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Une interdisciplinarité globalement peu développée

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CHAPITRE 2. LES CONTEXTES LOCAUX DE LA PRATIQUE

2.3 D ES ORGANISATIONS ET DES INTERACTIONS DIVERSES

2.3.2 Un modèle libéral fondé sur l’autonomie individuelle

2.3.2.1 Une interdisciplinarité globalement peu développée

La multidisciplinarité des équipes est souvent plus restreinte en privé qu’en public. Les équipes ne comptent pas de sages-femmes. Leurs tâches sont réparties entre les gynécologues et les secrétaires, qui remplissent certaines tâches assurées à l’hôpital par les sages-femmes.

De même, les psychologues sont souvent absents. Les professionnels doivent dans ce cas envoyer les couples vers des intervenants extérieurs. Les couples doivent alors payer leur consultation avec des dépassements d’honoraires, ce qui pose des problème d’accès. Lorsque des psychologues travaillent au sein des structures libérales, leur activité est rarement dédiée à l’infertilité. Il en va ainsi à l’hôpital Américain, où ce professionnel reste disponible sur demande des médecins et/ou des couples. À l’hôpital privé de la Seine-Saint-Denis, les deux psychologues de la clinique reçoivent certains couples infertiles, mais ils exercent au sein du pôle mère-enfant. Même si Patrice Clément précise que leur présence résulte d’une « volonté de l’établissement », leur place semble marginale. Ils sont parfois présents aux staffs, mais il avoue qu’ils sont un peu en retrait. Si c’est peut-être une question de personnalité, il reconnaît la domination symbolique qu’elles subissent et l’intérêt limité des médecins pour ces problématiques : « C’est aussi de notre faute parce que pendant les staffs, nous restons sur un discours très médical et nous abordons assez rarement le sujet de la problématique du couple ». Face à l’importance d’aider les couples à « faire le deuil de leur fertilité », Patrice Clément regrette que leurs compétences ne soient pas davantage valorisées. Il a plaidé en vain à la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction, lors de la rédaction du guide de bonnes pratiques de 2008 pour que « la présence du psychologue soit presque obligatoire ». Cela aurait permis que les frais des consultations soient pris en charge par la collectivité, mais aussi qu’elles soient mieux acceptées par les couples.

À Jean Villar cependant, les couples doivent rencontrer le psychologue de manière systématique dès l’entrée dans le parcours, pour discuter des « aspects non-techniques », explique Xénia Lechat. Elle justifie ce choix en rappelant son ancrage historique : cette consultation a été mise en place trente ans auparavant, dès le début de l’activité. Cette démarche est un gage de qualité : « Nous l’avons inscrit dans notre démarche qualité, cela fait partie du parcours de soins ». Cependant, son caractère obligatoire soulève deux problèmes. Le premier est économique, le second est relatif à l’autonomie du couple : « Cette décision pose la

problématique du règlement, puisque c’est une consultation que nous imposons et qui n’est pas remboursée par la Sécurité Sociale. En plus, nous imposons le praticien ».

En libéral, la place des biologistes est hétérogène. Ils ont globalement plus de difficultés à s’imposer dans le processus décisionnel, face à l’individualisation des pratiques dans ce secteur.

Christophe Sifer explique l’exercice libéral est plus susceptible de générer l’éviction des biologistes du processus décisionnel : « Le gynécologue voit un patient en consultation, décide de faire une FIV ou une ICSI en fonction des examens prescrits, mais cette tentative ne sera pas discutée par les biologistes qui l’applique. C’est de la prestation de service ». Le terme de « prestataire de services » peut être perçu comme dévalorisant pour le biologiste, puisqu’il réduit son travail à la prestation, c’est-à-dire la réponse qu’il est contraint d’apporter à une demande. Le mot « service » dénigre dans un même mouvement l’intervention du biologiste, son rôle diagnostic et les responsabilités qui lui incombent. L’utilisation volontairement provocante de ce terme entraîne une réaction défensive de Jérôme Pfeffer, qui rejette ce dénominatif : « Le laboratoire met à disposition des structures et des moyens très importants. Nous ne sommes pas des prestataires de service ». Il rappelle que les biologistes se sont mobilisés pour une meilleure reconnaissance de leur profession et pour être valorisés comme un partenaire, à l’interface entre le patient et le clinicien. Jérôme Pfeffer réhabilite la biologie par sa dimension médicale : « C’est une biologie médicale. Nous sommes avant tout des praticiens de soins et nous faisons partie de la chaîne de soins, particulièrement en biologie de la reproduction, parce que beaucoup de biologistes consultent ». Nous retrouvons l’importance pour les biologistes d’assurer des consultations pour préserver leur position. Son discours souligne l’interdépendance de ces deux segments professionnels et défend le biologiste comme un acteur à part entière : « Nous travaillons main dans la main. Ils ne pourraient pas travailler sans nous, et nous ne pourrions pas travailler sans eux ».

Le rôle des biologistes n’est pas identique dans tous les centres privés. Pierre Jouannet précise que leur place « dépend des centres. Je connais et j’ai connu des centres privés où les biologistes jouent un rôle très important ». Cependant, il semble que leur place dans le processus décisionnel soit plus difficile à trouver, notamment face au pouvoir décisionnel du clinicien, amplifié par deux éléments : non seulement le volume d’activité du centre dépend de leur capacité à développer une clientèle, mais ils sont les principaux recruteurs et interlocuteurs des

couples. La place des biologistes dans la chaîne de soins est fortement influencée par le contexte structurel et par l’organisation des échanges : « Les biologistes dépendent d’autant plus du prescripteur que le laboratoire a une faible activité, que la concurrence est à proximité, qu’il n’y a pas de staff d’inclusion avec les gynécologues et qu’ils sont trop rarement organisés en réseau avec un centre clinico-biologique d’AMP » (ABM, 2014a : 4). Les difficultés des biologistes à s’imposer en tant que partenaire de soins sont d’autant plus importantes lorsque les relations entre cliniciens sont elles-mêmes distendues. L’intensité du travail collectif est aussi liée à l’organisation spatiale de l’activité entre les établissements de soins et les laboratoires. Les rapports d’inspection de l’ABM incitent précisément à améliorer la collaboration « lorsque les cabinets de consultations des gynécologues ne sont pas sur le site de la clinique et du laboratoire (…) ou lorsque l’activité d’AMP n’est qu’une activité secondaire ou occasionnelle du gynécologue ou du laboratoire » (2014a : 12).

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