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Chapitre 1. Exécutants, ennemis intérieurs et populations civiles

A. Le cas de Myrna Mack Chang

8. Une justice chancelante et partielle

Le jugement de première instance qui condamna Beteta à 30 ans de prison a été porté en appel par le ministère Public et la famille Mack parce que les juges, en condamnant l’auteur matériel du crime, avaient refusé d’ordonner la poursuite d’une enquête judiciaire sur la participation de ses complices et la responsabilité pénale de leurs supérieurs ayant ordonné l’assassinat65. Le 28 avril 1993, la Cour d’appel confirmait l’arrêt du tribunal de première instance dans son intégralité, c’est-à-dire la sentence prononcée contre Beteta ainsi que le refus de la Cour de poursuivre l’enquête sur l’implication des officiers supérieurs du sergent-major66. Porté en appel à son tour, le jugement de deuxième instance a été renversé par la Cour suprême du Guatemala le 9 février 1994. Si Beteta devait toujours purger sa peine d’emprisonnement, la Cour suprême ordonnait l’ouverture d’un procès contre ses supérieurs, dont, en ordre ascendant, le lieutenant-colonel Juan Guillermo Oliva Carrera, sous commandant du

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Sixième entrevue de Lemus Alvarado avec Beteta Álvarez, Guatemala, le 7 juin 1994; Juzgado Tercero de Primera Instancia Penal, « Sentencia condenatoria contra Noel de Jesús Beteta Álvarez », le 12 février 1993, 27-28.

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Juzgado Tercero de Primera Instancia Penal, « Sentencia condenatoria contra Noel de Jesús Beteta Álvarez », le 12 février 1993.

66 Sala Cuarta de la Corte de Apelaciones, « [Sentencia de segunda instancia caso Myrna Mack] »,

département de Sécurité de l’état-major présidentiel; le colonel d’artillerie Juan Valencia Osorio, commandant du même département de Sécurité; et le général de division Edgar Augusto Godoy Gaitán, commandant de l’état-major présidentiel67.

Après huit ans de mesures dilatoires et de débats techniques sur la compétence des tribunaux civils dans une affaire impliquant des militaires, d’intimidations et de menaces de toutes sortes, de juges qui se dessaisissent du dossier, de témoins assassinés et exilés et de preuves qui disparaissent, le procès contre les militaires a finalement eu lieu du 3 septembre au 3 octobre 200268. Dans un jugement partagé, le tribunal de première instance condamnait le colonel Valencia Osorio à 30 ans de prison, mais acquittait le général Godoy Gaitán et le lieutenant-colonel Oliva Carrera, faute de preuves69. Les parties ont choisi de porter le jugement en appel : l’accusé en vue de renverser sa condamnation; les plaignants pour tenter de faire condamner non pas un seul, mais les trois officiers accusés de meurtre. Le 7 mai 2003, toutefois, le tribunal d’appel décidait d’absoudre complètement les trois militaires, dont Valencia Osorio, qui a aussitôt été libéré70. Saisie de l’affaire, la Cour suprême restitua le jugement de première instance en janvier 2004, ordonnant l’arrestation immédiate du colonel Valencia Osorio et son

67 Corte Suprema de Justicia, « Casación de la sentencia de primera instancia », Guatemala, le 9 février

1994, [En ligne],

http://www.myrnamack.org.gt/index.php/casomyrnamack/procesonacional/sentencias19932004 (document consulté le 11 août 2011).

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Pour une énumération détaillée des mesures qui ont retardé l’ouverture du procès, ainsi que les agressions, menaces et autres formes d’intimidation dont ont été l’objet les protagonistes de la saga judiciaire qui entoura la mort de Myrna Mack, voir Corte IDH, « Caso Myrna Mack Chang vs. Guatemala », San José, le 25 novembre 2003, 11-12, 31, 37, 38, 42, 62-85, 94, 99, 103-109, 111-114.

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Tribunal Tercero de Sentencia Penal, Narcoactividad y Delitos Contra el Ambiente, « [Sentencia Primera Instancia Tribunal Tercero] », Guatemala, le 3 octobre 2002.

