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LE SAVOIR À ENSEIGNER

Dans le document Des nations à la Nation (Page 117-127)

RECOMPOSITION DIDACTIQUE

2.2. LE SAVOIR À ENSEIGNER

Notre recherche a été guidée par la préoccupation constante de rendre le concept de "nation" enseignable. Cela supposait d'une part lui conselVer sa validité scientifique et sa valeur heuristique, d'autre part répondre aux exigences institutionnelles des enseignements disciplinaires et aux capacités des élèves. Nous voulions prendre en compte l'ensemble des éléments de la relation didactique (savoir savant savoir à enseigner savoir enseigné -savoir acquis), avec comme difficulté supplémentaire de devoir enseigner un concept, démarche rarement formalisée en sciences sociales.

Entre des scientifiques, qui ne donnent pas au concept le même contenu ou se dérobent, et une pratique pédagogique souvent limitée àl'emploi du mot accompagné ou non d'une définition à caractère fermé, notre réflexion didactique trouvait un domaine d'exploration.

Le savoir

à

enseigner en histoire-géographie Les finalités générales et leur tension interne

Enseigner le concept de "nation" s'inscrit dans des cadres disciplinaires, dont celui de l'histoire-géographie et de l'éducation civique.

Plusieurs types de finalité inhérentes au système éducatif justifient l'existence de ces disciplines scolaires67.

- Des finalités scientifiques. Au-delà de l'apprentissage des résultats de la recherche, il s'agit d'initier les élèves à la démarche des historiens et des géographes : comprendre leurs problématiques, leurs méthodes, leurs modèles explicatifs. Tout ceci implique que les élèves aient à connaître les conditions de production et les critères de validité des savoirs, à apprécier ce qu'est une posture intellectuelle scientifique ... En fait, l'enseignant devrait pennettre à l'élève de réfléchir sur le fait que tout savoir est élaboré à partir d'un point de vue et par conséquent que, comme tout discours, le discours scientifique doit être soumis à l'esprit critique. Ce discours ne devrait pas non plus se confondre avec la réalité dont il parle, même s'il produit un effet de réel. Ces finalités supposent distanciation et autonomie de jugement. A l'école élémentaire histoire, géographie, éducation civique "initient, les élèvesà un mode particulier de rigueur et d'explication de la réalité,. elles

67 Cette partie s'inspire des travaux de AUDIGIER F. "Savoirs scolaires - savoirs de référence" in Bulletin de l'AECSE, juin-juillet 1992, 10 pages

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leur apprennent des méthodes spécifiques d'organisation, d'interprétation et de comparaison des connaissances".68

Construire un concept participe de ces préoccupations : les élèves par une démarche critique sur leur propre discours doivent forger leurs propres outils de pensée pour lire des situations historiques. Cet apprentissage démarre tôt dans la scolarité et ne peut ignorer "Nation", un des concepts indispensables àl'intelligibilité de la période contemporaine, a fortiori du temps présent.

De plus, les connaissances positives et légitimes qui lui servent de références renvoient àun grand nombre de disciplines, scolaires ou non, (droit, économie, sociologie, philosophie, ethnologie ... ) dont l 'histoire-géographie doit rendre compte.

- Des finalités culturelles. Les savoirs scolaires servent aussi à transmettre une mémoire, des repères collectifs, un patrimoine commun, afin de pennettre la communication et la vie sociale dans le cadre national.

Cet ensemble de connaissances, de valeurs, d'images, de mythes, l'élève doit le faire sien. fi doit adhéreràune certaine façon de penser les relations entre les hommes, de regarder le passé, de concevoir le fonctionnement social. L'introduction générale de l'histoire-géographie dans les systèmes éducatifs est contemporaine de l'affirmation des États-nations et de la volonté des autorités politiques d"'instituer" la nation."La connaissance de notre héritage historique, l'assimilation du patrimoine politique et culturel de la France, la découverte des richesses de notre peuple et de notre pays sont indispensables à la formation du citoyen français. L' histoire et la géographie participent à l'apparition chez l'élève de la conscience nationale ..."disent les instructions de 1985 pour l'école élémentaire 69.Le partage de la culture nationale à travers les programmes d 'histoire-géographie doit contribuer à intégrer les élèves dans la communauté nationale, à les socialiser et à les naturaliser, c'est-à-dire les conduire à intérioriser les normes de la nation, àles faire leurs. Ces fmalités culturelles participent plus de l'esprit civique que de l'esprit critique, de l'adhésion que de la contestation, de la nonnalisation que de l'autonomie.

