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UNE OPTIQUE CONSTRUCTIVISTE

Dans le document Des nations à la Nation (Page 141-145)

LES CHOIX DIDACTIQUES

3.2. UNE OPTIQUE CONSTRUCTIVISTE

renoncé, dans ce cas précis, à un enseignement centré sur le factuel, de même nous avons renoncé à une pédagogie de type transmission-réception 76. Ce que nous visons, ce n'est pas de transmettre un savoir apprêté, voire une définition quand bien même elle existerait, mais de mettre l'élève en situation de s'emparer des éléments susceptibles de le rendre capable de comprendre les situations historiques et d'interpréter les situations sociales.

Pour qu'un concept soit approprié, il faut qu'il devienne opératoire, qu'il ait une valeur explicative, qu'il puisse fonctionner dans des situations nouvelles, qu'il soit lié à la décontextualisation de l'exemple.

L'apprentissage ne peut donc se réduire à un énoncé d'attributs, si liés soient-ils. Au sens propre du tenne, un concept fonctionne toujours en relation avec d'autres ; c'est un nœud dans un réseau cohérent et organisé et non un élément disposéàcôté d'autres par simple juxtaposition; il ne trouve sa signification que par comparaison avec d'autres concepts.

La construction d'un concept ne se constitue pas par la réunion d'éléments abstraits d'une situation concrète (Vygotski), elle résulte de réajustements successifs, d'une mise à distance, d'une médiation. Son appropriation relève d'une manipulation sans cesse remise en question.

Le concept se forme par une reprise et reformulation nouvelle des connaissances parcellaires antérieures de chaque individu, selon les situations où il peut être investi. Est-il besoin d'insister davantage sur le fait qu'on ne peut l'enseigner tel que ? Il faut ainsi recourir àdes situations d 'enseignement-apprentissage spécifiques.

Rôle déterminant joué par l'interaction entre pairs

Le constructivisme tient compte également des conditions d'interaction sociale dans lesquelles se fait le travail intellectuel et notamment du conflit avec l'autre. Le processus de construction et d'appropriation est profondément social. Différents auteurs soutiennent en effet, à la suite de Vygotski, qu'il est contre nature de décrire le développement par les seuls facteurs internes, dans la mesure où il s'i,nscrit dans un milieu historiquement et culturellement marqué. Cette idée de la genèse sociale de la pensée, héritéeàla fois de Spinoza et du marxisme, est sans doute l'élément nodal de la pensée de Vygotski ... Il affinne, dès 1933 77, qu'au lieu de se développer selon les principes biologiques

76 C'est-à-dire d'une pédagogie dans laquelle le savoir énoncé se retrouverait identique chez l'élève comme s'il passait par l'intermédiaire d'un canal.

77 Vygotski aujourd' hui. Textes de base en psychologie, s.d. SCHEUWLY, B., BRüNCKART,l.P.,Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1985

généraux, le "fonctionnement mental supérieur de l'individu prend ses racines dans les processus sociaux ... Toutes les fonctions mentales supérieures sont des relations sociales intériorisées ... Leur organisation, leur structure génétique et leurs moyens d'action - en un mot, leur nature entière - est sociale ...". La pensée et la conscience sont détenninées par les activités réalisées avec les congénères dans un environnement social détenniné. L'individu, même s'il élabore seul son savoir, reste tributaire de son insertion sociale. Les situations scolaires que nous avons conçues

repos~ntsur ces hypothèses.

Chez Piaget, le conflit cognitif s'insère dans la théorie de l'équilibration, selon laquelle le développement de l'intelligence se fait par paliers successifs, àla suite d'une perturbation déclenchée par une confrontation entre la structure mentale et des éléments hétérogènes : "l'une des sources du progrès dans le développement des connaissances est à rechercher dans les déséquilibres comme tels, qui seuls obligent un sujetà dépasser un état actuel ... La source réelle du progrès estàrechercher dans la rééquilibration ... " 78. Certains conflits peuvent garder un caractère inconscient (inconscient cognitif que Piaget lie au processus de refoulement). Pour qu'il y ait progrès, il faut que s'opère chez le sujet une prise de conscience du conflit. Panni les facteurs favorisant cette prise de conscience des contradictions, les interactions sociales jouent un rôle essentiel, d'où la thèse du conflit socio-cognitif.

