81,4% comme en témoigne la présence à chaque carrefour, de statues de saints patrons de l’Église. La religion musulmane suit avec un pourcentage de 18,52% dont la plupart sont d’anciens catholiques qui ont apostasié.