Quelle est alors la place du concept de nation? Si le concept relève de la finalité scientifique, le mot n'en a pas moins un contenu affectif, il renvoie àdes valeurs, qui contribuent àstructurer la personnalité et permettent l'insertion dans une communauté. Faut-il au nom de la raison déconstruire et reconstruire le sens commun de "nation" pour lui donner une

68 École élémentaire, programmes et instructions,BOEN, CNDP, 1985, p. 58 69 ib, pp. 57-58

légitimité autre que celle de l'affectivité et de l'usage? Est-ce souhaitable?

nécessaire ? opportun ? Quelles peuvent être les relations entre le sens commun partagé et le conceptàconstruire?

- Des finalités sociales ou pratiques. Les savoirs scolaires en histoire-géographie permettent certains usages de la vie quotidienne (connaître le fonctionnement de la vie politique, de certaines institutions, comprendre les medias, se repérer dans l'espace, lire une carte ...) et fournissent aussi des compétences nécessaires au niveau scolaire : passer dan's la classe supérieure, réussir l'examen. Comment intégrer l'apprentissage d'un concept dans ce type de préoccupations?

L'ensemble de ces finalités pèse sur la conception de l'acte pédagogique et sur son contenu. Cette tension inhérente au système éducatif socialisé est présente chez les élèves tout comme chez les enseignants. Des concepts comme celui de "nation" renvoient au registre de la culture partagée, et donc au sens commun, et au registre scientifique, sous les deux facettes d'objet d'étude et de concept. Les relations entre le sens commun partagé et le concept à construire paraissent antagonistes : à l'adhésion identitaire répond la distance critique, à l'affectif, le rationnel, à une légitimité sociale, une légitimité scientifique. Valeurs, affects, réflexion se mêlent à l'évocation du mot. "Nation" est aussi traversé par des enjeux.

Cause à défendre pour les acteurs politiques et intellectuels, la nation donne lieuàdes affrontements idéologiques etàdes attitudes partisanes. "Nation", tout comme de nombreux concepts en sciences sociales, se situe donc au contact de la sphère privée et de la sphère publique, participe de cette tension entre le particulier et l'universel, entre le rationnel et l'irrationnel, entre la pensée et le comportement, entre l'idée et la valeur.

Nous avons fait l 'hypothèse que l'apprentissage d'un savoir conceptuel précis et valide pennettrait de dépasser les tensions entre les exigences d'intelligibilité du social et les exigences de sensibilité partagée.

Programmes et instructions d' histoire-géographie, enseigner des concepts à travers des objets historiques

Si les finalités générales du système éducatif sont sans cesse rappelées dans les présentations de programme, les objets à étudier sont soumis aux pressions du moment, tout comme les indications sur la manière de les traiter. Ainsi en est-il de "nation" au travers des programmes du second cycle depuis le début du vingtième siècle.

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En voici quelques exemples :

- en 1902, c'est au cours de morale et de philosophie que les élèves devaient étudier "la nation et les relations des nations entre elles" ;

- en 1929, le programme de philosophie comprend l'étude de "la nation et la loi" sous la rubrique "morale civique et politique". Ce qui prépare après 1945 son intégration au programme d'instruction civique;

- parfois, c'est en géographie que la nation doit être abordée, sous l'angle de la formation de la nation française, souvent en liaison explicite avec les problèmes démographiques (en Première en 1902, en Quatrième en 1925, en Troisième en 1945, en Première en 1955) ;

- en histoire, le terme n'est, avant 1986, employé que sous la forme de l'adjectif: "les mouvements nationaux", après 1945, "les résistances nationales" ou alors sous l'intitulé de "le réveil des nationalités".

L'enseignement de "nation" est lié àl'idée tantôt de patrie, tantôt d 'humanité,àla population française, àl'État, au territoire,àla République.

"Nation" apparaît donc àla fois dans le registre politique, celui des rapports de force, et dans le registre de la morale, celui des droits et devoirs des citoyens. L'objectif n'est pas alors d'acquérir un concept mais de comprendre un phénomène historique ou d'éveiller les vertus civiques.