Les travaux qui ont donné naissance à la théorie du conflit socio-cognitif remontent aux années 1974-76. Des auteurs de l'école néo-piagétienne suisse (Doise, Mugny, Perret-Clennont) soutiennent que des conflits de nature exclusivement intra-individuelle ne peuvent être tenus pour suffisants et que "la cause première du progrès intellectuel n'est pasà chercher dans des confrontations intra-individuelles, mais dans les confrontations inter-individuelles" 79. Cette théorie intègre le constructivisme; elle combine le rôle moteur des conflits dans l'apprentissage développé par Piaget et la thèse de l'interaction sociale comme lieu privilégié de construction de la connaissance de Vygotski.

78 PIAGET,J. ,L'équilibration des structures cognitives,Paris, PUF, 1975p.17.

79 GILLY, M. , in Construction des savoirs, obstacles et conflits, BEDNARZ, N., GARNIER, C., Ottawa, ARC, 1989.

DOISE, W., MUGNY, G., Le développement social de l'intelligence, Paris, InterEditions, 1981.

PERRET-CLERMONT, A.N., La construction de l'intelligence dans l'interaction sociale.Berne, Peter Lang 1979

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Cette perspective s'intègre dans une théorie spiralaire du développement cognitif avec une succession alternée de phases où l'interaction sociale est nécessaire à la construction de nouveaux schèmes cognitifs et de phases où, grâce aux nouvelles compétences ainsi acquises, l'activité du sujet pennet à son tour de nouvelles constructions.

Toutefois, sans nier le fait que le conflit puisse être une condition très favorable au déclenchement du progrès cognitif, notamment pour déstabiliser les représentations, de nouveaux courants de recherche (avec des auteurs comme Michel Gilly) le considèrent, non comme le mécanisme central de l'apprentissage, mais comme une modalité panni d'autres. "Il ne suffit pas de faire travailler des enfants ensemble pour qu'ils en tirent un bénéfice cognitif individuel ... Il faut souligner le caractère complexe de la dynamique du conflit socio-cognitif puisqu'il faut que les sujets s'opposent tout en acceptant de coopérer dans la recherche d'un dépassement des dites oppositions, avec la volonté commune de parvenir à un accord excluant toute attitude sociale de dépendance, concession ou compromission."80

Autonomie et directivité

L'ensemble des hypothèses constructivistes suggère de privilégier des situations d'enseignement-apprentissage où l'élève a l'autonomie de la démarche. Dans celles que nous avons choisies, la réflexion des élèves n'est guidée par aucune consigne initiale et est rarement soutenue par l'enseignant au-delà de la Quatrième. La seule contrainte correspond à la constitution de petits groupes de travail (3à5 élèves).

Cela ne signifie pas que l'enseignant n'ait pas une fonction centrale dans cet apprentissage, mais ce rôle doit être pensé comme une fonction

"d'étayage" 81.L'adulte pennet aux élèves de progresser en les confrontant à des situations construites de manière à ce que l'apprenant intervienne activement.

Ces situations d'enseignement-apprentissage sont en fait très direc-tives : elles orientent le progrès soit vers la confrontation à une représenta-tion-obstacle, soit vers l'utilisation d'éléments conceptuels nouveaux. Elles répondent à la nécessité d'articuler la non-directivité dans le cheminement de conceptualisation et la directivité dans la définition des objectifs.

Il s'agit donc d'une démarche souple, ouverte, mais rigoureuse, applicable tant dans une situation de classe normale que dans un but de recherche.

80 GILLY M., op. cil., p.

81 BRUNER, l.S.,Le développement de l'enfant. Savoir faire, savoir dire, PUF, 1983.

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