70 Sala Cuarta de la Corte de Apelaciones, « [Sentencia en virtud de Recursos de Apelación Especial] »,

Guatemala, le 7 mai 2003, [En ligne],

http://www.myrnamack.org.gt/index.php/casomyrnamack/procesonacional/sentencias19932004 (document consulté le 11 août 2011); Corte IDH, « Caso Myrna Mack Chang vs. Guatemala », San José, le 25 novembre 2003, 96.

incarcération pour une période de 30 ans71. Selon le journaliste et écrivain Francisco Goldman, des soldats de l’armée guatémaltèque auraient rejoint le colonel à son domicile avant que les huissiers de la Cour et les forces policières puissent l’arrêter. Ses compagnons d’armes auraient ainsi facilité sa fuite et le militaire fugitif serait toujours en cavale72.

En 2003, alors que les auteurs intellectuels de la mort de Myrna Mack avaient tous été acquittés, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme condamnait le Guatemala pour les préjudices occasionnés à la famille de la victime par le déni de justice et l’absence de sanction. Dans son jugement du 25 novembre 2003, le tribunal international prit le temps de réfléchir sur la façon dont l’anthropologue avait été tuée en 1990 ainsi que sur les moyens qui avaient été déployés par l’État guatémaltèque afin d’assurer l’impunité des militaires responsables de sa mort. Sur le mode opératoire des assassins, la Cour affirmait que

les exécutions arbitraires généralement sélectives résultaient d’opérations réalisées par les organisations de renseignement de l’État et partageaient des caractéristiques et des structures (patrones) communes. En premier lieu, on identifie le sujet ou les sujets qui seront l’objet de l’action de renseignement. Ensuite, on recueille des informations détaillées sur la personne, on contrôle les communications de la personne et on effectue une filature dans le but de déterminer sa routine quotidienne. L’information obtenue est évaluée et interprétée afin de planifier l’opération. On choisit le personnel qui y participera, leurs fonctions, qui sera le responsable, les véhicules et les armes qui seront utilisés et on détermine si l’opération sera publique ou clandestine. Les ordres étaient verbaux et aucun document écrit n’était conservé ni de la décision ni de la planification dans le but de garantir que l’opération reste secrète. […] La décision d’exécuter certaines personnes était accompagnée d’actes et de manœuvres visant à faire obstacle aux démarches juridiques intentées afin d’élucider les faits et de sanctionner les responsables73.

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Cámara Penal de la Corte Suprema de Justicia, « Recurso de Casación », Guatemala, le 7 janvier 2004, [En ligne],

http://www.myrnamack.org.gt/index.php/casomyrnamack/procesonacional/sentencias19932004 (document consulté le 11 août 2011).

72 Francisco Goldman, The Art of Political Murder: Who Killed the Bishop? New York, Grove Press, 2007,

281.

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Selon la Cour interaméricaine, la mort de Myrna Mack aurait résulté « d’une opération clandestine du service de renseignement militaire réalisée par l’état-major présidentiel et tolérée par différentes autorités et institutions ». Cette opération aurait comporté trois phases. D’abord, Myrna Mack aurait été ciblée parce que ses activités professionnelles posaient un problème de nature politique pour certaines autorités qui n’ont pas hésité à les associer aux actions des rebelles armés. Ensuite, Myrna Mack aurait été surveillée, prise en filature et exécutée extrajudiciairement par des spécialistes de l’état-major présidentiel selon une opération soigneusement préparée par leurs commandants. Enfin, la dernière phase de l’opération visait à assurer l’impunité des effectifs impliqués et ainsi préserver les structures de l’organisation clandestine sise au sein du gouvernement guatémaltèque. En ce sens, la Cour interaméricaine conclut que l’assassinat de Myrna Mack correspondait à un schéma identifiable d’exécutions sommaires de nature sélective promulgué et toléré par l’État74.

B. Le témoignage de Noel de Jesús Beteta Álvarez comme source historique