La période récente accentue encore le lien des programmes avec les évolutions idéologiques générales et avec l 'historiographie. Après 1962 où son effacement marque une rupture nette, que ce soit pour ce qui concerne la France ou pour le phénomène en général, la place de "nation" reste modeste jusqu'aux nouveaux programmes de 1985 pour les écoles et collèges, et en

1986,87,88 pour les lycées d'enseignement général :

- éducation civique du cours élémentaire: "la patrie : unité et identité nationales" ;

- éducation civique du cours moyen: "la nation etl'humanité" ;

- éducation civique de la classe de troisième: "la Nation, l'État, la République" ;

- histoire, classe de seconde, troisième partie intitulée: "Économies, sociétés et nations en Europe" qui doit traiter des mouvements nationaux et. des idéologies modernes dont le nationalisme ;

- géographie de Première A, B, S : "De la préhistoire à l'émergence d'un État français et d'une nation, la formation d'un espace national, un carrefour de peuples et d'influences" ;

- histoire en Tenninale A, B, C, D : "nationalismes et indépendances en Asie et en Afrique" ; "la France: identité nationale" ; "Diversité du monde:

identités nationales, le problème de la cohésion nationale".

Aux préoccupations de la société répondent des lectures idéologiques différentes de l 'histoire et du temps présent. Les liens entre les libellés de programme et lets interrogations de la société civile écartelée entre la dimension régionale et la construction de la Communauté Économique Européenne, confrontée à la présence d'immigrés sur le territoire, sont fonnulés clairement dans la présentation du programme de géographie de Première : "L'étude de la France d' aujourd' hui reflète nécessairement... les préoccupations des Français, la manière dont ils vivent leur appartenanceà la ~ommunauté nationale." Il n'est pas étonnant donc que soit privilégié l'angle de l'identité pour approcher la "nation" et que, en Tenninale, la décolonisation soit transcrite sous la rubrique de "nationalisme". Il n'est pas étonnant non plus que les allégements de programme pour le baccalauréat portent sur ces chapitres-là tant ils apparaissent difficiles à traiter en dehors de toute vision partisane.

D'autres transformations se sont également fait jour dans la présentation des programmes. Dès 1981, l'accent est porté sur la nécessité de mettre en place ou d'approfondir des concepts; celui qui est au coeur du programme, c'est celui de "civilisation". En 1987, dans les compléments de Seconde, en histoire, àpropos des mouvements nationaux au XIXe siècle, il est précisé : "L'évolution progressive du concept de nation tel qu'il a été hérité de la Révolution à celui de nationalisme qui triomphe à la fin du siècle." Ceci vient en accompagnement du commentaire du début de programme: "s'édifie un État qui en France, ... est inséparable de la nation".

Une autre innovation des libellés fait intervenir l'ethnie dans les classifications officielles des programmes : "On mettra l'accent sur la diversité ethnique de l'Empire austro-hongrois"(histoire, Première, 1987).

Il est à noter cependant que s'il s'agit bien de mettre en place le concept de nation, nommément désigné et un des rares à l'être, il n'est aucun chapitre qui s'intitule : "le concept de nation". C'est donc bien à travers les tranches d 'histoire ou les sujets de géographie, doncàtravers des situations précises et des objets bien détenninés que s'amorce l'étude.

Comment passer du cas particulier au concept, ni les instructions ni les compléments ne le disent, si ce n'est par l'invitation à la pratique de l'induction. Est-ce par manque de réflexion théorique sur le concept? Est-ce pour ne pas heurter la pratique enseignante ?

Ainsi, les programmes entretiennent-ils et la coexistence des fmalités civiques et scientifiques et la confusion entre un objet historique ou géographique et le concept qui n'est qu'un outil pour l'interpréter mais qui relève d'une toute autre démarche.

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Le savoir

à

enseigner en sciences économiques et sociales (SES)

Les différentes [matités précédemment évoquées se retrouvent aussi dans l'enseignement des sciences économiques et sociales. Les finalités sociales, civiques, culturelles semblent même avoir dans la présentation des programmes une place plus importante. Dès la Seconde, qui est en SES une classe d'initiation, "la formation sociale du citoyen, nécessaire au fonctionnement de la démocratie" 70, est présentée comme une finalité importante. Pour les deux années suivantes, panni les principales finalités, figure l'accès à "une meilleure compréhension de la société dans laquelle vivent les élèves", la capacité à "mieux tirer parti des moyens d'information ou de communications actuels",la fonnation à un "comportement d'adultes plus lucides, plus libres, plus conscients de leur responsabilité."Du côté des finalités scientifiques, la prise en considération de la diversité des paradigmes idéologiques, sans mettre en cause la rigueur de la pensée, ne peut conduire à un enseignement dogmatique, tout au moins en Première et en Tenninale.

