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Chapitre 1. Exécutants, ennemis intérieurs et populations civiles

B. Le témoignage de Noel de Jesús Beteta Álvarez comme source historique

4. La cohérence du récit

Mais, qu’en est-il de la validité même des propos de Beteta Álvarez? L’une des inconsistances les plus frappantes de son témoignage concerne la participation de complices au meurtre. Or, contrairement à la version des faits proposée par la poursuite dans le cadre de son

104 Ibid., 29; Deuxième, troisième, quatrième et cinquième entrevues de Lemus Alvarado avec Beteta

Álvarez, Guatemala, les 29 mars, 7, 12 et 26 avril 1994.

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Tribunal Tercero de Sentencia Penal, « [Sentencia Primera Instancia Tribunal Tercero] », Guatemala, le 3 octobre 2002, 24.

106 Première, deuxième et quatrième entrevues de Lemus Alvarado avec Beteta Álvarez, Guatemala, les 16

procès, Beteta Álvarez dit avoir agi seul au moment d’assassiner l’anthropologue, même s’il admet avoir compté sur l’appui d’un collègue pour se déplacer au moment de prendre Myrna Mack en filature107. Toutefois, nombreux ont été les témoins qui disaient avoir vu Beteta accompagné d’un, de deux et parfois de trois hommes lors des jours et des semaines qui ont précédé l’assassinat108.

De plus, un passant présent dans les environs du meurtre le 11 septembre 1990 a déclaré que deux hommes – et non un seul, comme le prétend Beteta – avaient suivi Myrna Mack depuis sa sortie des bureaux d’AVANCSO jusqu’à sa voiture, avant de lui donner la mort à coups de poignard. Selon le résumé de son témoignage, retenu par le tribunal, deux hommes auraient suivi puis agrippé la victime sur la 12e rue, la jetant par terre avant de se pencher sur elle pour la poignarder. Les deux hommes auraient ensuite pris la fuite ensemble, le témoin ayant observé qu’ils tenaient des sacs de plastique à la main au moment de quitter les lieux. S’approchant de la victime dans les secondes qui ont suivi le drame, le témoin constata qu’elle était morte109. Cette contradiction aurait soulevé des doutes quant à la bonne foi de Beteta. Commentant en direct la sixième entrevue, que Lemus Alvarado avait offert en exclusivité à une radio commerciale en 1994, Helen Mack remarqua que Beteta donnait « des détails du crime, mais il ne veut pas mettre en cause d’autres personnes qui sont aussi impliquées dans le crime

107 Troisième, quatrième et cinquième entrevues de Lemus Alvarado avec Beteta Álvarez, Guatemala, les 7

et 12 avril et 7 juin 1994.

108

Juzgado Tercero de Primera Instancia Penal, « Sentencia condenatoria contra Noel de Jesús Beteta Álvarez », Guatemala, le 12 février 1993, 17-19, 21; Sala Cuarta de la Corte de Apelaciones, « [Sentencia de segunda instancia] », Guatemala, le 28 avril de 1993, 7-9; Corte Suprema de Justicia, « Casación de la sentencia de primera instancia », Guatemala, le 9 février 1994, 30-31.

109 Sala Cuarta de la Corte de Apelaciones, « [Sentencia de segunda instancia] », Guatemala, le 28 avril de

1993, 13-14; Corte Suprema de Justicia, « Casación de la sentencia de primera instancia », Guatemala, le 9 février 1994, 10-11.

et c’est ça qui éveille un doute quant à la véracité de ce qu’il avance, car il n’était pas seul au moment de commettre son crime110 ».

Lors de la même émission, Lemus Alvarado expliquait que Beteta refusait de mêler d’autres subalternes comme lui à cette histoire parce qu’il savait que l’armée sévirait contre eux et il voulait leur éviter des représailles. « Notre idée, disait Lemus Alvarado sur les ondes de la chaîne Emisoras Unidas, c’est que les pauvres cessent de souffrir autant et qu’enfin on arrive aux [auteurs] intellectuels, c’est pour ça que l’on met plus d’attention ici sur ceux qui étaient [les supérieurs de Beteta] et non sur les personnes qui partageaient le même rang que lui ». Selon Lemus, la fuite de Beteta aux États-Unis en 1990 aurait justement été provoquée par la mort violente de son coéquipier lors de l’assassinat, six jours seulement après qu’ils aient exécuté l’ordre du colonel Valencia Osorio111. Lors de la quatrième entrevue, Beteta affirmait, en effet, ne pas chercher à dénoncer ses collègues de rangs intermédiaires qui, comme lui, cherchaient à subvenir aux besoins de leurs familles en effectuant le travail qu’on leur ordonnait de faire. Il confirmait, toutefois, que les 20 ou 30 membres de son groupe de choc étaient tous coupables d’avoir commis des crimes de sang112.

Il est important aussi de souligner que les enregistrements des entretiens entre Lemus Alvarado et Beteta Álvarez n’ont pas été acceptés à l’unanimité par les juges du tribunal de première instance chargé de juger les supérieurs du meurtrier en 2002. Le juge Carlos Rudy Chin Rodríguez marqua son désaccord dans une opinion dissidente jointe au jugement de la Cour. Selon lui, les enregistrements n’auraient pas été présentés comme éléments de preuve à la Cour conformément aux stipulations du Code pénal. De plus, leur contenu n’aurait pas été ratifié par les deux personnes impliquées dans leur production. Au contraire, souligne le juge, Beteta

110 Flores, Myrna y Helen, 150. 111 Ibid., 151.

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Álvarez, lors du procès, nia « de façon claire et catégorique que les inculpés lui aient donné l’ordre de tuer Myrna Elizabeth Mack Chang ». Pour ces raisons, Chin Rodríguez était d’avis que les enregistrements devaient être rejetés comme preuve et le colonel Valencia Osorio absout par la Cour113. Le juge Chin s’opposait à la présentation des enregistrements en preuve sur une question de procédure dans le but évident d’acquitter un des premiers colonels à être poursuivi pour l’exécution d’un civil dans le cadre du conflit armé guatémaltèque. Cependant, il ne remit pas en cause leur contenu. Or, un ultime élément pourrait corroborer les propos de Beteta Álvarez : d’autres témoignages pouvant les confirmer ou les mettre en contexte.