Les finalités annoncées et les particularités de la démarche en SES semblent constituer des facteurs propices à l'apprentissage conceptuel. En fait, si cela reste à vérifier pour d'autres concepts, ce n'est guère le cas pour

"nation". La raison fondamentale en est que la nation n'est pas une catégorie centrale dans le champ de l'économie et de la sociologie. Les situations d'apprentissage s'inscrivent rarement dans des problématiques en tennes de nation.

En Seconde et en Première, la référence à la société française contemporaine comme base d'étude est explicite. Le tenne "société" semble avoir été choisi à la fois comme le plus englobant et comme accentuant la dimension sociologique dans la discipline scolaire.

Cependant, dans le programme de Première, centré sur la France, l'intitulé "culture et société" est accompagné d'un commentaire dans lequel sont évoqués"l'unité et la diversité culturelles de la nation". Nous sommes là simultanément sur le registre de la société et sur celui de la nation : le manque de rigueur de cette présentation ne peut que peser sur la validité des concepts enseignés. Ce n'est pas non plus la rigueur qui semble présider à l'approche du système politique français : le commentaire est centré sur l'État ("étude ... du cadre institutionnel ... et celle des forces qui agissent sur ce cadre") alors que le libellé commence par "la nation etl'État". Inciter à

70 BOEN N°22, 9 juin 1988, p.154 ; les citations qui suivent ont la même origine.

une réflexion sur la mise en regard de ces deux concepts aurait évité que l'introduction de "nation" ne semble artificielle.

Une partie importante du programme est consacrée à "['économie nationale" : a priori, la nation semble un cadre pertinent d'étude des faits économiques. En fait l'usage de l'adjectif national réfère au territoire, comme pour la comptabilité "nationale" qui est en fait "territoriale" : nous nous situons donc au niveau de l'État, garant de la souveraineté nationale et porteur de l'intérêt national.

En outre, dans le libellé de ce programme, le concept n'apparaît qu'à travers trois attributs, eux-mêmes isolés : l'IDENTITÉ à travers "l'unité et la diversité culturelles de la nation", la SOUVERAINETÉ à travers le

"cadre institutionnel", le TERRITOIRE à travers "l'économie nationale".

Le programme de la classe de Terminale est présenté comme un

"élargissement de celui de Premièreàl'étude d'ensemble du développement économique et social dans le monde d' aujourd' hui". En fait, depuis les programmes de 1980-81, il s'agit plutôt d'un changement de registre. En 1969-70, lors de la création de la discipline, le programme était plutôt bâti sur la comparaison d'économies nationales. Actuellement, le caractère systémique de l'analyse et la place des paradigmes idéologiques l'emporte.

Les référents nationaux sont utilisés pour la contextualisation et l'exemplarisation, puisqu'à travers la trame thématique du programme c'est l'internationalisation des économies qui est mise en évidence.

Se succèdent donc deux priorités : l'une incite à l'adhésion aux valeurs civiques de la nation-France, l'autre à une distanciation imposée par l'approche mondialiste.

La place ambiguë de ce concept dans les savoirs scolaires en sciences économiques et sociales, sa marginalité par rapport aux clés de lecture des situations socio-économiques, expliquent la relativement faible part de cette discipline dans cette recherche.

La démarche de recomposition didactique

La démarche de l'enseignant, si elle est contrainte par les finalités et les programmes dont nous avons relevé les contradictions internes, est aussi tributaire des savoirs savants dont elle prétend assurer la transmission en conservant le mieux possible la validité et en cherchant à leur donner une cohérence.

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Une recomposition didactique: pourquoi?

Le savoir scolaire présente des caractères fort différents du savoir savant du fait de son objet, de ses finalités, des attentes scolaires.

Ethnologie, sociologie, droit ... se trouvent portés par l'histoire-géographie et pour certaines sections par les sciences économiques et sociales. En l'occurrence ces disciplines sont chargées de fournir aux élèves le discours des sciences sociales sur le concept de nation.

Or, le savoir de référence concernant "nation", éclaté, multiple, agité de débats parfois polémiques, reflète une connaissance en cours d'élaboration. Les différentes problématiques ne se complètent pas en une approche exhaustive, au contraire leur diversité actuelle, au lieu d'élucider le contenu du concept, l'opacifie. En effet, les scientifiques entretiennent souvent la confusion entre concept et objet historique ou même entre

"nation" et les concepts proches. Parfois ils ne l'abordent qu'à travers les idéologies, par l'entrée du nationalisme. Hors de leur domaine de compétence, les scientifiques se trouvent en situation d'utilisateurs des résultats de leurs confrères, sans qu'il leur soit possible d'en vérifier systématiquement la validité par le retour personnel aux sources. Rien d'étonnant, malgré les dénégations de certains chercheurs, à voir se reproduire des interprétations largement schématisées. C'est notamment le cas de la pensée de Fichte dont la tradition universitaire a fait le prototype de la conception allemande de la nation, encore dite pensée romantique, alors que ses propos apparaissent bien plus nuancés.

Si ce danger guette les scientifiques, il piège massivement les enseignants contraints dans les divers programmes de traiter tant de sujets.

Comment préseIVer la scientificité des propos ? Comment éviter le recours général au sens commun? Impossible de parcourir soi-même l'itinéraire des scientifiques. Impossible de le faire partager aux élèves. Force est donc de se limiter aux résultats. Mais lesquels ? ils sont si nombreux !

Or, qu'attendent les élèves dans le cadre scolaire, sinon un discours générique qui fait autorité, un savoir estampillé ? Toute incertitude sur les contenus nuitàleur transfonnation en savoir. Aux yeux des élèves, le savoir doit être cohérent, consensuel, rassurant, intangible ; facile à mémoriser parce que fonnulé dans une perspective positive et donc facile à reproduire ; aseptisé, neutre, "objectif'. Toute la tradition scolaire, les modalités générales d'évaluation, la prédominance du factuel, confortent cette attitude.

L'enseignement d'un concept s'inscrit dès lors dans une double rupture. Il rompt avec les énoncés positifs des programmes et il introduit une part

d'autonomie dans le savoir. Il impose de concevoir des outils nouveaux.

Rendre le concept enseignable supposerait que:

- soient définis les contenus à enseigner (contenu du concept et objets appropriés figurant dans les programmes),

- soient conçus des exercices spécifiques à destination des élèves dont un objectif au moins vise un des énoncés de la trame conceptuelle,

-soient envisagés des critères d'évaluation afin de contrôler si l'élève a produit un sens pertinent à propos de la situation historique, géographique ou socio-économique qui lui a été soumise.

Telle n'a pas été notre démarche, parce que nous visions moins à

"enseigner" le concept qu'à observer les processus par lesquels l'élève se l'appropriait.

Pour choisir les opportunités les plus favorables à cet apprentissage, et pour en analyser le fonctionnement, ilnous a été nécessaire d'établir la différence entre objet (historique, géographique, socio-économique) et concept (acte de la pensée qui pennet une lecture du social). Nous avons dû définir les attributs du concept, tisser les multiples relations qui s'établissent entre les attributs et qui composent la trame conceptuelle, démarquer le concept de nation des concepts proches qui en constituent le réseau conceptuel. Bref, nous avons élaboré untype de savoir qui est loin du sens commun, qui ne ressemble pas non plus aux savoirs savants auxquels il se réfère (voir la partie 1.3).lin'en estnile décalque, ni la réduction, ni mênle la synthèse. Notre démarche est une véritable recomposition, une création didactique.

Une recomposition didactique: faut-il institutionnaliser un savoir conceptuel?

Un savoir à enseigner est un savoir institutionnalisé* 71. Mais comment institutionnaliser un savoir conceptuel ? En général, l'institutionnalisation se fait par l'intermédiaire d'une définition. Or, un concept relationnel du type de celui de nation, même encadré par ses attributs, ne peut se métamorphoser en concept catégoriel, fenné, nonnatif.

Il ne peut s'énoncer sous la forme d'un inventaire, accompagné éventuellement d'exemples-types, sans perdre sa fonction instrumentale privilégiée qui est de permettre la lecture de situations particulières. Réduità

71 en témoignent toutes les observations menées dans le cadre de l' INRP, en particulier dans la recherche descriptive de l'articulation Troisième-Seconde in Les enseignements en Troisième et Seconde: ruptures et continuités.Paris, INRp'l 1993.

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